Il se détourne de ce dernier souvenir et entame un long chemin. Derrière lui, l’arbre s’agite malgré l’absence de vent. Les branches se plient, les feuilles bruissent. Une étrange lueur parcourt le feuillage, luminescence trouble dont l’aura glisse sur le tronc noueux. Soudain, le calme revient. L’homme s’en est allé, l’arbre s’est endormi, plongé dans un attentisme pour les siècles à venir.
Demain, il traversera la mer figée au nord de ses terres, cette étendue d’eau qui le sépare du vaste territoire qu’est l’île de Bretagne. Là-bas vit un peuple aux traditions encore vivaces, ancrées dans le cœur des hommes qui n’ont pas cédé à l’ennemi. Il pourra refaire sa vie, reconstruire et oublier… du moins l’espère-t-il.
D’un doigt amer, il caresse le feuillage vert du vieil arbre, une force rassurante dans ce monde en pleine mutation. Les Romains sont arrivés, ont envahi leur patrie de toujours, ont massacré, pillé, avant d’imposer un calme relatif sous l’ordre d’une pléiade de dieux inconnus. La paix est revenue, mais pour combien de temps ? Il sait qu’il doit quitter cette terre pour toujours. Elle n’est plus sienne, ce monticule au pied de l’arbre est là pour le prouver.
L’an 11 après Jésus-Christ, quelque part en Bretagne…
L’homme observe la petite butte de terre, tas insignifiant au pied du vieux chêne. Le seul arbre au milieu de cette prairie, l’un des derniers représentants d’une fière tradition druidique. Un jour, comme pour le reste, ce pan de leur culture s’évanouira, perdu dans les affres d’une histoire changeante. Il le sait, mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel est cette douleur qui ne cesse de martyriser sa poitrine, de brûler ses yeux et son esprit. Comment effacer la perte d’êtres chers, comment les oublier pour poursuivre sa route ? Peut-on continuer comme si de rien n’était, comme si le passé n’avait jamais existé ?