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Critique de Dandine


Ce billet est l'amende que je dois payer pour m'etre introduit par effraction dans le billet d'une de mes amies. Je m'en acquitte pour eviter d'autres formes de proces.

Je dois recenser un petit livre de Vila-Matas. Tout petit. Ni un roman, ni une nouvelle, ni un essai. Un petit recit, redige expres pour des inconscients comme moi. Qui ne s'apercoivent que c'est un piege qu'une fois qu'ils sont pris. Mais c'est sans douleur et meme avec un certain plaisir (serais-je masochiste?). Et comme c'est un piege, je vais multiplier les citations, pour essayer d'en sortir, de m'en sortir.

L'auteur (ou le narrateur?) se rend a Lyon, prendre part dans un congres litteraire. Une fois sur place personne ne vient le chercher, et ca lui donne du temps a reflechir a l'attente. Et de se rappeler des ecrivains qui ont traite de l'attente, Kafka ou Beckett entre autres. “Les mots de la vieille femme russe delicieusement absurde dont parle Bertrand Russell dans ses memoires sont surement tres senses : « Oui, messieurs. Il fait mauvais temps et nous attendons qu'il change. Mais il vaut mieux qu'il fasse mauvais temps que rien du tout et que nous attendions au lieu de ne rien attendre. »”

Desoeuvre, il sort de son hotel deambuler un peu et achete des journaux et un magazine litteraire dedie a Julien Gracq. Ses pensees tournent alors autour de la modernite de Gracq, de son style, et plus generalement de l'importance du style en litterature. “L'intrigue se traine derriere le style. Je ne puis resister à rappeler cette question posee un jour par Rodrigo Fresan a John Banville : — Ami Banville, le style est-il le roi et l'intrigue un simple soldat de deuxieme classe ou est-ce le contraire ? — le style avance en faisant de triomphales enjambees, l'intrigue suit en trainant les pieds, lui avait repondu Banville. Cette reponse sans replique m'a rejoui parce qu'elle semblait me liberer definitivement d'un cliche que j'avais ressasse dans ma jeunesse, cette « idee reçue » tres en vogue dans le monde anglo-saxon, selon laquelle les romans devaient toujours privilegier l'intrigue, le recit d'une histoire.
J'ai appris a petits pas a ne plus respecter les intrigues. L'apprentissage est devenu definitif le jour ou j'ai lu des declarations de Vilem Vok dans The Paris Review qui confirmaient mes soupçons : il n'y a qu'un nombre reduit d'intrigues, il n'est nullement indispensable de leur accorder une importance demesuree, il suffit d'en introduire une – presque par hasard – dans le livre qu'on est en train d'ecrire afin de pouvoir ainsi disposer de plus de temps pour peaufiner ce qui devrait toujours nous importer le plus, le style.”

Qu'est ce qui est important en litterature? Il note, pour ne pas les oublier, les points qui lui semblent importants en ce debut de XXIe siecle: “Cinq traits essentiels, incontournables : L'« intertextualite » (ecrit ainsi, entre guillemets). Les connexions avec la haute poesie. L'ecriture conçue comme une horloge qui avance. La victoire du style sur l'intrigue. La conscience d'un paysage moral delabre.” Belle theorie, mais a peine l'a-t-il notee qu'il s'avise que les auteurs qu'il admire n'en ont jamais ete les esclaves, mais se sont laisses porter par leur plume ou leur ordinateur, et que les premieres pages ecrites decident des suivantes: “Comment se fait-il, ai-je pense, que l'une des choses que les gens en general ne comprennent pas chez les ecrivains – du moins chez les ecrivains serieux –, c'est qu'on ne commence pas par avoir quelque chose a ecrire pour ensuite passer a la pratique, mais que c'est le processus de l'ecriture proprement dit qui permet a l'auteur de decouvrir ce qu'il veut ecrire ?”.

Sur ces pensees on vient le chercher pour sa causerie, mais il fait l'ivrogne et s'esquive, renoncant au congres, renoncant a parler devant audience de theorie litteraire, renoncant en fait a toute theorie litteraire. Il se l'avoue dans le train qui le ramene chez lui, a Barcelone: “le seul objectif de ma theorie de Lyon etait de me liberer de son contenu, d'ecrire, de perdre des pays, de voyager et de perdre des theories, de les perdre toutes”.

Et moi je suis tombe dans le piege, j'ai ecrit un billet qui a l'air de rendre compte d'un essai, sur la theorie litteraire ou sur la litterature sans theories, alors que c'etait peut-etre un roman sur un homme perdu a Lyon, et qui, dans l'attente d'un contact qui tarde a venir, se morfond, s'interroge sur les raisons qui l'ont pousse a y venir, et en fin de compte se sauve, se derobant a tous ceux qui pourraient l'y chercher? Quelque part il dit qu'il projette d'ecrire un roman titre “L'attente”. C'est peut-etre celui que j'ai lu?

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