J'ai l'impression qu'il était toujours content de me voir. C'est une sacrée chance de connaître quelqu'un qui est content de vous voir, qui est presque soulagé de vous voir. Ça n'arrive pas très souvent et ça fait beaucoup de bien.
Pleure autant que tu veux, déteste-moi autant que tu veux, mais je suis désolée de te dire que je t'aimerai toujours demain.
Il ne savait plus ni parler ni marcher. La vie qu'il avait connue n'existait plus. Ce Leroy Kervin-là n'existait plus.
Le nouveau Leroy Kervin ne reconnaissait pas les gens qu'il venait à peine de rencontrer. Aussitôt il s'agitait et broyait du noir. Frustré, il jetait ce qu'il avait sous la main avant de fondre en larmes. Il lui fallut des mois pour réapprendre à marcher, des mois avant de pouvoir tenir à nouveau une fourchette, et il avait toujours du mal à parler et à gérer ses émotions. Il n'y eut pas de guérison miraculeuse pour le nouveau Leroy Kervin
Tout le monde n’était pas censé devenir soldat, tout le monde n’était pas détruit par la guerre. Ils nous ont expliqué que cette injection sauverait ceux qui seraient à jamais marqués par la guerre. On leur ferait une piqûre, et si la marque apparaissait alors ils ne seraient pas obligés d’aller se battre, ils seraient exemptés. Mais il y a eu d’autres guerres et les gens ont commencé à protester. Ils ont alors voulu dépister de plus en plus de monde et, là où nous vivions, ils ont fait une piqûre à tous les habitants. Nous savons maintenant que c’est une expérience visant à faire le tri entre ceux qui pensent et ceux qui sont soldats. Entre ceux qui ne sont pas faciles à manipuler et les autres. Entre un mauvais citoyen et un bon. Mais, à l’époque, on ne comprenait pas grand-chose, on pensait juste qu’ils essayaient de faire quelque chose de bien.
Des années plus tôt, après ses études secondaires, il s’était retrouvé au chômage. Au début, ça ne l’avait pas inquiété mais on lui refusait tous les emplois auxquels il postulait. S’il voulait travailler, il allait devoir déménager dans une autre ville. Mais il fut appelé sous les drapeaux, la guerre du Vietnam battait son plein à l’époque. En un sens, ça l’avait soulagé. Il allait au moins avoir un travail et de l’argent. D’après l’ordre qu’il avait reçu, il avait trois mois pour se présenter. Son père l’avait alors pris à part et lui avait dit qu’il ferait bien d’aller découvrir le monde au cas où il serait tué au Vietnam.
Mais ce soir-là, pour la première fois depuis l'explosion, il se réveilla en ayant recouvré sa lucidité. Les souvenirs le submergèrent(...) Que lui arrivait-il ?
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La douleur semblait suspendre le temps. Attendait-il depuis des minutes, des heures, des jours ou des semaines ? C'était trop difficile à supporter et il en avait vraiment assez de souffrir. Alors il décida de l'abandonner, d'emmener son esprit le plus loin possible. Il allait se perdre en lui-même. Disparaître de la scène du monde
Les femmes aiment bien regarder les hommes travailler.
À l’époque, si je voyais un type maltraiter son chien ou un cheval, je ne l’embauchais jamais plus. Parce que ça donne une idée de ce qu’il a dans le cœur. De sa façon de voir le monde. Et je n’ai jamais aimé voir les choses ainsi.
C’était une femme d’une trentaine d’années, un peu forte et de taille moyenne, avec des cheveux et des yeux bruns. Elle sentait le shampoing et la cigarette. De loin, elle avait un joli visage. Ce n’était que de près qu’apparaissaient les rides autour des yeux et des lèvres, et les cicatrices d’acné. Elle avait l’air fatiguée.