AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de lebelier


Voltaire, en exil en Angleterre, observe les moeurs, les religions et les idées aussi bien scientifiques que philosophiques de ses contemporains d'Outre-Manche.
Il commence par s'intéresser aux Quakers, se fait expliquer cette religion qui remet en cause bien des dogmes qui ne sont -on le sait à présent- que des interprétations des écritures. Ainsi, sur le baptême : les Quakers ne sont pas baptisés car ils "ne sont pas disciples de Jean (le Baptiste) mais du Christ". Ils ne jurent pas, ne prêtent pas serment et ne peuvent occuper des fonctions officielles. Ils font tout "par modestie" et rejoignent en cela les Amish.
Voltaire raconte la création de cet état Américain de la Pennsylvanie par William Penn, communauté Quaker s'il en fut, et aussi la fondation de cette secte par le célèbre George Fox, "vêtu de cuir des pieds à la tête", attaquant la religion officielle, jugé, fouetté, il en redemandait et ses tortionnaires finirent par être ses premiers disciples. Son principe de "tendre l'autre joue" avait fonctionné.
On sent bien sûr chez Voltaire un désir évident de démonter les dogmes stupides selon lui de la religion catholique et son ajout en fin d'ouvrage, la lecture critique des "Pensées" de Pascal, confirme ses intentions.
Plus noble, certes, est de montrer qu'en Angleterre -dans sa lettre sur les Presbytériens – toutes les religions se côtoient dans une paix relative et Voltaire donne l'exemple de la Bourse de Londres où tous sont rassemblés (juif, mahométan, chrétien…) pour faire du commerce et s'entendre sur ce point en se faisant confiance. Mais Voltaire reste un incorrigible optimiste.

"S'il n'y avait en Angleterre qu'une religion, le despotisme serait à craindre; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses."
De même Voltaire prône le commerce qui enrichit une certaine caste mais aussi le pays comparé aux autres comme l'Allemagne ou la France où tout n'est qu'affaire de naissance.

"Je ne sais pourtant lequel est plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le Roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate ou au Caire et contribue au bonheur du monde."

Il est triste de penser aujourd'hui que le négociant De Voltaire est devenu une société anonyme derrière laquelle se cachent des "traders" sans foi ni loi que celle du profit.
Toujours, prenant de la distance avec son propre pays, Voltaire vante "l'introduction de la petite vérole" aux enfants en Angleterre et annonce par cela même les débuts de la vaccination expérimentée plus tard par Jenner et développée par Pasteur entre autres. No comment.
Voltaire continue ensuite sur l'état de la science, montre ses affinités avec Newton en présentant son système sur l'attraction et sur l'optique, le comparant à Descartes qui en a établi les bases. Newton va plus loin avec son prisme qui décompose les couleurs.
En fait, au long de ces lettres, Voltaire met la France à distance et se permet quelque coup bas :imprimer de bons livres au lieu d'imprimer les compliments à L Académie Française par exemple. Admirateur d'Alexander Pope, de Rochester et de Waller, il déplore cependant le manque d'historiens en Angleterre.
Dans l'avant-dernière lettre, "Sur la considération qu'on doit aux gens de lettres", Voltaire pointe le fait que la France, et notamment celle de Louis XIV , a encouragé les mathématiques, les sciences et les arts : peinture, sculpture, architecture… L' Angleterre, au contraire, encourage plutôt les talents individuels et nombre de gens de lettres se sont trouvés à des postes-clé de l'État et sont honorés et considérés (Pope ,Newton…). Par ce biais, Voltaire reproche à la France sa censure contre les gloires immortelles que sont Racine, Corneille ou Molière, tandis que l'Italie ne touche pas à son opéra et l'Angleterre à ceux que prisèrent leurs souverains.

"… lorsque les Italiens et les Anglais apprennent que nous flétrissons de la plus grande infamie un art dans lequel nous excellons, que l'on condamne comme impie un spectacle représenté chez les religieux et dans les couvents, qu'on déshonore les jeux où Louis XIV et Louis XV ont été acteurs, qu'on déclare oeuvres du démon des pièces revues par les magistrats et représentées devant une reine vertueuse; quand, dis-je, des étrangers apprennent cette insolence, ce manque de respect à l'autorité royale, cette barbarie gothique qu'on ose nommer sévérité chrétienne, que voulez-vous qu'ils pensent de notre nation?"

Voltaire, déjà rien que dans cette diatribe, "écrase l'infâme", conspue la censure religieuse -au nom de quoi? puisque les rois eux-mêmes ont validé les oeuvres incriminées – et surtout appuie là où ça fait mal. Il ne faut pas, je crois, chercher plus loin l'origine de son exil.
La dernière lettre (n°25) se détache du reste mais pas tant que ça puisque Voltaire s'attaque à certaines parties des "Pensées" de Pascal qu'il juge trop austères. Il reprend de ce fait les points qu'il conteste tout en admirant le génie de l'auteur, "ce misanthrope sublime".

"C'est en admirant son génie que je combats quelques-unes de ses idées."

Ce qu'il conteste surtout, c'est que Pascal peint les hommes méchants et malheureux, l'impute à leur nature propre et surtout, généralise. Vient ensuite le fait que Pascal parle de religion, fait en sorte une espèce de catéchisme alors que alors que ce n'est pas l'affaire des philosophes qui auraient alors été des prophètes. Jamais un philosophe ne doit se dire inspiré par Dieu. Pascal semble confondre foi et raison. Selon lui, le péché originel est cause de toutes les misères humaines.
Quand Pascal parle de "duplicité des hommes", Voltaire y oppose sa complexité selon les situations de la vie.
De même, le fameux "pari" n'est pas là pour convaincre :

"l'intérêt que j'ai à croire à une chose n'est pas une preuve de l'existence de cette chose."

Cette idée de pari, de jeu où il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus paraît puérile à Voltaire et "ne convient pas à la gravité du sujet."
Voltaire refuse aussi ce désespoir pascalien de l'homme seul et perdu dans un univers aveugle, ignorant tout de ce que la mort lui réserve. Il préfère l'optimisme de son "Candide" et prône plutôt un "vivons heureux en attendant".

"Penser que la terre, les hommes et les animaux sont ce qu'ils doivent être dans l'ordre de la Providence, est, je crois, d'un homme sage."

Suivent alors des points sur la religion, sur les passions etc.
Selon Pascal, l'homme doit suivre les règles venues de Dieu et reproche aux jésuites d'aimer plus le Christ que Dieu, ce qui est faux. Bref, Voltaire oppose son optimisme et son aspect "bon vivant" aux délires un peu paranoïdes et mystiques de la souffrance chez Pascal.
L'exercice de Voltaire est intéressant. Il montre que, même chez les grands génies, il existe quelques faiblesses d'interprétation. Ce qui les rend d'autant plus humains.
Commenter  J’apprécie          52



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}