Darwin se demandait si la morale ne découlait pas en droite ligne des instincts sociaux des animaux.
Les neurosciences nous adressent deux messages fondamentaux sur l'empathie. Le premier est qu'il n'existe aucune frontière claire et nette entre émotion humaine et émotion animale. Le second est que l'empathie va de corps à corps. On enfonce une aiguille dans le bras de la femme et les centres de la douleur s'allument dans le cerveau du mari du simple fait qu'il regarde.
Qui pense sérieusement que nos ancêtres n'avaient aucune norme sociale avant d'avoir une religion ? N'aidaient-ils jamais leurs semblables en difficulté, ne protestaient-ils jamais contre une injustice ? Les humains se sont forcément préoccupés du fonctionnement de leurs communautés bien avant la naissance des religions actuelles, qui ne datent que de deux ou trois millénaires. (p.11)
[Q]uand certains me demandent comment on peut parler d'empathie chez les chimpanzés alors qu'on sait qu'il leur arrive de s'entretuer, je leur réponds toujours par une autre question : si nous retenions ce critère, ne faudrait-il pas abandonner aussi la notion d'empathie chez les humains ?
Certains me demandent comment on peut parler d'empathie chez les chimpanzés alors qu'on sait qu'il leur arrive de s'entretuer, je réponds toujours par une autre question : si nous retenions ce critère, ne nous faudrait-il pas abandonner aussi la notion d'empathie chez les humains ? (p.44)
Ces observations s'inscrivent dans le champ émergent de l'empathie animale, qui traite non seulement des primates, mais aussi des canidés, des éléphants et même des rongeurs. Les chimpanzés qui consolent les affligés en les prenant dans les bras, en leur faisant des baisers, en donnent une illustration typique, et si fréquente que des milliers de cas- littéralement des milliers-sont attestés. Les mammifères sont sensibles à leurs émotions mutuelles et réagissent en voyant l'un des leurs en difficulté. Si les gens remplissent leurs maisons de carnivores à fourrure et non d'iguanes et de tortues, c'est parce que les mammifères offrent quelque chose qu'aucun reptile n'apportera jamais. Ils donnent de l'affection, ils veulent de l'affection, et ils réagissent à nos émotions comme nous réagissons aux leurs. (p.14)
James Rilling, un de mes collègues d'Emory, à conclu de certaines expériences de neuro-imagerie que nous avons "des préférences émotionnelles pour la coopération qui ne peuvent être surmontées que par des efforts de contrôle cognitif". Réfléchissons à ce constat : il signifie que notre impulsion première est de faire confiance et d'aider. Ce n'est que dans un second temps que nous évaluons l'option de ne pas le faire, et pour la retenir il nous faut des raisons.
Il est impossible de regarder dans les yeux un grand singe sans se voir soi-même. Celui qui vous rend votre regard est moins un animal qu'une personnalité aussi forte et volontaire que la vôtre.
Nous sommes dynamisés par des valeurs et des émotions internes qui guident, et non dictent, notre conduite. Elles nous poussent dans une certaine direction, mais en nous laissant beaucoup de marge. C'st pourquoi nous sommes capables de prendre soin de ceux qui ne peuvent nous rendre la pareille, d'adopter des jeunes sans lien de parenté avec nous, de coopérer avec des étrangers et d'avoir de l'empathie pour les membres d'une autre espèce.
Je ne peux imaginer aucune société humaine ou animale sans liens privilégiés de fidélité. Toute la nature est construite autour de la distinction entre membres et non-membres du groupe, parents et non-parents, amis et ennemis. Même les plantes reconnaissent la parenté génétique, puisqu'elles développent un réseau de racines plus concurrentiel quand elles sont mises en pot avec une plante étrangère et non une plante sœur. Les individus qui luttent pour le bien-être global sans distinction n'ont strictement aucun précédent dans la nature.