Les Futurs mystères de Paris, tome 1 : La Balle du néant

La police vient de classer l’affaire, faute d’indices
J’ai songé que cela n’avait rien d’étonnant. Le manque de crédits et d’effectifs a tendance à tempérer le zèle des flics – d’autant plus lorsqu’ils se trouvent confrontés à une énigme en apparence insoluble.

Tout dépend de la définition que l’on donne de l’intelligence. En Occident, on a tendance à la mesurer en fonction de l’aisance à manipuler certains types de concepts abstraits. (J’ai acquiescé, et il m’a souri avec une certaine condescendance.) A mon sens, c’est une erreur. Selon les critères d’un aborigène australien, Einstein était sinon un imbécile, du moins un inadapté.

Comme l'avait prouvé Valéry Guillaume en 2021, leur unité reposait sur une base génétique ; tous possédait en effet la même séquence d'ADN sur la huitième paire de chromosomes. Cette belle démonstration lui avait valu le Nobel, bien qu'elle ne fournit aucune explication à la plus grande énigme liée à ces mutants : la manière dont leurs noms et les autres références les concernant pouvaient disparaître de tous les fichiers - informatiques ou sur papier - où ils figuraient.

Imaginez que vous vous promenez sur un trottoir au milieu de la foule. Vous ne pourrez jamais prêter attention à toutes les personnes que vous croiserez ; il en subsistera une certaine proportion que vous ne remarquerez même pas, sinon sous la forme de silhouettes noyées dans la masse.

Eh bien, pour le commun des mortels, je fais le plus souvent partie de ces silhouettes. Ma sœur Rivière Paisible du Matin Calme aime à dire que je « glisse entre les mailles du tissu de la réalité ». Si j’ai affaire à des individus sensibles à mon Talent – et à condition de ne pas être attifé à ce moment-là comme le croisement d’un clown et d’un épouvantail –, je peux me faufiler parmi eux, traverser leur champ visuel, voire les toucher sans qu’ils s’en rendent compte.

Très pratique pour les filatures, pensez-vous. Mais imaginez mon calvaire dès lors qu’il s’agit d’interroger des témoins.

J'aime l'odeur de l'encre, le contact des pages, le geste de tourner celles-ci. Lire un livre ou un journal me procure du plaisir ; effectuée sur un écran, la même activité se limite à une absorption d'informations purement utilitaire.

Il n’y a rien de plus triste que de mourir seul.