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Critique de beatriceferon


Walt a l'air complètement transparent. Qui ferait attention à ce modeste cinquantenaire un peu bedonnant, qui travaille comme agent d'entretien au supermarché ? Son hobby ? Ramasser les listes de courses jetées par les clients et s'imaginer leurs vies d'après leurs achats. Il vit seul depuis que sa femme l'a quitté et son unique délassement, c'est la pêche dans des coins déserts.
Alors, pourquoi ce type terne et effacé attire-t-il l'attention de deux enquêteurs de seconde zone ?
C'est sur foi d'une critique dans la presse que j'ai acheté ce roman. L'idée de quelqu'un qui construit des vies à partir de listes de courses me plaisait. Cela me faisait penser à « Matins bleus » de Jean-Marie Laclavetine. Son personnage bâtit des existences imaginaires aux passagers du métro qu'il croise. Et puis, qui n'a jamais trouvé dans son caddie, une liste de courses abandonnée ? On y jette un oeil. On compare avec la sienne. On se figure le client. (Depuis que j'ai lu ce roman, je déplie les listes que je trouve et les parcours avec curiosité!) Bref, ce livre m'attirait.
Et pourtant, il m'a fallu une bonne semaine pour terminer ma lecture !
La plupart des chapitres commencent, on s'en doute, par une liste de courses. C'est Walt qui prend la parole. Jusqu'à la fin du roman, nous n'aurons, pratiquement, que sa vision. Il se lance dans une interprétation d'un univers qu'il recrée, non seulement à partir des produits mentionnés sur la liste, mais aussi d'une foule de petits détails : l'écriture, l'encre utilisée, les fautes d'orthographe (Alisha écrit « banannes » avec deux N), voire le support, la plupart des listes étant rédigées sur du papier de récupération : enveloppes, virements, talons de chèques, publicités... ce qui lui fournit des éléments bien utiles, comme des adresses.
Mais soudain, le monologue est interrompu. Voici qu'apparaissent des pages écrites en italiques par une autre personne. Il s'agit d'un journal intime. D'autres chapitres, chapeautés d'un texte en petits caractères et apparemment administratifs, sont pris en charge par un narrateur externe. Ils nous entraînent dans un commissariat de la GRT, la gendarmerie royale de Terre Neuve. Nous y faisons la connaissance de deux flics paumés, l'inspecteur Dean Hill et le sergent Jim Scoville, qu'on a relégués dans un placard et auxquels on refile des enquêtes pourries. Hill et Scoville traînent leur désoeuvrement dans des virées en voiture sans but précis et déterrent de vieilles affaires classées, telles des disparitions non élucidées. Comme celle de Mary Carter, la femme de Walt, qui, un beau jour, s'est volatilisée sans laisser de traces.
Le duo va perquisitionner chez le mari qui, contrairement à la plupart des suspects, n'émet pas une protestation, leur laisse le champ libre et va se promener. Évidemment, rien n'accuse Walt. Mais tout de même, quelque chose est bizarre. Alors que sa maison est propre et méticuleusement rangée, toutes les plantes sont séchées. On ne les a ni arrosées ni jetées . Pourquoi ?
De son côté, Walt nous livre des bribes de sa morne existence, comme son enfance, où son oncle les emmenait pêcher dans un cabanon au bord de la rivière, ou son mariage avec Mary, qui, pourtant, n'avait aucun point commun avec lui. Il aime se cacher pour observer des femmes seules chez elles. Il pénètre dans des maisons en l'absence de leurs propriétaires. Il fouille dans les penderies. Il s'assied sur leurs divans.
Le roman est mystérieux. La majeure partie de l'histoire nous est narrée par Walt qui est manifestement un malade mental. Il met le lecteur mal à l'aise. Par exemple, certaines personnes lui paraissent si parfaites qu'il a « envie d'aller mettre le bazar là-dedans ». Enfant, il détestait un condisciple, « ce gamin avec qui vous étiez en classe de troisième, aux cheveux toujours bien peignés et au sourire ultra-bright, qui affichait une telle perfection que vous deviez trouver le moyen de l'abîmer en le décoiffant au passage ou en le poussant dans l'escalier au moment opportun. Ce gamin dont le seul tort était d'exister et de porter haut la tête en vous parlant, comme s'il vous regardait, d'accord, mais qu'il était en même temps en contact direct et intime avec les cieux. »
Je m'imagine donc ce type passe-partout comme l'abominable « magicien » de Jean-Marc Souvira ou pire, comme dans « Robe de marié » de Pierre Lemaître, un homme qui arrive à s'introduire chez les gens et à chambouler leur existence. Et cela me fait peur.
Finalement, le roman me laisse une impression mitigée : difficile de comprendre un être aussi malsain. Mais en même temps, puisque c'est lui le narrateur, il nous force à voir le monde à travers son regard. L'histoire fait penser à un puzzle qu'il faut reconstituer avec patience. Et je ne suis pas sûre d'avoir trouvé la bonne solution.
Peut-être que ce n'était pas un livre pour moi ou que je ne l'ai pas lu dans les bonnes conditions ou au bon moment ?
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