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Citations sur Eriophora (11)

– Préfèrerais-tu qu’on fasse moins souvent appel à toi ?
– Pourquoi ça ? » Je me suis demandé s’il m’offrait cette possibilité ou s’il mettait simplement à jour mon profil psychologique.
« Si tu voulais durer plus longtemps, par exemple.
– Je ne vivrais pas plus longtemps. J’introduirais juste des temps morts plus longs dans une durée de vie identique.
– Mais il se passerait davantage de choses dehors. Plus tu dures longtemps, plus tu as des chances de vivre quelque chose d’inattendu.
– Genre ?
– Je ne sais pas. D’autres spores ont exprimé de la curiosité pour l’avenir.
– Quelqu’un continue de penser que nos petits-enfants vont sortir du portail pour nous ramener au paradis. »
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Rien n'est immortel,dans un voyage d'un milliard d'années.
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Je crois que je vais d'abord...aller me promener. Histoire de voir quelque chose de réel, pour changer.
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Soixante dix millions d'années d'après l'ancien calendrier. Voilà depuis combien de temps on avait pris la route.
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Il m’arrive de pleurer de temps en temps, si jamais vous vous posez la question.
J’ai même pleuré pour le Chimp, un jour.
J’ai assisté à sa naissance, des années avant notre départ. J’ai vu les lumières s’allumer, je l’ai écouté trouver sa voix, je l’ai observé tandis qu’il apprenait à distinguer Sunday, Kaï et Ishmael. Il apprenait tellement vite, et avec tant d’enthousiasme ; à l’époque, moi qui sortais à peine de mon adolescence accélérée et n’étais pas encore en route pour les étoiles, j’étais certaine qu’il accèderait tout de suite à la divinité pendant que nous-mêmes resterions embourbés dans la chair et le sang.
Il semblait si heureux : il faisait voler tous les repères en éclats, relevait tous les défis, anticipait ceux à venir avec une sorte d’enthousiasme câblé que je ne pouvais que qualifier de voracité. Un jour, entrant dans une catacombe grossièrement taillée, je suis tombée sur un flot de robots tourbillonnant dans une impeccable formation complexe : un banc de poissons argentés au milieu de la forêt nouvellement ensemencée de l’Eri. Les formes que j’entrevoyais me donnent encore mal à la tête, quand j’y pense.
« Ouais, on ne sait pas trop ce que c’est », a répondu une des grosses têtes quand je lui ai posé la question. « Il fait ça de temps en temps.
– Il danse« , ai-je répliqué.
Eil m’a regardée avec une sorte de pitié. « Il se tourne plus probablement les pouces. Il lance un diagnostic moteur qui se déclenche quand il a quelques cycles devant lui. Eil a haussé un sourcil. « Pourquoi tu ne lui demandes pas ? »
Je ne me suis jamais résolue à le faire bizarrement.
Je partais me promener dans les cavernes pendant les temps morts, pour le regarder tandis que la forêt s’étendait : théorèmes et symphonies fractales devant le basalte fissuré, devant un brouillard de mycélium, devant des pseudopodes photosynthétiques proliférants tellement efficaces pour absorber les photons que même sous une lumière imitant celle du soleil, on ne les voyait que comme des silhouettes noires. Lorsque la forêt s’est retrouvée pleine, Chimp a déménagé dans un atelier inachevé. Quand celui-ci a commencé à se remplir, il est parti dans une cuve de liquide de refroidissement vide grosse comme un gratte-ciel, avant de finir par s’installer dans le vaste creux au centre du monde où, bientôt, un troll contrevenant aux lois de la physique frémirait et bouillonnerait dans les ténèbres, nous tirant en avant par ses propres moyens. La danse évoluait à chaque relocalisation. Jour après jour, ces tapisseries cinétiques devenaient plus raffinées, plus époustouflantes, plus belles. Peu importait où il allait. Je le retrouvais. J’étais là.
Je me livrais parfois à un peu de prosélytisme en invitant au spectacle un ami ou amant, mais à part Kaï – qui a bien voulu venir à deux ou trois reprises -, personne ne trouvait particulièrement intéressant de regarder un diagnostic de bord se tourner les pouces. Pas de problème. Je savais désormais que Chimp dansait surtout pour moi, de toute manière. Pourquoi pas ? Les chiens et les chats ont bien des sentiments. Et même les poissons. Ils contractaient des habitudes, se mettaient à éprouver de la loyauté. De l’affection. Chimp n’équivalait peut-être qu’à une fraction d’un cerveau humain, mais il était nettement plus malin qu’un grand nombre d’êtres sentients dotés de personnalités à eux. Un jour, d’ici quelques éternités, les gens remarqueraient les restes de ce lien et chieraient dessus, mais cela aurait tout aussi bien pu être le leur. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était rester là à regarder avec émerveillement.
Est toutefois arrivé un moment où Chimp ne m’a pas semblé deux fois plus malin que la veille.
Je n’ai pas pu mettre tout de suite le doigt dessus. J’avais juste… développé ce modèle d’attente exponentielle, il faut croire. Je prenais pour acquis que le petit enfant qui jouait avec des cubes numérotés le matin maîtriserait le calcul tensoriel au déjeuner. Désormais, il ne suivait plus cette courbe-là. Désormais, il ne suivait plus cette courbe-là. Désormais, il ne devenait que petit à petit plus malin. Je n’ai jamais interrogé les techos à ce sujet – je n’en ai même pas touché un mot aux autres spores -, mais en une semaine, tout doute sur ce point a été levé. Chimp n’était pas exponentiel, après tout. Seulement sigmoïdal, il avait passé le point d’inflexion et approchait de l’asymptote, et malgré ses stupéfiants talents d’idiot savant, il n’aurait pas fait un pas de plus vers la divinité quand il atteindrait ce plafond.
En fin de compte, il ne serait même pas aussi malin que moi.
Bien entendu, ils n’arrêtaient pas de le pousser. De le charger de nouvelles tâches toujours plus complexes. Et il ne rechignait jamais, il continuait à obtenir la note maximale. Après tout, il n’avait pas été conçu pour échouer. Mais il devait à présent travailler plus dur. Les exercices ne cessaient de consommer davantage de ressources. Celles-ci diminuaient de jour en jour.
Il a arrêté de danser.
Ça n’a pas eu l’air de le déranger. Je lui ai demandé si le ballet lui manquait, et il n’a pas su de quoi je parlais. J’ai compati avec lui au sujet du marteau qui l’avait fait tomber du ciel et il m’a répondu que tout allait bien. « Ne t’inquiète pas pour moi, Sunday. je suis heureux. »
C’était la première fois que je l’entendais utiliser ce mot. Dix jours plus tôt, je l’aurais peut-être cru.
Je suis donc descendue dans une des forêts – désormais au crépuscule, les flux à spectre complet s’étant retirés une fois que les sous-bois avaient dépassé le stade de semis – et j’ai pleuré un être heureux et chétif qui, à son insu – ou peut-être s’en fichait-il – avait foncé vers la transcendance jusqu’à ce qu’une priorité de mission sans âme le fige dans l’ambre.
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L’Eriophora abonde en taches aveugles : des ombres dans les coins et les galeries, dans les espaces derrière les imposantes machines, où personne n’a de raison de placer des caméras. Il y a même des endroits – à proximité des lignes électriques puissantes dont les courants noient les milliampères des signaux reliant les cerveaux artificiels aux naturels – qui rendent Chimp aveugle à nos liens corticaux.
Ce n’est pas dans un de ceux-là que nous allions, mais plus profond, fonçant à tombeau ouvert dans des tunnels sous vide pourvus de nervures supra-conductrices, et à mon grand déplaisir, je n’y voyais pas grand-chose.
Il y a des moments où on coupe son lien : quand on est en stase, quand on dort, éventuellement quand on est dans ses quartiers à baiser, jouer ou faire du tourisme. Des moments où on ne veut pas être distrait par les tics et tocs autonomes de cette imposante créature rocheuse dans laquelle nous vivons.
Mais pas quand on est de service. Pas quand on est dehors. À l’œil nu, on ne voit rien, seulement… des images brutes, sans annotations. Je me sentais handicapée, comme si je risquais de me perdre à jamais en prenant le mauvais virage, ou comme si j’allais oublier le nom de gens que je connaissais depuis toujours. Ou ne pas reconnaître l’objet banal juste devant moi.
Cette cécité volontaire ne nous procurait pas pour autant la moindre intimité : Chimp avait des capteurs dans cette capsule comme dans toutes les autres. La seule chose dont le privait le petit geste de défi de Lian, c’était de deux points de vue subjectifs redondants.
De toute évidence, il s’agissait là en quelque sorte d’une question de principe.
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D’après une de nos légendes, à nous autres de l’Eriophora, il existait loin à l’arrière, presque au niveau des propulseurs de lancement eux-mêmes, une caverne remplie de diamants. Et non de diamants ordinaires, mais du truc hexagonal non taillé. De la lonsdaléite. Le solide le plus dur dans toute notre putain de système solaire – du moins au moment où nous en sommes partis -, et lisible au laser, en plus.
Il faut au moins ça, pour vos sauvegardes, sinon autant les graver dans du beurre.
Rien n’est immortel, dans un voyage d’un milliard d’années. L’univers tourne en stop-motion autour de vous, et les sauvegardes des sauvegardes de vos sauvegardes ont besoin d’être sauvegardées. Même les stratégies de réplication avec correction d’erreurs piquées à la biologie ne peuvent empêcher éternellement les mutations. C’était valable pour nous, les brochettes de viande qui connaissions un réveil éphémère tous les millénaires, cela l’était tout autant pour le matériel. Ça tombait tellement sous le sens que je n’y avais jamais réfléchi. Le temps que je le fasse, Chimp avait atteint sa quatre-vingt-troisième réincarnation.
Que ses nœuds se reproduisent comme des mouches et se distribuent jusque dans les recoins les plus reculés de l’astéroïde ne suffisait pas. Que les circuits aux-mêmes soient d’une primitivité quasi paléolithique non plus : quand votre IA compte moitié moins de synapses qu’un cerveau humain, bricoler à l’échelle nanométrique n’est que poudre aux yeux. Les choses continuent à tomber en morceaux. Les canalisations se décomposent. Les circuits d’une douzaine de molécules d’épaisseur s’évaporent avec le temps, si l’entropie et l’effet tunnel quantique ne les ont pas déjà réduits à l’état spongieux.
De temps en temps, une remise à neuf s’impose.
Ainsi sont nées les Archives : une bibliothèque de sauvegardes, pavés cubistes de statues en diamant plus grandes que nature, commémorations d’une condition ancestrale sans tache. Quelqu’un, à l’aube des temps, l’avait baptisée île de Pâques : j’ai cherché par curiosité à quoi ce nom correspondait et obtenu en retour des informations concernant un vilain tas de cailloux sur Terre, un truc perdu au milieu de nulle part, essentiellement connu parce que ses habitants prétechs avaient détruit leur environnement juste parce qu’ils voulaient commémorer leurs ancêtres morts depuis longtemps en construisant une série de statues moches comme un pou.
Quel autre nom lui donner ?
Chaque fois que le stock de Chimp sauvegardés commençait à baisser – ou celui des lentilles gravitationnelles, des climatiseurs et d’autres artéfacts indispensables dont la durée de vie ne dépassait pas celle du proton -, l’Eri envoyait donc de lourdauds réviseurs sur sa propre et secrète île de Pâques lire des schémas minéraux si vastes, si stables qu’ils survivraient peut-être à la Voie lactée.
L’endroit n’a pas toujours été aussi secret, remarquez. Nous l’avions traversé une dizaine de fois au cours de la construction, et une dizaine d’autres fois durant notre formation. Mais un jour, peut-être à notre troisième ou quatrième passage dans le bras du Sagittaire, Ghora est allé après un chantier faire de la spéléologie pendant que le reste d’entre nous gisions morts dans la crypte. Juste histoire de passer le temps, m’a-t-il raconté ensuite, de retarder l’inévitable mise à l’arrêt par une petite reconnaissance récréative. Il est descendu dans la zone à haute gravité, s’est faufilé par les conduites et les crevasses à l’emplacement marqué d’un X, et a trouvé l’île de Pâques complètement nettoyée : ce n’était plus qu’une cavité obscure béant dans la roche, hérissée des moignons de boulons et d’amarrages cisaillés à quelques centimètres au-dessus du substrat.
Le Chimp avait déplacé toutes ces fichues archives pendant qu’on dormait entre les étoiles.
Il n’a pas voulu nous dire où. Il ne pouvait pas nous dire où, a-t-il soutenu. En ajoutant qu’il n’avait fait que suivre des instructions préenregistrées du Centre de Contrôle dont il n’avait su l’existence qu’au moment où un dispositif d’horloge les avait injectées dans sa file de tâches. Il ne pouvait même pas nous dire pourquoi.
Je l’ai cru. Depuis quand les programmeurs expliquaient-ils leurs intentions à leur code ?
« Ils ne nous font pas confiance, a dit Kaï en roulant les yeux. Ça fait huit millions d’années qu’on est sur la route et ils ont peur qu’on… Qu’on quoi ? Qu’on bousille notre propre support vital ? Qu’on écrive Sawada suce des pets sur leurs modèles réduits ? »
Il nous arrivait encore de partir à sa recherche, quand on avait du temps à tuer et des démangeaisons à gratter. On enfonçait des microcharges dans la roche pour en étudier les vibrations qui résonnaient d’un bout à l’autre de notre petit monde, en quête d’une grotte inconnue. Le Chimp ne nous en a jamais empêchés. Il n’en a pas eu besoin : depuis la découverte de Ghora, il y a bien des térasecs, nous n’avons jamais rien trouvé.
Peut-être Lian pensait-elle que le hasard lui sourirait, cette fois-ci. Ou peut-être cherchait-elle juste une excuse pour ne pas rester avec nous.
Quoi qu’il en soit, je lui ai souhaité bonne chance.
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Au début de notre voyage, je m’amusais à chacun de mes dégels à calculer la distance qu’on avait parcourue jusque-là, puis je regardais à quelle époque ça correspondrait si l’Eriophora était une machine à voyager dans le temps, si nous remontions l’histoire au lieu de nous enfoncer dans le cosmos. Oh, regarde : le temps d’atteindre notre premier chantier et nous voilà revenus à la Révolution industrielle. Deux chantiers nous ont emmenés à l’âge d’or de l’Islam, sept à la dynastie Shang.
J‘essayais sans doute ainsi de conserver une sorte de lien, de mesurer cette entreprise vraiment immortelle sur une échelle perceptible viscéralement par la viande. Sauf que ça n’a pas marché. Bien au contraire : vouloir ne serait-ce qu’essayer de circonscrire la Diaspora dans les pitoyables limites de l’histoire terrestre a fini par m’apparaître complètement absurde et orgueilleux.
Pour commencer, le Chimp n’a dégelé absolument personne avant le septième portail, au bout de presque six mille ans de mission : j’ai dormi pendant la majeure partie de la civilisation humaine, ne me suis même pas réveillée avant la chute des Minoens. Je pense que Kaï était sur le pont pour la pyramide de Khéops, mais le temps que Chimp me ressorte de la crypte, nous avions déjà atteint la dernière période glaciaire. Nous avons ensuite traversé le paléolithique : cinq mille portails construits – dont seulement trois cents ayant eu besoin de viande sur le pont – avant même de terminer notre premier tour de la Voie lactée.
J’ai laissé tomber après les australopithèques. C’était un jeu idiot, une jeu de gamins, voué à l’échec depuis le début. Nous n’étions que des hommes des cavernes. Seule la mission était transcendante.
Je ne sais pas trop pour quelle raison je me suis remise à ce passe-temps puéril. J’en avais tiré la leçon la première fois et entretemps, l’espace n’avait fait que se dilater. J’ai réessayé quand même, après que tout avait tourné au vinaigre : j’ai consulté les horloges, soustrait les siècles. On avait désormais bouclé notre trente-deuxième tour du disque, et laissé plus de cent mille portails dans notre sillage. Nous avions raflé tellement de matières premières qu’en baissant les yeux sur nous, Dieu pourrait sans doute retracer notre itinéraire grâce à la grossière spirale des bulles minuscules que nous avions dépouillées de toute leur glace et tous leurs cailloux.
Soixante-six millions d’années, d’après l’ancien calendrier. Voilà depuis combien de temps on avait pris la route. Ce qui nous ramenait aux limites du Crétacé.
À quelques millénaires près, la révolution a éclaté le jour où un des semblables en modèle réduit de l’Eriophora s’est écrasé sur la Terre et a anéanti les dinosaures.
Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve ça plutôt drôle.
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Nous arrivions sur la passerelle, seuls ou à deux, nous nous regroupions autour de notre Némésis en jouet miniature et la regardions pétrifiés. Ce disque mortel de gaz incandescent. Cette minuscule gueule noire en plein milieu, des étoiles lointaines s’étalant sur son pourtour comme autant de taches lumineuses. Le collier ténu en hyperdiamant allant d’ici à là, convoyeur gravitationnel ne cessant de récolter sur l’ergosphère de précieuses aliquotes d’énergie qu’il rapportait à nos accumulateurs. Un demi-million d’unités flirtant avec l’anéantissement : l’usine entière, dispersée, en mouvement constant, chaque processeur et raffinerie et fabricatrice se regroupant en agrégations assez complexes pour vous donner mal à la tête. Nous les regardions sans mot dire, parfois des heures durant, hommes des cavernes regroupés autour d’un feu de camp qui trouvait le moyen de nous laisser transis de froid.
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Je savais que les choses devaient changer. Je savais que mon stupide attachement affectif à un logiciel m’avait cachée que nous étions, au bout du compte, des outils à utiliser et jeter au gré de la fonction utilitaire d’un ingénieur mort.
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