La vérité sur le mensonge

Le sentiment qu’il n’avait pas mérité d’être adulé toute sa vie pour un film qui n’était que le produit du hasard.

La seule chose qui m’enthousiasmait depuis mon plus jeune âge, c’étaient les films. Et maintenant je pouvais réaliser moi-même les classiques que j’avais aimés, et cela avant même que leurs auteurs d’origine le fassent. J’étais dans un putain d’Eldorado. Ou pour le dire autrement : dans l’avenir je n’étais peut-être qu’un médiocre copieur, mais ici dans le passé je pouvais être un pionnier et devenir le plus grand.

Aussi fou que ça puisse paraître : jusque-là, peut-être aussi à cause du choc, l’idée ne m’était pas venue de tirer parti de là d’où je venais. Mais après je n’ai plus pensé qu’à ça. Les développements politiques, Facebook, l’Internet, les événements sportifs, les tubes musicaux, Apple, Google. Je jouissais d’un savoir béni qui pouvait faire de moi un des hommes les plus riches de la planète, il aurait fallu être une triple buse pour ne pas s’en servir.

On m’a libéré, mais j’étais toujours prisonnier de cette foutue année 1973. D’un point de vue réaliste il n’y avait que trois possibilités. Soit j’étais devenu fou. Soit j’étais dans l’au-delà, ou plus exactement dans une sorte de coma éveillé. Soit j’avais vraiment atterri dans le passé en prenant cet ascenseur. Peut-être les trois à la fois.

Les gens m’ont regardé avec une certaine perplexité entrer dans le hall d’accueil d’un air apeuré, mes deux pizzas au salami sur les bras. Mais de mon côté je les trouvais tout aussi étranges. Leurs fringues, leurs coiffures, le mobilier : tout évoquait les années soixante-dix telles que je les connaissais à travers le cinéma. J’étais à peu près certain maintenant d’être dans un show télévisé, mais surpris quand même par la rapidité du changement de décor. Bon, très bien, ai-je pensé, c’est ce jeu débile qui continue.

Il m’a suivi des yeux comme un roi qui regarde avec un peu d’agacement, mais pas mécontent non plus, un mendiant ivre qu’on fiche à la porte de son palais.

Quand des gens dans la rue lui disaient qu’ils aimaient ses films, ça le mettait toujours un peu mal à l’aise, il ne recevait à peu près jamais de journalistes. La première fois que je l’ai rencontré, j’avais les mains moites et du mal à respirer. Le grand George Lucas acceptait de me parler !

J’ai écrit plusieurs scénarios, sans succès. La plupart de mes idées existaient déjà. Mes camarades d’école et moi-même ne faisions que citer nos maîtres, mais le cinéma s’était enlisé entre les petits films indépendants interchangeables et les grosses bouses avec des super-héros. Je me suis souvent imaginé ce que ça aurait été d’être né plus tôt et d’avoir connu le temps des pionniers du New Hollywood, celui où Coppola, Lucas, Kubrick et tous les autres ont changé le cinéma pour toujours.

Enfant illégitime, père inconnu, mère toxicomane, ayant grandi dans la rue comme une sorte d’orphelin. Aimant depuis toujours le cinéma, m’imaginant dans d’autres lieux, de préférence loin de la terre, dans l’espace, où j’ai fini par m’inventer des aventures.

Capote proposa Lolita. Seuls les cancans du début de la nuit l’avaient intéressé, il se fichait pas mal de la lecture. Mais il voulait provoquer, et quelqu’un répliqua en effet d’un ton indigné que c’était un livre « bien trop dégoûtant ». Nabokov reçut l’outrage avec un petit froissement prétentieux.