Dans ce triste lopin sablonneux strié d'une corde à linge s'étiolent toutes sortes de légumes : choux avec des feuilles en dentelle, petits pois aux vrilles vagabondes, citrouilles envahissantes. En Australie, il est bien vu d'avoir son propre potager tout en obligeant l'épicier à vous vendre bon marché ses variétés défraîchies. Le jardin des Lockhart reflète les échecs d'Ally et les manquements d'Harold. Et regorge d'oiseaux que personne ne remarque - en train de chiper les asticots qui prolifèrent grâce aux audaces potagères d'Ally. Et de chats - présents pour les oiseaux et aussi les poubelles renversées -, matous aux bajoues rebondies prêts à tout pour défendre leur os de côtelette. Harold ne leur porte aucune attention, sauf quand l'intérêt esthétique des nuances de leur pelage l'interpelle. Et Ally ne prend conscience de leur existence que lorsqu'elle longe les brouissailles solitaires des lantaniers dans sa guimbarde.
Viva ouvrit le couvercle de la boîte. Tu découvris un carré de satin blanc splendidement cousu de fil d'or. Elle le fit glisser et révéla un objet noir pas plus grand que le poing.
- On croirait pas, s'exclama Viva d'une voix affreuse, que c'était auparavant une tête humaine.
Irène ne prit pas le temps de s'arrêter pour penser, car elle ajouta immédiatement l'objet à son monde personnel. Quelques poils grossiers adhéraient encore au cuir chevelu de petite dimension, et ceux du menton ressemblaient plus à du fil de fer peu épais. Mais c'étaient les fentes où se trouvaient autrefois les yeux et la bouche qui donnaient vraiment le frisson.
Les Australiens ne naissent que pour vivre. Finir au ci fière ou au crématorium est une pensée insupportable. Alors on n'y pense pas.
À Sydney, semble-t-il, les ponts ne relient pas, ils séparent.
Ce soir, je suis le jeu de construction que personne n'assemblera même si aucune pièce ne manque. (p.103)
Ally assommée de gin murmure:
- C'est lors de telles nuits qu'on engendre les enfants. Dieu merci j'ai passé l'âge. (p.123)
La nuit est peut-être la meilleure partie de la vie, si t'es toute seule et possèdes une voiture. (p.93)
L'obscurité de la pièce accentuait la blancheur de sa peau. Encore l'une de ces femmes que le climat de Sydney avait cuites à la vapeur plutôt que dorées au four. (p.76)
Le rire du directeur chuinte comme un pneu collant sur une route accidentée. (p.56)
Madame Bulpit était une femme au teint pâle, seule sa bouche était maquillée. Ses avant-bras, ses mains et son visage auraient pu avoir été moulés dans du massepain nature. Ses lèvres brillantes de graise cramoisie dessinaient un petit arc d'un coloris assorti aux ongles de ses mains. (p.5)