Il est certaines vérités que nous connaissons tous, mais que nous sortons rarement de nos tiroirs pour les regarder en face. Nous savons tous que quelque chose d'éternel existe. Et que ce ne sont ni les noms, ni les maisons, ni la terre, ni même les étoiles... nous sentons dans notre colonne vertébrale qu'il y a quelque chose d'éternel, et que ce quelque chose est humain. Nos grands esprits nous le répètent depuis cinq mille ans, et pourtant les gens perdent cela de vue à chaque instant. Au plus profond de chaque être humain se trouve une part d'éternité.
Donc, vous qui vivez mille ans après nous, voici ce que nous étions, dans les provinces au nord de New York, au début du vingtième siècle.
Vous savez comme moi que les morts ne s'intéressent plus guère à nous, les vivants. Par degrés, petit à petit , ils perdent le lien avec la terre... avec leurs anciennes ambitions... leurs anciens plaisirs... les épreuves qu'ils ont traversées... les gens qu'ils ont aimés.
Ils se font sevrer de la terre : c'est ainsi que je vois les choses.
Sevrer de la terre.
Ils restent ici le temps que leur part terrestre se consume et s'éteigne ; et pendant ce temps ils se désintéressent peu à peu de Grover's Corners.
Ils attendent. Ils attendent quelque chose qu'ils sentent venir. Quelque chose d'important, de grandiose. Attendent-ils que les brumes se dissipent autour de leur part éternelle ?
Donc, vous qui vivez mille ans après nous, voici ce que nous étions, dans les provinces au nord de New York, au début du vingtième siècle. Nous voici : dans notre adolescences, nos mariages, notre vie quotidienne et notre mort.