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Citations sur Essais choisis (15)

Pour pouvoir écrire une critique littéraire, il me fallait affronter un fantôme en particulier. Ce fantôme était une femme. Quand j'appris à mieux la connaître, je la baptisai du nom de l'héroine d'un poème célèbre, L'Ange dans la Maison (de Coventry Patmore, 1862). C'était elle qui se glissait entre ma feuille et moi quand j'écrivais mes critiques. C'était elle qui m'agaçait, me faisait perdre mon temps et me tourmentait tant que pour finir je la tuai. Vous qui appartenez à une génération plus jeune et plus heureuse, vous n'avez peut-être pas entendu parler d'elle -- cet Ange dans la Maison n'évoque peut-être rien pour vous. Je vais tenter de la décrire aussi brièvement que possible. Elle était intensément bienveillante. Elle était immensément charmante. Elle n'était absolument pas égoïste. Elle excellait dans les arts délicats de la vie domestique. Elle se sacrifiait au quotidien. S'il y avait du poulet, elle prenait une aile; s'il y avait un courant d'air, elle s' y asseyait; – bref, elle était ainsi faite qu’elle n’avait nulle pensée, nul désir qui lui fût propre, préférant toujours partager les pensées et les désirs des autres. Avant toute chose – faut-il le rappeler – elle était pure. Sa pureté – ce rose qui lui venait aux joues, sa grâce exquise – était censée être sa principale beauté. À cette époque – la fin du règne de la reine Victoria – chaque foyer avait son ange. Et quand je me mettais à écrire, elle apparaissait dès mes premiers mots. L'ombre de ses ailes planait sur ma page; j'entendais le froufrou de ses jupes dans la pièce. Dès que je prenais la plume pour écrire la critique du roman d'un écrivain célèbre, elle se glissait derrière moi et murmurait à mon oreille: "ma chère, vous êtes une jeune femme. Vous écrivez sur l'oeuvre d'un homme. Soyez bienveillante; soyez douce; flattez; trompez; faites usage de tous les artifices de votre sexe. Ne laissez jamais personne deviner que vous avez un esprit bien à vous. Et plus que tout, soyez pure."

(Professions pour les femmes, 1931)

Note: ce recueil contient trente textes, publiés entre 1905 et 1942, regroupés en quatre chapitres, les titres sont de Catherine Bernard:
1) La lectrice: textes critiques sur Montaigne, Defoe, Conrad, Madame de Sévigné, Jane Austen, Les soeurs Brontë...
2) Formes de la modernité: Mr. Bennett and Mrs. Brown, Le cinéma, Impressions de Bayreuth...
3) Expérience et écriture: Promenade nocturne, En route pour l’Espagne, Le soleil et le poisson, Par les rues : aventure londonienne, De la maladie
4) Dire son temps: Professions pour les femmes, Orage sur Wembley, Souvenirs d’une coopérative d’ouvrières, Considérations sur la paix en temps de guerre.
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Parmi la multitude de biographies produites, seules une ou deux se révèlent bien ce qu’elles prétendent être. Dès qu’ils se confrontent à leur propre spectre, même les plus audacieux d’entre nous prennent la fuite ou détournent les yeux. Et c’est ainsi qu’à la place de l’honnête vérité qui nous intimerait le respect, on ne nous offre que ces timides aperçus biaisés qui prennent la forme d’essais, et, pour l’essentiel, sont dépourvus de cette vertu cardinale qu’est la sincérité.
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L'esprit de Jane Austen va de pair avec un goût parfait. Ses imbéciles sont des imbéciles, ses snobs des snobs car ils dérogent au modèle de raison et de clarté qu'elle a en tête et qu'elle nous transmet tout en suscitant l'amusement. Nul autre romancier n'a pu se prévaloir d'un sens plus incontestable des valeurs humaines.
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En résumé, l'âme est toute entière traversée d'émotions et de sympathies qui affectent la moindre de ses actions et pourtant, même en 1580, nul ne sait avec certitude - nous sommes si timorés, nous chérissons tant les sages conventions - comment elle fonctionne ni en quoi elle consiste, si ce n'est qu'elle est, de toutes les choses, la plus mystérieuse, et notre être la créature la plus étrange et la plus miraculeuse qui soit. "Plus je me hante et connais, plus ma difformité m'étonne. Moins je m'entends en moi." Observez, observez toujours et, tant qu'il y aura de l'encre et du papier, "sans cesse et sans travail", Montaigne écrira.
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Au-delà des généralités, il n'est guère difficile de montrer, preuves à l'appui, que la belle saison de la lecture se situe entre dix-huit et vingt-quatre ans. La seule liste de ce que l'on a lu alors remplit de désespoir le coeur des plus avancés en âge. C'est moins le nombre de livres lus, que le simple fait que nous ayons eu devant nous de tels livres à lire qui impressionne.
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C'est comme si Emily Brontë parvenait à défaire tout ce par quoi nous connaissions les êtres humains et à insuffler à ces ombres méconnaissables un tel souffle de vie qu'elles transcendent la réalité. Elle jouit du don le plus précieux qui soit. Elle avait le pouvoir d'émanciper la vie du poids des faits, de suggérer en quelques touches l'essence d'un visage qui n'avait dès lors nul besoin d'un corps ; et en disant la lande, de libérer le souffle du vent et le fracas du tonnerre.
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Les écrivains qui n'ont qu'eux-mêmes pour tout objet et toute limite sont en effet plus puissants que ceux à l'esprit plus large et plus éclectique. Leurs sensations sont concentrées et précisément inscrites dans les limites d'une étroite enceinte. Rien ne jaillit de leur esprit qui ne porte l'empreinte de leurs propres émotions. Ils n'apprennent rien ou presque des autres écrivains et le peu qu'ils en retirent leur reste finalement étranger.
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N'importe quel biographe, pour peu qu'il s'en tienne aux faits, nous livre bien plus que quelques données de plus à ajouter à notre collection. Il nous livre les faits les plus créatifs ; les faits les plus fertiles ; les faits les plus suggestifs et inspirants. De ceci aussi nous avons la preuve indubitable. Car souvent, après avoir lu une biographie sans y accorder grande attention, une scène nous reste en mémoire, une silhouette subsiste dans un recoin de notre esprit, qui susciteront ensuite, à la lecture d'un poème ou d'un roman, une sensation de reconnaissance, comme si nous nous souvenions alors de quelque chose que nous avions su jadis.

L'art de la biographie
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Rien n'est extérieur au monde de Dostoïevski ; et quand bien même il est las, il ne s'arrête pas, il continue. Il ne peut se contenir. Et c'est toute l'âme humaine qui se déverse sur nous, chaude, brûlante, diverse, merveilleuse, terrifiante et suffocante.

Le point de vue russe
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Les romans de Dostoïevski sont des tourbillons frémissants, des tempêtes de sable tournoyantes, des tornades stridentes et bouillonnantes qui nous aspirent. Ils sont tout entiers composés de la matière même de l'âme. Contre notre gré, nous sommes entraînés, pris dans une ronde vertigineuse, aveuglés, asphyxiés, et en même temps pris d'une étourdissante extase.

La lectrice - Le point de vue russe
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