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Critique de larmordbm



Instants de vie est un recueil de textes autobiographiques, inédits jusqu'en 1976, choisis parmi les archives Woolf transmises par l'exécutrice testamentaire de Virginia Woolf à la bibliothèque universitaire du Sussex, et complétés d'un texte sur son père découvert dans les archives en 1980.
Le premier texte qui porte sur des souvenirs d'enfance date des années 1907-1908, le second, le plus long, riche et passionnant, de 1939-1940, soit un an avant le suicide de l'autrice. Les trois derniers sont des conférences sur Bloomsbury données dans les années 20.
Que retenir de l'ensemble de ces écrits ? La principale dimension est celle de l'enfance et de la jeunesse de Virginia au sein d'une famille victorienne, recomposée et nombreuse. Ses parents, veufs l'un et l'autre, avec des enfants chacun de leurs côtés, en ont eu ensemble quatre, deux garçons et deux filles, dont Virginia, l'avant-dernière de la lignée. Ils seront au total huit, dont Laura, la fille handicapée de Leslie Stephen, éminent historien, biographe, professeur des universités.
Virginia sera profondément marquée par les deux figures maternelles, disparues à quelques années d'intervalle, quand elle était adolescente, que seront celles de sa mère, Julia Prinsep Jackson, et de sa demi-soeur, Stella, qui avait repris son flambeau au sein de la famille, auprès de son beau-père notamment. Ces deux femmes, belles, solaires, dévouées et dotées de solides compétences d'organisation et d'animation, ont joué un rôle majeur dans l'éducation de la future autrice. Leur disparition a laissé chez elle une trace indélébile et a provoqué ses premiers et graves épisodes de dépression. Vanessa, future peintre, prendra bientôt le relais et formera avec Virginia une coalition dans l'adversité.
Chez les Stephen, les femmes entretiennent des relations fusionnelles, symbiotiques, et Virginia devra attendre d'écrire La promenade au phare, pour parvenir à se détacher de sa mère.
A ces deux morts prématurées, viendra s'adjoindre celle de Thoby, son frère le plus proche.
Virginia dépeint un milieu conservateur, cloisonné, patriarcal, pétri de conformisme et de bienséance, où les filles ne vont pas à l'école, sont éduquées à la maison, quand les garçons suivent des études dans les plus grandes universités. Elles sont à leur service et Virginia n'hésite pas à parler d'esclavage.
Il nous faut parler à présent du père, dont la personnalité tyrannique, scelle l'alliance entre les deux soeurs, et permet de comprendre les fondements de la pensée féministe de l'autrice. Leslie Stephen, personnage égocentrique, histrionique, s'apitoyant sur son sort, se comporte comme un enfant gâté et exerce un pouvoir démesuré sur les femmes de son entourage. Virginia reconnaît une ambivalence à son égard, car il lui ouvre les portes de sa bibliothèque et entretient avec elle une proximité intellectuelle.
Ajoutons à ce tableau complexe, l'évocation rapide d'épisodes incestueux avec ses deux demi-frères.
Au delà de cette immersion dans la société londonienne cultivée du début du XXème siècle, Instants de vie nous éclaire à plusieurs reprises, de manière saisissante, sur les ressorts et les sources de l'écriture de cette écrivaine de génie aux recherches formelles novatrices. Elle évoque notamment des sensations d'"être" et de "non-être" au cours des journées qui semblent faire référence à des visions, à des "chocs" qui lui permettent de voir au-delà des apparences, et d'appréhender une sorte de "réalité" ou de vérité des choses, dont on peine à mesurer pleinement le sens. Elle fait preuve d'une sorte de don de voyance et la traduction en mots l'aide à ne pas basculer de l'autre côté du miroir.
"C'est une idée que je ne perds jamais de vue, que derrière l'ouate se cache un dessin."
Lors d'une visite récente de l'exposition de Julia Margaret Cameron, photographe pionnière, au Jeu de Paume, je fus irrésistiblement attirée par le portrait d'une très belle femme. Il s'agissait de Julia, la mère de Virginia, et la nièce de la photographe, ce dont je ne me doutais pas...
Instants de vie est un beau document qui complète judicieusement le journal de l'écrivaine.
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