Il faut que je me remplisse la tête d'air et de lumière et que je marche, et que je m'enroule dans une couverture de brouillard.
La vie est-elle très solide ou très instable? Je suis hantée par ces deux hypothèses contradictoires. Cela dure depuis toujours, durera toujours, et plonde au tréfonds du monde sur lequel je me tiens en ce moment. Mais elle est également transitoire, fugitive, diaphane. Je passerai comme un nuage sur les vagues. Peut-être, bien que nous changions, que nous volions les uns après les autres, si vite, si vite, sommes-nous aussi successifs et permanents, nous, êtres humains à travers lesquels passe la lumière. Mais quelle est cette lumière?
Cela ne vaut rien d'écrire après la lecture d'Amour pour Amour. Un chef-d'œuvre. Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point c'était bon. Et quel stimulant que de relire ces chefs-d'oeuvre ! Cette langue anglaise dure et superbe. Oui. Il faut toujours tenir les classiques à portée de sa main afin d'éviter le facile. (p446)
Je ne serai pas célèbre ou grande.
Je continuerai à être aventureuse, à changer, à suivre mon esprit et mes yeux, refusant d'être étiquetée, et stéréotypée.
L'affaire est de se libérer soi-même :
trouver ses vraies dimensions, ne pas se laisser gêner.
Maintenant c'est la poésie que je veux, c'est pourquoi je me repens comme un matelot ivre à la porte d'une taverne...
J'ai pris position. Je n'ai peur de rien. Je peux faire ce qui me plaît. J'ai cessé d'être célèbre, d'être sur un piédestal, je ne suis plus annexée par des "sociétés", je suis indépendante à jamais. Voilà mon sentiment ; c'est une impression de délassement comme lorsqu'on enfile des pantoufles.
Je travaille à Jacob tous les matins maintenant, considérant le labeur quotidien comme une barrière qu'il faut sauter, le cœur sur les lèvres, jusqu'à ce que l'obstacle soit franchi avec élégance ou en accrochant une traverse, peu importe.
Je ne veux rien écrire dans ce livre, que je n'aie plaisir à écrire. Mais écrire est toujours difficile.
Il va maintenant falloir parler à la radio le 29. Le thème est celui-ci : "On ne peut faire métier des mots." Je laisserai tomber le titre et parlerai des mots et pourquoi ils ne veulent pas qu'on fasse d'eux un métier. Ils disent la vérité, ils ne sont pas utiles. Et qu'il devrait y avoir deux langages : la fiction et les faits. Les mots sont inhumains, ne veulent pas gagner d'argent, réclament l'intimité. Pourquoi? Pour leurs enlacements. Pour continuer la race. Un mot mort. Les puristes et les impuristes. Ce ne sont là que des impressions, non des fixations. Je respecte les mots, moi aussi. Associations de mots. Nous pouvons facilement créer des mots nouveaux : Squish squash ; cric crac, mais nous ne pouvons pas nous en servir pour écrire.
C'est une erreur de croire que la littérature peut être prélevée sur le vif.
(p. 87)