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Critique de brigittelascombe


Le phare, cette balise permettant d'aborder des eaux plus calmes, se retrouve dans les trois axes principaux de la promenade au phare de Virginia Woolf dont la prose sensible et poétique crée une aquarelle aux reflets lumineux changeants dans le contexte vacancier des Nouvelles Hébrides battues par les vagues et le vent.
Le cadre est une immense maison délabrée où gravitent une famille de huit enfants et plusieurs amis ou connaissances.
Le phare "blanc sur l'eau bleue", peint de loin et de façon très réaliste par Lily Briscoet est déjà dans les lieux sous forme allégorique. Mrs Ramsay "des étoiles dans les yeux,des voiles dans les cheveux,parée de cyclamens et de violettes des bois" incarne le bonheur éclairant de ce havre de douceur et de paix. Charles Ramsay, son époux, philosophe, fier de sa beauté rayonnante, puise dans ses yeux l'assurance de son génie (ne le considère-t-elle pas comme "le plus grand métaphysicien"?). Elle est lumineuse pour ses enfants ("Voici l'être qu'il nous faut"). Elle est "aile d'argent" pour les uns, elle "porte le flambeau de sa beauté" pour les autres.
Sa mort et celle de deux de ses enfants sera tempête, mais cette promenade au phare réalisée concrètement quelques dix ans plus tard dans une balade en bâteau sera renaissance (par l'acceptation des deuils subis),passation de pouvoirs (d'un père austère à un fils en quête d'approbation), liberté (arc-en-ciel qui soudain percerait la grisaille de la brûme environnante).
Beaucoup d'éléments de la vie de l'auteur (lieu de vacances,figure paternelle du philosophe lointain et admiré, mère parfaite disparue trop tôt,milieu bourgeois et intellectuel) se retrouvent dans cet ouvrage.
J'ai aimé les images extrêmement poétiques qui déferlent à chaque coin de phrase comme Mrs Ramsay; beauté presque surnaturelle, panier au bras, ombrelle déployée, qui file, ondoyante et sereine,à travers les dunes vertes, "pays lunaire et inhabité des hommes"; figure de proue de cette ile-navire tenant bon la barre à travers le temps.
J'ai aimé le ressac des mots "chute monotone des vagues sur la plage", le "roulement cadencé des pensées", le rythme psalmodié entrecoupé de vers de Tennyson.
J'ai aimé les "sens avivés", le regard intense de Lily Briscoet captant "la pulsation de la couleur qui inonde le golfe de bleu", son évolution qui, malgré son insignifiance, retranscrira l'émotion entre conception et réalisation de son tableau pour imposer sa vision et entraîner le lecteur dans l'art pictural du XIX° siècle marqué par le passage d'un simple réalisme à un impressionisme inspiré.
Virginia Woolf auteur phare de la littérature anglaise, influencée par Proust et Joyce,appréciée pour ses envolées lyriques et l'émergence de ses voix intérieures laisse sous-entendre, dans La promenade au phare, une série d'interrogations sur la vie,l'amour,l'art,la lutte contre la fuite du bonheur et le dépassement du deuil qu'elle clot par l'espoir.
Une vision moins angoissée que celle de Mrs Dalloway, roman dans lequel transparaît sa propre fêlure puisqu'elle se suicidera par la suite et Entre les actes dans lequel son souhait prémonitoire "Puisse l'eau me recouvrir" se réalisera malheureusement.
Les grands poétes sont-ils des dépressifs entrainés par leur propre vertige ?
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