Les mémoires de cette jeune sage-femme, à peine adulte, qui apprend le métier dans un quartier marqué par la misère, les logements insalubres et surpeuplés, à une époque où la contraception n'existe pas (et les statistiques que cite l'auteur sont édifiantes!), se lisent comme un roman. C'est à la fois touchant, passionnant, éclairant, drôle et effrayant. Drôle, parce que Jenny et ses comparses n'ont pas leur langue en poche. Effrayant parce que certaines situations font franchement froid dans le dos. Il est difficile, vraiment, de se dire que nous sommes à Londres dans les années 50, tant le décalage est énorme avec nos confortables grossesses. C'est parfois tout simplement incroyable !
Chaque chapitre est centré sur une mère, un bébé, une famille -même si on en retrouve certains un peu plus loin- et ce fut pour moi vraiment addictif. Je me suis totalement immergée dans ces récits, dans ces immeubles officiellement vidés mais toujours occupés par des familles toujours plus pauvres et nombreuses, où les logements sont dépourvus de sanitaires, où l'on s'estime heureux de bénéficier d'eau courante, même froide. J'ai souvent souri, parfois ri, parfois eu le nez froncé et le coeur au bord des lèvres.
J'ai tremblé pour une future maman et son bébé, menacés par le manque de soins, d'hygiène, ou la fatalité. Je me suis dit et redit, toute opposée que je suis à l'hypermédicalisation de la maternité, que j'ai bien de la chance d'avoir vécu mes grossesses et accouchements ici et maintenant. J'ai salué le travail de ces sages-femmes, travail ô combien indispensable et difficile, ne serait-ce qu'à cause du manque de moyens dont elles disposaient pour se déplacer. J'ai applaudi ce médecin qui, confronté à un accouchement pourtant difficile, reconnaît toutes les connaissances et les responsabilités de la sage-femme, à qui il laisse toute la place possible. J'ai été émue, des souvenirs sont remontés, j'ai revu la naissance de mes deux loulous et revécu ces moments, les yeux un peu mouillés (en public, ça fait toujours bien). J'ai fondu avec ces parents qui tiennent leur bébé contre eux pour la première fois comme s'il était le premier nourrisson du monde, même quand il s'agit de leur 24ème enfant (si si!). J'ai applaudi ce papa qui, avec plusieurs décennies d'avance, vit totalement ce rôle, se met de lui-même en congé de paternité pour rester auprès de son épouse fatiguée par sa fin de grossesse et qui participe à l'accouchement, au grand étonnement des sages-femmes qui n'y sont bien sûr pas habituées (et dire que tout cela nous semble tellement normal actuellement...). J'ai été horrifiée par la description des workhouses, ces asiles pour pauvres, dans lesquels les familles étaient séparées, sans aucun contact possible, et qui m'ont mis les larmes aux yeux, à la pensée de toutes ces vies brisées. J'ai eu le coeur serré pour toutes celles qui subissent cette société dans laquelle une femme n'a guère d'autre voie que celle de la (nombreuse) maternité et où la perte d'un mari entraîne toute la famille dans la misère la plus noire, voire dans la prostitution. J'ai apprécié cette héroïne, sa motivation, sa volonté, mais aussi et surtout sa franchise : elle ne se cache pas derrière une image d'elle-même qu'elle voudrait parfaite, elle avoue ne pas aimer certaines visites, certaines patientes, être dégoûtée par les odeurs, les maladies, espérer y échapper parfois.
Et enfin, j'ai râlé. J'ai râlé, et je râle encore, de frustration, parce qu'il existe une suite en VO et que je n'ai vu aucune trace d'une prochaine traduction...
En bref, c'est un livre qui, en plus de m'apprendre plein de choses sur l'obstétrique et la vie à Londres dans l'après-guerre (l'ouvrage fourmille de notes et d'explications qui facilitent la compréhension), m'a entraînée dans un tourbillon d'émotions. Je m'attendais à être intéressée et touchée, mais pas à m'y plonger aussi intensément et à ressentir autant d'émotions différentes, passant au fil des pages du rire aux larmes et de la crainte au soulagement, le tout traversé par une grande humanité.
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