Citations sur Gabacho (99)
Pourtant, avant, je me contentais de si peu, juste de la regarder c'est tout ; ensuite j'ai juste voulu qu'elle me voie, c'est tout, puis qu'elle soit mon amie et c'est tout... Pourquoi maintenant que je connais la nuance de ses lèvres, j'ai l'impression de plus rien avoir du tout ? Pourquoi je me sens plus vide que quand j'avais vraiment rien ?
P. 314
L'avenir, j'imaginais que ça reviendrait à tracer ma route sans compter les jours, les heures empoisonnées, les secondes cadavériques qui s'annihilent en s'unissant les unes aux autres pour former des légions de soixante suicidaires.
P.31-32
Pour quinze mille balles à peu près, il voulait bien me faire traverser la frontière jusqu’à un lieu sûr. Mais j’avais pas un sou, moi. Alors je me suis lancé, comme ça, pour sauver ma peau et aussi parce que j’avais pas d’autre plan. Je voulais juste fuir et rêver, quel rêve, bordel, me tirer et passer de l’autre côté. Du coup, quand j’ai chopé une insolation, après avoir marché des heures dans le désert, eh ben, j’ai bu ma sueur, et après avoir marché encore plusieurs heures, j’ai bu ma pisse ; c’est que j’ai traversé tout seul, moi, comme un brave.
Depuis que je suis arrivé dans ce foutu pays, je suis pas calme. J’ai pas passé un seul jour tranquille. Toujours aux aguets, à l’affût, guettant de tous les côtés, prêt à fuir, entortillé de marasmes parce que je suis en sécurité nulle part.
C’est que là-bas, au Mexique, t’as que tes poings pour survivre, c’est pour ça que je suis venu ici, parce que j’en avais ras-le-cul de me la passer à galocher le sol, à lui mordre les entrailles, à la terre.
Ça fait longtemps que je me suis fait la remarque que les fils à papa, ils se tiennent toujours droits comme des I ; nous autres, paumés, crevards, guignols ou mectons, on marche tous comme des singes, comme si on avait pas été touchés par l’évolution. On dirait qu’on se sent inférieurs et que si on se tient le dos courbé, c’est à cause de notre queue rose de mandrill. Comme si on était déjà battus d’avance, que c’était une clause divine, charonique, une saloperie de destin irréversible.
C’est peut-être ça l’amour, une pluie de miroirs qui reflètent notre propre vide ?
Je hausse de nouveau les épaules. Je sens que je vais gerber, là, au milieu de tous ces litres d’encre que les imprimantes ont gâchés pour éclabousser de lettres tant de livres. C’est pas que j’ai peur de me faire tabasser. Pendant l’embrouille de tout à l’heure, j’avais le pouls sous sparadrap, cataleptique. J’étais serein. J’aurais pu tabasser tous ces crevards et faire passer en même temps un chameau par le trou d’une aiguille. Non, les chocottes, je les ai pour les gisquettes, surtout quand elles sont belles, qu’elles en jettent.
Quand je suis venu à bout de mes idées de classement, je me suis mis à trier les romans en fonction de la tronche de leurs auteurs sur la photo : ceux qui avaient l'air de crevards, clochardesques, moches à souhait, je les plaçais tout devant, histoire que ce soient eux qu'on voie en premier quand on rentrait par hasard dans la librairie. Les autres, les écrivains jolis-coeurs qui portaient la cravate et prenaient une pose d'intello prétentieux sur leur photo, avec un look aussi propret que leurs mots bien comme il faut, je les plaçais tout en bas, dans l'enfer des livres, histoire que même leur mère, elle puisse pas mettre la main dessus : ils étaient trop imbus d'eux-mêmes, ces trous de balle."
« Dis-moi, Liborio, m’a demandé Naomi deux jours après avoir pris Don Quichotte de la Manche, ça veut dire quoi rhabdomancien, en abondance, panoptique, cestui-là, yard, lépreux, abside et pourboire ?
– Je veux bien t’expliquer, mais seulement si toi, tu me dis ce que ça veut dire googler, twitter, stalker, runner, linker, Instagrammer, Whatsapper, parce que je capte que dalle ! »