Roman déroutant. Roman difficile. Roman majeur. Roman à faire connaître et à relire.
Roman déroutant et de lecture difficile à cause de sa trame faite de nombreux entrelacs comme une corde est faite de plusieurs brins, roman déroutant par ses digressions, ses chapitres et sous-chapitres imbriqués sans autre titre qu'un numéro, roman déroutant par les récits intercalés des parcours d'un personnage à un autre (au point que l'on parfois du mal à savoir qui est qui), roman déroutant par son style, tantôt calme comme une eau dormante, tantôt turbulent comme un torrent, roman déroutant par les va-et-vient entre deux villes et allers-retours dans le temps.
Roman déroutant certes, mais roman majeur de la littérature en langue française, roman envoûtant précisément par cette fresque-collage de grande ampleur qui restitue le portrait d'une Algérie à l'époque où elle pressentait la possibilité d'une indépendance qui la libérerait du sentiment d'asservissement subi depuis plus d'un siècle et de l'humiliation associée.
Tandis que les tribus se délitent, quatre manoeuvres errants sont fascinés par une belle et évanescente métisse. Cette femme,
Nedjma, apparaît de façon intermittente comme un point focal autour duquel gravitent les quatre hommes ; elle peut être vue à la fois comme une double métaphore : celle de l'indépendance à venir et celle du métissage des cultures.
Quarante ans après la première édition,
Gilles Carpentier a écrit une préface qui commence par une pépite extraite d'une lettre de 1957 dans laquelle Yacine s'adresse à Camus ―qu'il apostrophe d'un superbe "Cher compatriote"― : "Exilés d'un même royaume, nous voici comme deux frères ennemis (...) ayant superbement rejeté l'héritage pour ne pas avoir à le partager. Mais voici que ce bel héritage devient le lieu hanté où sont assassinées jusqu'au ombres
De La Famille ou de la Tribu, selon les deux tranchants de notre verbe pourtant unique".
Comment ai-je pu ignorer jusqu'à présent un roman d'une telle ampleur ?