AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,55

sur 204 notes
5
7 avis
4
3 avis
3
7 avis
2
0 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
« Aujourd'hui, 8 mai, est-ce vraiment la victoire ? »


Dans Nedjma de Yacine Kateb, Lakhdar et Mustapha se posent la question alors qu'ils ont déserté l'école pour se rendre dans la ville de Sétif, en Algérie. La cérémonie officielle fête l'indépendance française pendant qu'une contre-manifestation populaire écrit au couteau, dans le bois des pupitres et des portes « Indépendance de l'Algérie ». A Sétif mais aussi à Guelma, à Kherrata et dans l'ensemble du Constantinois, les populations colonisées d'Algérie revendiquent leur droit à la liberté et à l'indépendance. Leurs revendications se termineront avec la mise à mort de 45 000 personnes et de nombreuses arrestations arbitraires. Yacine Kateb écrit sobrement : « Les paysans sont mitraillés. Deux fugitifs sont fusillés à l'entrée du village. La milice établit la liste des otages. Maître Gharib est désigné comme un des meneurs ». L'austérité de l'écriture ne doit pas faire croire au désintérêt ou à la retenue. C'est une façon puissante et déconcertante de suggérer l'indicible.


Avant Nedjma, il est difficile de trouver un récit francophone algérien de l'événement, soit que l'expression se fasse dans la langue idiomatique, soit que le récit se soumette aux critères de jugement esthétique et littéraire de l'élite culturelle. Celle-ci, on ne s'en doutera pas, provient de la métropole et qu'elle se veuille intransigeante ou bienveillante, elle ne manque pas d'étouffer l'expression d'une identité algérienne autonome par excès de conservatisme ou de paternalisme. Dans ce cas, est-il possible d'accéder au point de vue authentique d'un algérien s'exprimant en langue française à propos de l'asservissement colonial de l'Algérie et de sa quête d'indépendance ? Si le dialogue est incontestablement établi entre la France et l'Algérie, il reste unilatéral, se dirigeant de l'autorité métropolitaine à l'extension maghrébine.


Dans l'immédiat de l'après-guerre, les mentors de la littérature nord-africaine se nomment Albert Camus, Emmanuel Roblès, Gabriel Audisio… On l'aura compris, ce sont tous des européens de la colonie. En 1946, Roblès créa Forge, une revue littéraire bilingue ouverte aux jeunes auteurs « indigènes ». On pourrait se réjouir que page blanche leur soit laissée pour faire découvrir leurs oeuvres mais leurs opportunités de publication resteront en faits subordonnées au droit de regard des fondateurs européens de la revue. Ce sont eux les juges qui distribuent les bons points et accordent le droit d'apparition aux auteurs « indigènes » afin qu'ils transmettent le discours légitime –celui que veut entendre la métropole. Sans doute ne sont-ils pas conscients de la forme de censure dissimulée qu'ils infligent à ces jeunes auteurs. On retrouve en quelque sorte le phénomène de violence symbolique que décrira plus tard Pierre Bourdieu pour parler des rapports de force pouvant se produire entre deux ou plusieurs individus ou groupes d'individus placées sur des positions différentes sur l'échelle de la légitimité culturelle. Malgré leur réelle volonté d'ouverture, les fondateurs européens s'arrogent sans le remarquer un droit que les auteurs indigènes ne sont pas en mesure de réclamer : celui de la juste connaissance des formes littéraires légitimes.


Yacine Kateb va détonner en remettant en question la structure de cette fausse-communication unilatérale. En 1946, le poème « Bonjour » extrait de son recueil des « Soliloques » est publié dans Forge et retient l'attention du Gouverneur Général français Chataigneau. Celui-ci lui permet d'obtenir une bourse de séjour en France au printemps 1947 pour donner une conférence sur Abdelkader et l'indépendance algérienne. On se souviendra aussi du courage de Kateb lorsqu'il remet en question la hiérarchie officielle en adressant très directement une lettre à Gabriel Audisio, haut responsable de l'OFALAC pour la maîtrise de l'information dans le cadre des relations entre la France et l'Algérie. Il se présente à lui comme Verlaine avait adressé une lettre à Victor Hugo le 12 décembre 1858, dans l'humilité de la jeunesse cherchant le soutien du maître et dans la volonté de dépasser le modèle par la force de son énergie ardente. Yacine Kateb cherche alors à publier son premier roman qui s'intitulera Nedjma. le nom de cette jeune femme cristallise, à travers l'histoire de quatre branches d'une tribu se retrouvant autour de cette divine et effroyable amante, la figure insaisissable de l'Algérie. La publication ne se fera pas sans heurt. En automne 1952, Gabriel Audisio soumet l'ébauche du roman à la critique de son ami Roblès qui vient d'intégrer l'équipe éditoriale des éditions du Seuil, où il a créé la collection « Méditerranée ». Roblès se montre très dur et juge que la composition est chaotique, les personnages trop peu différenciés, le style obscur. Yacine Kateb vient d'infliger une terrible blessure narcissique à l'intellectuel français : malgré l'utilisation de la langue française, le discours lui est impénétrable et c'est ce qui le sépare définitivement de l'histoire algérienne.


Au cours de cette longue phase de maturation inspirée par les événements du 8 mai 1945 et soutenue par l'ambivalence des autorités françaises sur l'Algérie, Yacine Kateb ne cesse de travailler sur Nedjma, réduisant son contenu de 2000 à 250 pages environ et faisant circuler les fragments à l'intérieur d'une oeuvre en forme de mosaïque. Yacine Kateb nous parle de l'Algérie après l'indépendance française, dans ses errements à la recherche d'une identité nationale algérienne débarrassée de son asservissement colonial, sans jamais citer une seule fois explicitement la douleur du déracinement.


Aujourd'hui, le roman de Nedjma revient sur les devants de la scène de la littérature francophone. On rend gloire à cette figure de cette jeune femme qui est à la fois la cousine aimée, la femme fatale destructrice, incarnation de l'Algérie profanée pour laquelle on peut parfois mourir, et expression du deuil d'une génération brisée qui exalte la bâtardise. On rend gloire également à cette littérature dont la métropole a souhaité diminuer la légitimité, alors qu'elle semble aujourd'hui avoir su émettre une prémonition de l'Histoire de l'indépendance algérienne. Mais tous ces jugements sont encore ceux de la métropole sur l'ancienne colonie, et qui sait si le sens de Nedjma n'est pas encore enfoui sous notre volonté et notre prétention à nous faire les interprètes du sens de l'Histoire ?

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
Commenter  J’apprécie          541
On dit que Nedjma (première édition en 1956 ) est, dans l'oeuvre de Kateb (« l'écrivain » en arabe ) Yacine (1929-1989), le roman majeur . Il raconte l'histoire de quatre jeunes, Mustapha, Lakhdar, Rachid, Mourad, tous descendants d'une tribu ancestrale, amoureux de Nedjma, fille d'un keblout (chef de la tribu) et d'une Française. le récit se situe entre les deux guerres mondiales en Algérie.
La lecture de ce roman est quelque peu déroutante, difficile, compte tenu de la façon dont il est composé. Un récit ,percuté de poésie, (et cela permet de reprendre souffle , de s'aérer ) où la violence répond à la violence, la haine par la haine, l'assassinat par le meurtre , la volonté de soumission par la révolte.
Prédateurs, provocateurs, victimes se côtoient. On passe de la fiction à la réalité, du rêve au réel, du possible à l'utopie, du concret à l'imaginaire.
Nedjma (« étoile », prénom mythique pour Kateb Yacine , la cousine dont il tomba éperdument amoureux) est une femme fascinante, complexe, fatale, libre, hybride, ambivalente, fusionnelle, prototype de la femme sensuelle, celle qui unit et désunit, métaphore de l'Algérie tourmentée, composite, terre d'affrontement et de solidarité , pays en recherche d'identité, en voie de libération.
Lecture et analyse complexes pour moi, je ne suis pas sûre d'en avoir retiré toute sa « substantifique moëlle ».
Commenter  J’apprécie          490
" Nedjma" est un des plus célèbres romans de Kateb Yacine.
Ce dernier est un écrivain algérien d' expression française et
un des plus grands du Maghreb . C' est une icone littéraire .
Il est à la fois romancier , dramaturge , poète et journaliste
Il était collégien au moment où éclatèrent en 1945 les manifestations
des Algériens du Nord-Constantinois à Sétif, Khérata, Guelma et autres régions proches . Ces Algériens ne demandaient
qu' une seule chose : " L' Indépendance de l' Algérie ". Cette
manifestation pacifique fut sauvagement réprimée par les
autorités coloniales :45 000 Algériens pacifiques furent
massacrées .Kateb Yacine fut emprisonné à la suite de ces
événements . de là est né son nationalisme et son engage-
-ment pour l' indépendance de son pays .
"Nedjma" , écrit dans le contexte de ces événements , est
un roman pas facile à lire, tout au moins personnellement .
Ce récit se prête à plusieurs lectures et interprétations .
Dans le livre, il s' agit de quatre jeunes gens issus de la
même tribu , la mythique tribu de Keblout . Ces hommes
tombent tous amoureux de la même femme : Nedjma .
Ici, il s' agit de la première et possible interprétations .
Kateb Yacine, interrogé sur Nedjma a répondu :"Nedjma
c' est l' Algérire " .
J' ai essayé maintes fois et à des différentes périodes de
relire le livre , j' ai trouvé que sa lecture n' est pas aisée et
cela m' a rappelé le style de l' auteur américain Faulkner,
l' auteur de " Le bruit et la fureur" et aussi " Sanctuaire" .
Bonne lecture à tous .


,
Commenter  J’apprécie          493
Avec sa plume hachée, vive et sans concession, des passages poétiques, des phrases par moment très longues et une chronologie volontairement éparpillée, le roman de Kateb Yacine qu'il a écrit en Français, évolue dans une Algérie à l'aube de son indépendance, ayant subi quasiment 130 ans l'invasion française.
Une Algérie à bout de souffle, maltraitée, humiliée, pillée, pauvre et révoltée.
C'est l'histoire de Lakhdar et Mustapha, deux paysans et de Rachid et Mourad, des citadins qui tombent éperdument amoureux de la jeune et belle Nedjma (Étoile en arabe) née à la suite d'un adultère et d'un crime (d'un père inconnu et d'une mère considérée comme une étrangère).
Nedjma est une chimère, Nedjma est une femme fatale, Nedjma represente l'histoire de l'Algérie et peut-être la promesse des jours meilleurs?
Va-t-elle changer la vie de ses hommes ou au moins de l'un d'entre eux?
Ce roman m'a touché et m'a naturellement conduite à revoir et à relire, comment fut prise l'Algérie depuis le bombardement de 1830, jusqu'à son indépendance le 5 juillet 1962.
Commenter  J’apprécie          100
Nedjma de Kateb Yacine est un texte fort. Et je ne parle pas uniquement des effets de style, tels que la rupture chronologique (qui n'est pas sans rappeler Faulkner) et des passages fortement poétiques. A travers Nedjma, Il y a aussi la métaphore de l'Algérie coloniale. On se laisse vite emporter par le texte.
Commenter  J’apprécie          31
Une très belle prose.
Lecture rendue difficile par une chronologie décousue.
Un véritable talent. du génie dans la phrase.


Ce sont les images et les sens qui doivent l'emporter sur le fond.

Commenter  J’apprécie          20
C'est un livre qui ne se résume pas. Ça se passe dans l'Algérie profonde des années 40, celle des tribus, des paumés, des enfants illégitimes, des ivrognes et des magouilleurs. Il y a des hommes plus ou moins frères et complices, un père mystérieux, un vrai père avocat, une mère absente et puis il y a une jeune-fille qui apparaît et porte son nom comme une étoile, Nedjma. Elle apparaît et disparaît au gré de pages truffées de digressions, de descriptions et de poésie où prend forme une Algérie, département français où couve la révolte contre l'occupant, dans les campagnes et dans les villes. Constantine, Bône, villes refuges contre la misère, villes fourmilières dont rêvent les jeunes désoeuvrés, déracinés de leur maquis, ou brillant élève amoureux de sa maîtresse française...La vie est un chaos permanent que traduit bien le style de l'écrivain. Ç'est parfois difficile à suivre, mais on se laisse gagner par ce portrait touffu et très vivant de la réalité de ce bord de mer bousculé par l'histoire, aux parfums de menthe et de haschich, bercé par l'appel du coran. Jusqu'à ce sinistre 8 mai 45 où la police massacre 45 000 algériens révoltés contre l'occupant. L'espoir saigne et puis, la vie reprend son cours sinueux, sans perspective, avec Nedjma aux apparitions brèves, fugaces, indéfinies, comme un rêve, celui d'un pays libre ?
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (873) Voir plus



Quiz Voir plus

Littérature : connaissez-vous Kateb Yacine ?

Kateb Yacine est un auteur francophone,

Marocain
Algérien
Tunisien
Libanais

11 questions
18 lecteurs ont répondu
Thème : Kateb YacineCréer un quiz sur ce livre

{* *}