Les années 80. Des gamins en ciré et à vélo. Une maison (peut-être) hantée. le (difficile) passage vers l'âge adulte. "Stranger Things", avez-vous dit ? Non, point du tout. Mais si cela ne se passait pas dans le Jura, on pourrait se croire dans un roman de
Stephen King, référence totalement assumée de Rapahaël Zamochnikoff. Alors, la rentrée littéraire se mettrait-elle à la littérature de genre ? Presque, si l'on en juge par ce titre tout à fait surprenant, mais presque seulement. Si l'atmosphère est là, "
La maison vénéneuse" use de codes bien connus surtout pour instaurer une ambiance, ambiance dans laquelle le lecteur se laisse happer non sans déplaisir, quelque part entre émerveillement et frisson. Car pour le reste, aucune certitude : on glisse sur le fil de rasoir sans jamais basculer totalement dans le paranormal. Il n'y a que des doutes, des impression, des questionnements, mais aussi des rituels et des croyances. Les monstres de l'imaginaire, ceux qu'on se figurent en rêve ou que façonne notre subconscient ne seraient-il pas tout aussi effrayants qu'un croquemitaine véritable ? Peut-être même plus.
Ce sont les interrogations qui apparaissent au fil de la lecture, sans qu'on parvienne à s'arracher au livre, et ce même
après plusieurs heures en nocturne. A la fois parce qu'on se refuse à quitter Arty (sa sensibilité, son innocence en fin de course, mais aussi, paradoxalement, son étonnante clairvoyance sur le monde qui l'entoure), et aussi parce qu'on n'est pas tout à fait sûr de vouloir éteindre la lumière.
Raphaël Zamochnikoff distille quelque chose d'unique et de rare, qui convoque à la fois notre plus vive nostalgie et une terreur sourde – contenue, peut-être embryonnaire, mais bien présente. Bref, nos vieilles terreurs enfantines.
Sous sa plume, la reconstitution des années 80, époque à la fois si proche et si lointaine, fonctionne avec l'enchantement d'une madeleine de
Proust. Elle fait affluer, par vagues, images d'Épinal et couleurs du passé : les cassettes audio, les VHS, les films "carré blanc" à la télévision. L'absence de technologie, l'omniprésence de VTT, de baignades dans la rivière et de cabanes dans les arbres complètent le tableau sans jamais tomber dans les clichés. Peut-être parce que l'auteur a fait appel à ses propres souvenirs, car il ne cache pas que de nombreux événements personnels sont venus alimenter cette fiction. La maison de l'histoire, c'est la maison dans laquelle il a grandi, loin de l'architecture gothique des maisons hantées de cinéma. Dessinée par son père, c'était l'habitation la plus ordinaire qui soit. Normale, en résumé. Mais le propos de Raphaël Zamochnikoff, justement, c'est que la normalité peut se faire le creuset de l'étrange, voire de la terreur. Un bruit, le sentiment de ne pas être seul, et cette ombre, là, qu'on croit voir dans le coin de l'oeil, mais qui a disparu dès qu'on tourne la tête. le soulagement de voir le jour se lever, enfin.
La maison, dans ce roman, devient finalement l'incarnation de tout ce à quoi Arty doit faire face pour grandir. Elle se fait métaphore des changements qu'il ne peut fuir, des secrets de famille qu'il lui faudra percer (eux aussi étaient là, tapis dans cette zone grise qu'on n'aperçoit que du coin de l'oeil mais qui se dérobe quant on la poursuit), et des nombreux deuils qu'il faudra traverser. Alors, de l'angoisse, la lecture de La" maison vénéneuse " nous fait aussi passer par l'émotion.
En bref : Réinventant le thème de la maison vivante à travers le roman d'une famille tout ce qu'il y a de plus ordinaire dans la France rurale des années 80,
Raphaël Zamochnikoff convoque avec un surprenant pouvoir d'évocation les images d'une époque révolue et pourtant pas si lointaine. Roman initiatique où la peur des fantômes fait écho à la fin de l'enfance, truffé de références, de clins d'oeil, et d'hommages cinématographiques, "
La maison vénéneuse" cultive à la fois l'angoisse, la nostalgie, et l'émotion. le Jura n'aura jamais autant ressemblé au Maine...