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Critique de Pecosa


Ne sachant pas grand chose au sujet des juifs d'Angleterre à part la figure politique de Disraéli et  le roman de George Eliot, Daniel Deronda, j'ouvre un ouvrage du Britannique Israël Zangwill,.dont j'ai lu le Grand Mystère du Bow, considéré comme le premier roman policier « en chambre close » (1891).
En 1894, paraît son Roi des Schnorrers, court roman devenu l'un des classiques de l'humour juif, qui narre la rencontre explosive entre Grobstock le prospère et Manasseh le mendiant flamboyant. L'homme riche donne souvent aux pauvres, heureux d'accomplir sa mitsva, mais l'indigent qui se trouve ce jour-là devant lui va bouleverser sa vie. Car Manasseh n'est pas un pauvre Lazare couvert d'ulcères qui ramasse les miettes qui tombent, il est une sorte de prince crasseux et enturbanné doté d'une arme redoutable, l'art de la dialectique.

La particularité de cette histoire saute rapidement aux yeux du lecteur: Zangwill l'ancre à Londres et donne un visage bien singulier à son schnorrer , à son mendiant, sale, pauvre, et doté d'une bonne dose de chutzpah , de culot. Car nous ne sommes pas dans un shtetl ,dans le monde du Yiddishland, comme dans les histoires signées Sholem Aleikem, mais en Angleterre, et son héros se nomme Manasseh Bueno Barzilai Azevedo da Costa. le schnorrer est un talmudiste séfarade descendant des juifs expulsés d'Espagne et du Portugal et installés en Angleterre depuis des siècles.
Tout mendiant qu'il est, Manasseh tient à ce titre de noblesse, qu'il ne tarde pas à assener à la tête du prospère Joseph Grobstock, directeur de la Compagnie des Indes, philanthrope et trésorier de la Grande Synagogue.
« – Remerciez-moi plutôt en votre nom, dit Grobstock, ou plutôt, dites-le moi.
– Je suis Manasseh Bueno Barzillaï Azevedo da Costa, répondit-il simplement.
– Un sépharade ! s'écria le philanthrope.
– N'est-ce pas écrit sur mon visage, de même qu'il est écrit sur le vôtre que vous êtes un tedesco ? C'est la première fois que j'accepte de l'or d'un des descendants de votre lignée. »

Manasseh a deux particularités, il est le père d'une belle jeune fille convoitée et il traîne dans son sillage, un autre schnorrer qu'il forme à son art, Yankelé ben Yitzchok , un Polonais arrivé récemment en Angleterre.
Telle la tunique de Nessus, image magnifiquement choisie par le romancier, le mendiant va coller à la peau de Grobstock,, ainsi qu'à celle des membres du conseil de la communauté, tous séfarades et désireux de faire rentrer l'incontrôlable Manasseh dans le rang.
Mendiant et orgueilleux comme chez Cossery, pique-assiette, bretteur redoutable car à la fin de l'envoi il touche, infaillible, ce dernier est prêt à passer le flambeau et à faire de son Lazarillo de Tormes, Yankelé, le pauvre Polonais, le roi des schnorrers.

Le livre est une immersion dans la vie des juifs britanniques dans quelques quartiers de Londres, où les différences entre Portugais et Tedescos sont très marquées: « Vous êtes les immigrés d'hier, naufragés des ghettos de Russie, de Pologne et d'Allemagne. Mais nous autres, vous le savez fort bien, sommes établis ici depuis des générations. Dans la péninsule ibérique nos ancêtres ont été l'ornement de la cour des rois et les conseillers financiers des princes. En Hollande, nous tenions le commerce. Nous avons été les savants et les poètes d'Israël. Vous ne pouvez prétendre à ce que nous nous commettions avec votre canaille, qui nous compromet aux yeux de l'Angleterre. »
Mais c'est surtout un festival éblouissant de rhétorique et d'éloquence, dans lequel Da Costa est le roi des sans-gêne, le virtuose de l'intimidation, le prince de l'incruste qui renverse l'ordre établi. Si grâce à lui, les riches se sentent heureux d'être riches en plaisant à Dieu par leur générosité, ils prennent aussi conscience de leurs faiblesses, de leur fragilité et réalisent que le gueux flamboyant mène une vie heureuse en dépit (ou grâce) à son dénuement.
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