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Critique de PatriceG


Alexandre Zinoviev eût tout lieu de cocher les cases du bon profil pour entrer dans le système, être écrivain soviétique, ne disons pas philosophe car c'était suspect, parce que issu de parents pauvres, père peintre en bâtiment, mère paysanne, sans histoire, de facto artisans actifs par le travail pour la mère patrie, mais pensez-vous ? pour Alexandre plutôt jamais que faussement ou un rien de soumission coupable comme on voudra ! Bon déjà pour tempérer les ardeurs d'aucuns qui verraient chez ce jeune irréductible une entorse à la bonne et longue marche bolchévique, Alexandre était né en 1922. Russe blanc, fatalement il ne le fut pas. Ses premiers rejets du régime ne tardèrent pas et les affaires commencèrent sérieusement à se gâter, il sentait poindre la sentence quand la guerre éclata. de facto, elle fut une aubaine pour lui et comme tout bon russe patriote, il se déclara volontaire pour aller bouter l'ennemi..et termina comme pilote de combat héroïque dans l'aviation..

Alexandre n'avait jamais songé à quitter son pays, un dur à cuire non pas comme Chalamov, mais comme pensant possible une réelle dissidence comme de l'excellence fine ; l'idéal étant bien entendu de rester ancré au pays pour mesurer les ignominies de l'ennemi intérieur et d'en être informé pas à pas afin de mieux le combattre. Quand ce fut possible évidemment, car tout le monde n'eut pas cette chance, loin s'en faut. On le sentit libéré à la mort de Staline et commença à être plus offensif ouvertement, même si la naïveté ne s'était jamais emparée de lui ..
La bonne idée dans laquelle puisait alors l'intelligentsia progressiste à son endroit était de le considérer comme controversé.
Pour ce qui est de laver les cerveaux, la sphère privée n'existant pas, ni pour Lénine, évidemment pas pour Staline, ces pervers n'avaient pas leur pareil pour redoubler d'ingéniosité : c'est un trauma que de se pencher sur ce travail d'orfèvre laminant les esprits. La résonnance était à tous les niveaux, j'ai encore en mémoire la bio de Nadia Comaneci : on se demande encore si son corps de femme lui appartenait encore. Notre ami Alexandre est sur cette brèche et rien ne le fera dévier dans son réquisitoire. La révolution de 1905 fut confisquée aux paysans, on ne confisquera rien, plus tard, à Alexandre Zinoviev. Un petit grain de sable peut enrayer ces grosses machines totalitaires du genre de celle qu'il avait sous le nez !
Staline aimait bien ce genre de personnage, plutôt malin, intelligent dirons-nous,; on sait quel sort il leur réservait, une seule ombre suffisait pour l'attirer près de soi ou l'éliminait par l'éloignement quand ce n'était pas par un complot macabre. Ah, il savait purger cet homme là, on le regretterait presque de temps à autre dans certaines circonstances trop humiliantes face à l'envahisseur ! Mais, Staline pour l'heure n'était plus, bien qu'il eût toujours ses partisans féroces, on l'a vu sous Khrouchtchev, Brejnev..

Au sortir de la guerre, Alexandre Zinoviev met à profit ses connaissances scientifiques et philosophiques, obtient ses titres et ses habilitations, sans pour autant que les ennuis cessent. Ses écrits scientifiques clandestins passent à l'ouest avec succès. Dans les années 70, il passe en littérature pour narrer la vie ordinaire soviétique faisant écho à ses embûches de toutes sortes qu'il présente dans un remarquable ouvrage composite qui s'appelle : Les Hauteurs béantes (qui veut dire les sommets chimériques du bolchevisme ..). Ce livre sera perçu bien sûr comme un brulôt antisoviétique singeant la vie quotidienne des soviétiques. Il se fait cueillir par les autorités qui lui demandent de choisir comme on a pu le faire pour Tourgueniev et d'autres l'arrestation ou l'exil. Il choisira avec sa femme Olga l'exil en Allemagne où il rongera son frein en s'employant à des sous-tâches , attendant une ère favorable à son retour.
En 1999, il écrit ceci : "L'agression de l'Otan contre la Serbie est le début de la guerre de cette alliance contre l'Europe. Je suis frappé, abasourdi par la réaction que l'on a eue en France et en Europe occidentale face à cette guerre. Les français doivent bien comprendre qu'en approuvant cette agression, ils commettent un acte de suicide historique." Donc écoeuré par ces événements à contre-courant de l'histoire, d'une ironie sardonique, il sera de retour au bercail.

Il m'étonnerait fort que Macron ait lu Zinoviev. Celui-ci décèdera le 10 mai 2006 des suites d'une tumeur au cerveau -chose que je connais bien dans ma famille-.et sera inhumé au cimetière de Novodevitchi ; en ce lieu sacré et célèbre situé en bas de Moscou. J'entends à travers mes lectures encore s'élever cette voix russe puissante pour en appeler à la vérité historique, contre les falsifications outrancières..

La prochaine fois que j'irai à Moscou, je déposerai une fleur sur le lieu du repos éternel du grand homme, en son souvenir ..
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