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Citations sur Après la tragédie, la farce ! : Comment l'histoire se répète (3)

Cet esprit du capitalisme post-68 forme une unité spécifique (économique, sociale et culturelle), cette unité même justifie le nom de « postmodernisme » (…) à présent, le « postmodernisme » fonctionne effectivement comme un nouveau Signifiant-Maître introduisant un nouvel ordre d’intelligibilité dans la multiplicité confuse de l’expérience historique.
(...)
Au niveau de la consommation, ce nouvel esprit est celui du prétendu « capitalisme culturel » : nous n’achetons pas des marchandises essentiellement en raison de leur utilité ou pour symboliser notre statut ; nous les achetons pour l’expérience qu’elles nous procurent, nous les consommons afin de rendre nos vies agréables et pleines de sens.
(...)
Les protestataires de 1968 ont centré leurs combats contre (ce qui était perçu comme) les trois piliers du capitalisme : l’usine, l’école, la famille.

Résultat, chaque domaine a été subséquemment soumis à une transformation postindustrielle : les emplois en usine sont de plus en plus délocalisés ou, du moins dans le monde développé, réorganisés sur un mode postfordiste non hiérarchique et privilégiant le travail d’équipe et l’interaction ; un système éducatif privatisé, permanent et flexible, empiète sans cesse sur l’instruction publique universelle ; de multiples formes d’arrangements sexuels diversifiés remplacent la famille traditionnelle.

La gauche a perdu à l’instant précis de sa victoire : l’ennemi immédiat a été défait – pour être remplacé par une nouvelle forme de domination capitaliste plus directe encore.

Dans le capitalisme « postmoderne », le marché a envahi des sphères nouvelles jusqu’alors considérées comme appartenant au domaine privilégié de l’État, de l’enseignement au maintien de l’ordre en passant par les prisons. Quand le « travail immatériel » (éducation, soins thérapeutiques, etc.) est célébré en tant que producteur direct de liens sociaux, on ne devrait pas oublier ce que cela entraîne dans une économie marchande : que de nouveaux domaines, jusque-là exclus du marché, sont à présent marchandisés.

En cas de pépin, nous n’allons plus parler à un ami, non, nous payons un psychiatre ou un conseiller pour qu’il règle le problème ; les enfants sont de plus en plus gardés non par les parents, mais dans des crèches ou par des nourrices rétribuées, etc.

Nous sommes ainsi au cœur d’un nouveau processus de privatisation du social, d’installation de nouvelles clôtures. (pp. 84-85 & 222-223)
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La Révolution haïtienne a été un « moment déterminant dans l’histoire du monde » (…) depuis son combat révolutionnaire contre l’esclavage qui a abouti à l’indépendance en janvier 1804.
(…)
L’un des organisateurs de la rébellion fut un esclave noir, un prédicateur appelé « John Bookman », un nom le désignant comme une personne instruite ; chose surprenante, le « livre » auquel son nom réfère n’était pas la Bible mais le Coran. Voilà qui évoque la grande tradition des rébellions « communistes » millénaristes en terre d’islam, notamment la « république Qarmate » et la révolte des Zandj.

Les qarmates étaient un groupe ismaélien millénariste centré en Arabie orientale (le Bahreïn d’aujourd’hui), où ils établirent une république utopique en 899.
(…)
Cette « révolte des Zanj », qui s’étendit sur une période de quinze ans (de 869 à 883), impliqua cinq cent mille esclaves qui avaient été emportés dans la région à travers l’empire musulman. Leur meneur, Ali ibn Muhammad, fut indigné par la souffrance des esclaves qui s’échinaient dans les marais de Bassorah ; il commençant à enquêter sur leurs conditions de travail et leurs standards nutritionnels. Il prétendait être un descendant du calife Ali ibn Abu Talib ; lorsque cette prétention fut jugée irrecevable, il se mit à prêcher la doctrine radicalement égalitaire des kharidjites, selon laquelle c’était l’homme le plus qualifié qui devait régner, fût-il un esclave abyssinien.
(…)
Mais il n’est pas nécessaire d’aller plus de mille ans en arrière pour trouver cette dimension de l’islam – un coup d’œil aux événements ayant suivi l’élection présidentielle de 2009 en Iran est suffisant. La couleur verte adoptée par les soutiens de Moussavi, les cris de « Allah akbar ! » qui ont résonné des toits de Téhéran dans le crépuscule du soir, tout cela indique clairement que les manifestants ont vu leur mobilisation comme une répétition de la révolution khomeiniste de 1979, comme un retour à ses racines, défaisant sa corruption ultérieure.

Ce retour aux origines n’est pas seulement programmatique ; il concerne autant et plus le mode d’activité des foules : l’unité énergique du peuple, sa solidarité englobante, l’auto-organisation créatrice, les manières improvisées d’articuler la protestation, le mélange unique de spontanéité et de discipline, comme la marche grave de milliers de personnes dans un silence complet. (pp. 188-191)
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La gauche postmoderne n’a cessé de nous seriner qu’il faudrait finalement abandonner le paradigme « jacobino-léniniste » du pouvoir dictatorial centralisé. Mais peut-être le temps est-il venu d’inverser ce mantra, et d’admettre qu’une bonne dose de ce paradigme « jacobino-léniniste » est précisément ce dont la gauche actuelle a besoin.

Aujourd’hui, plus que jamais, on devrait insister sur ce que Badiou appelle l’Idée « éternelle » de Communisme, ou les « invariants communistes » – les « quatre concepts fondamentaux » à l’œuvre depuis Platon jusqu’au maoïsme, en passant par le jacobinisme, le léninisme et les révoltes millénaristes du Moyen Âge : justice égalitaire stricte, terreur disciplinaire, volontarisme politique et confiance dans le peuple.

Cette matrice n’est pas « évincée » par une nouvelle dynamique postmoderne ou postindustrielle ou post-ce-qu’on-voudra.

De fait, jusqu’au moment historique présent, cette Idée éternelle a précisément fonctionné comme une Idée platonique persistante, s’en revenant encore et encore après chaque défaite.

Pour le dire en termes théologico-philosophjiques, ce qui manque aujourd’hui est un lien privilégié unissant l’Idée à un moment historique singulier (tout comme, dans le christianisme, l’édifice divin et éternel repose en sa totalité, élévation et chute comprises, sur l’événement contingent que constituent la naissance et la mort du Christ.) (pp. 195-196)
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