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Critique de Nastasia-B


Ce volume de la Pléiade regroupe les cinq premiers romans du plus célèbre cycle littéraire de la littérature française. Tout d'abord, le roman inaugural, La Fortune des Rougon.

Outre le fait qu'Émile Zola nous livre quelques-uns des secrets du " livret de famille ", — nous offrant au passage quelques beaux échantillons des perversions inscrites ici ou là dans les gènes des différents membres du clan : ambition démesurée, avidité, cupidité, cruauté, orgueil, couardise, jalousie, folie, etc. — le thème ici développé est le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1852, alors président de la république, et qui sonna le glas de cette seconde république pour y installer à la place son propre règne d'empereur... et les dérives qui iront avec !

Ensuite, le deuxième roman du cycle, La Curée, nous emmène sur les grands travaux d'élargissements de voiries entreprise par le baron Haussmann. On voit se poursuivre le cheminement mondain du rameau " Rougon " de la famille, avec la seconde génération, notamment trois enfants de Pierre Rougon.

Il s'agit principalement du dernier fils, Aristide Rougon, qui change d'ailleurs son nom en Saccard, pour ne pas compromettre — au cas où — la réputation du frère aîné, Eugène, impliqué en politique (voir le tome 6, Son Excellence Eugène Rougon) et second personnage masculin important, dans l'ombre du premier, à moins que cela ne soit l'inverse.

Émile Zola nous dépeint la farouche avidité au gain d'Aristide qui, arrivé pauvre à Paris, profitera plus que de mesure du poste dans l'administration de la voirie que son frère Eugène lui a dégoté. Aristide va vite comprendre l'intérêt du poste et les merveilleux délits d'initié qu'il autorise, à savoir, connaître avant tout le monde l'emplacement des immeubles qui seront évacués pour le percement des célèbres grands boulevards Haussmanniens.

Évidemment, spéculations, magouilles et fortune seront au bout de chaque boulevard… Fortune née en un jour, croquée en deux heures, travers absolu d'un monde qui flambe sans compter. Mais rien n'eût été possible au départ pour Aristide sans les premiers capitaux indispensables aux premières spéculations, et c'est par l'entremise de sa soeur Sidonie que Saccard trouvera une issue, à savoir, une victime...

Ce livre est ,selon moi, annonciateur de la dépravation dépeinte dans le neuvième tome, Nana et assez symétrique du volume 18, L'Argent dont Saccard sera encore l'essentiel protagoniste. Ici est détaillée la vie de débauche et du grand luxe côté jardin (alors que dans Nana c'est côté cour), l'aliénation morale de la femme, mais peu les montages financiers, tandis que dans L'Argent, c'est le contraire.

En tout cas, un éclairage intéressant sur cette période de création du nouveau Paris, même si certaines descriptions et certains passages sur les bals et sur le luxe des pièces ou des vêtements sont un peu longs par rapport à d'autres opus plus toniques.

On trouve ensuite le Ventre de Paris, troisième opus et consacré celui-ci aux fameuses halles Baltard qui durèrent jusqu'à la création du marché de Rungis dans les années 1970. Présenté comme une sorte de grande bataille du gras contre le maigre, il met en scène pour la première fois un protagoniste qui n'est pas un membre direct de la famille Rougon-Macquart, puisqu'il s'agit de Florent, beau-frère de Lisa Macquart, devenue Lisa Quenu dans la charcuterie du même nom (parents de la future héroïne du tome 12, La Joie de vivre).

C'est aussi la première fois qu'Émile Zola ne traite que des classes ouvrières ou des petits patrons à leur compte, qu'il commence à exploiter à fond la Symbolique, en tant que procédé littéraire, et qu'il donne à un lieu, en l'occurrence les halles centrales de Paris, un rôle de personnage central comme Hugo l'avait fait pour Notre-Dame de Paris.

Au demeurant, s'affiche ici en gros, très explicitement la conviction politique de Zola. le contraste de toute cette nourriture déployée dans les halles et de la maigreur des humbles est l'un des piliers du roman — peut être pas le meilleur car l'auteur gonfle tellement le trait que cela frise la caricature. Ses descriptions pléthoriques de nourriture sont assez " gavantes " à la longue. L'auteur saura rendre sa sauce plus digeste avec Au bonheur des dames, qui, pourtant, utile le même procédé de description mais qu'il maîtrisera mieux.

Outre ces fameuses descriptions qui restituent parfaitement ce qu'était le marché à l'époque, les volets les plus intéressants du roman me semblent être, d'une part, la vision prémonitoire sur l'émergence de la société de consommation (le livre est écrit en 1873) et, d'autre part, la description quasi millimétrique du comportement du français moyen de Paris durant la période d'occupation allemande sous le régime de Vichy. Tout est dit : les collaborations diverses sous des allures parfaitement honnêtes, les conflits d'intérêts, les alliances de façade, etc.

Selon moi, le sommet de ce volume Pléiade est atteint avec la quatrième roman : La Conquête de Plassans. Ici, Zola nous conte l'arrivée en catimini d'un prêtre de Besançon, l'abbé Faujas, d'aspect piteux et au passé aussi louche qu'obscur. Il arrive chez les Mouret, le couple consanguin de la famille, où le mari, François Mouret est un descendant du rameau Macquart tandis que sa femme Marthe est la dernière fille de Pierre Rougon.

Les Mouret, braves commerçants prospères, sensibilité républicaine, paisibles et bien assis dans la société de Plassans, vont peu à peu se faire digérer par l'abbé Faujas, dont le parachutage ne doit rien au hasard et semble avoir été minutieusement piloté depuis Paris par le ministre en personne (à savoir Eugène Rougon, voir Son Excellence Eugène Rougon) dans le but d'assurer le résultat des élections législatives à venir...

Après des débuts difficiles, l'abbé Faujas va réussir à se faire accepter et à devenir un personnage incontournable de la vie politique et sociale de la ville grâce au concours de Marthe Mouret, dont il va parvenir à faire une dévote, elle qui n'était pas même sûre d'être croyante auparavant. Non content de semer la zizanie dans le couple, l'abbé et surtout sa famille (mère, soeur et beau-frère de Faujas qui s'incrustent comme une belle infection parasitaire) vont littéralement dépouiller les Mouret de leur bien.

On y voit la lente mais inéluctable aliénation du couple, qui se fait siphonner par le cerveau et par le porte-monnaie jusqu'au trognon. Avec ce 4ème roman, Émile Zola franchit une étape dans son style où il abandonne les longues descriptions du Ventre de Paris et nous plonge plus directement dans l'action.

Enfin, après le meilleur roman du volume, voici venir le pire, la très regrettable, très lamentable Faute de l'abbé Mouret. Soyons clairs. de deux choses l'une : soit je suis passée complètement à côté de ce roman sans en saisir aucunement l'immatérielle, la consubstantielle beauté littéraire ni l'élan de foi noble et pure qu'il recèle (ce qui n'est pas impossible) ; soit ce numéro 5 des Rougon-Macquart est un très mauvais cru, des plus mièvres et des plus faibles qui soit (ce qui n'est pas impossible non plus !).

Quelle déception, lorsque Zola fait du Paul et Virginie ! Il n'est tellement pas sur son terrain que c'en devient risible et pathétique. le roman se divise en trois parties ; les première et dernière pouvant, à l'extrême rigueur, faire un peu penser à du Zola très bas de gamme. En revanche cette deuxième partie, surtout, constitue l'un des pires moments qu'il m'ait été donné de passer en littérature. Émile Zola y revisite le thème du jardin abandonné de la rue Plumet qu'avait exploré Victor Hugo avec parcimonie dans Les Misérables mais qu'ici il use jusqu'à la corde de la pire des façons : du mièvre, du catalogue horticole, du plan-plan à souhait. Bref, un calvaire où j'ai vraiment porté ma croix de lectrice.

On voit que l'auteur s'est documenté, un peu trop même, ou trop théoriquement, il a ouvert un traité de botanique et a tout pompé et tout réinjecté dans son texte. On croirait lire du Jules Verne dans ses interminables descriptions soporifiques de Vingt Mille Lieues Sous Les Mers. C'est encore pire que dans le Ventre de Paris, où les pléthoriques descriptions de fruits ou de légumes avaient une fonction documentaire.

Ici, c'est artificiel au possible, on comprend vite que Zola n'y connait rien en jardinage sans quoi il n'écrirait pas de telles invraisemblances sur les végétaux. Bref, le pauvre Émile a sombré dans le pitoyable remplissage dans sa seconde partie. Après quatre romans citadins, l'objectif pouvait paraître louable de transporter ses Rougon-Macquart à la campagne. Par contre, quel plantage (pardonnez-moi, c'était facile), aussi bien du point de vue de l'utilité pour son projet (absolument aucune valeur de généralisation à un pan de la société sous Napoléon III et il avait d'ailleurs déjà traité du monde ecclésiastique dans La Conquête de Plassans) que du point de vue de la réussite stylistique et littéraire. D'après moi toujours, un opus à oublier très vite.

En somme, dans ce premier quart du cycle littéraire, on voit l'auteur affuter sa plume : il monte progressivement en puissance (à l'exception notable du dernier roman) et atteindra sa pleine énergie dans l'incroyable Assommoir, volume 7 des Rougon-Macquart. C'est déjà bon parfois, mais pas aussi al dente que dans d'autres romans à venir. Toutefois, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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