Les algorithmes mis au point par les ingénieurs du chaos donnent à chacun l’impression d’être au cœur d’un soulèvement historique, et d’être enfin devenu l’acteur d’une histoire qu’il croyait être condamné à subir passivement.
Pour celui qui vit dans des conditions de réel isolement, adhérer au carnaval populiste signifie faire partie d’une communauté et , dans un certain sens, changer de vie, même si les objectifs politiques de l’initiative se sont pas atteints.
Le conspirationniste propose toujours un message flatteur. Il comprend l’énervé, il connaît sa rage et il la justifie : ce n’est pas sa faute, c’est celle des autres, amis lui peut encore se racheter en devenant un acteur de la bataille pour la vraie justice.
Le pouvoir d’attraction diabolique des réseaux sociaux se fonde sur cet élément primordial. Chaque LIKE est une caresse maternelle faite à nitre égo.
Peter Sloterdijk a reconstruit l’histoire politique de la colère. Selon lui, un sentiment irrépressible traverse toutes les sociétés, alimentée par ceux qui, à tort ou à raison, pensent être lésés, exclus, discriminés ou pas assez écoutés. Historiquement, c’est d’abord l’Eglise qui a donné un exutoire à cette énorme rage accumulée. Puis les partis de gauche ont pris le relais à partir de la fin du XIXe siècle. Cs derniers ont assuré la fonction de « banque de la colère », en accumulant les énergies qui, au lieu d’être dépensées sur le moment, pouvaient être investies pour construire un projet plus ample.
Aujourd'hui, chacun d'entre nous se déplace volontairement avec sa propre "cage de poche", un instrument qui nous rend traçables et mobilisables à tout moment.
Le monde des physiciens fonctionne différemment. Ici, pour créer un consensus, le fait de mettre au point un projet politique capable de convaincre tout le monde compte beaucoup moins, vu que, comme le prophétisait Michel Foucault il y a quatre décennies, la foule, masse compacte, a été abolie au profit d'une réunion d'individus séparés, chacun d'entre eux pouvant être suivi dans les moindres détails.
Les scientifiques rêvent depuis toujours de réduire le gouvernement de la société à une équation mathématique qui supprimerait les marges d'irrationalité et d'incertitude inhérentes aux comportements humains.
Derrière la rage du public, il y a des causes réelles. Les électeurs punissent les forces politiques traditionnelles et se tournent vers des leaders et des mouvements de plus en plus extrêmes car ils se sentent menacés par une société multiethnique et, dans l'ensemble, pénalisés par les processus d'innovation et de mondialisation que les élites leur ont fait avaler à doses de cheval au cours du dernier quart de siècle.
Une fois la colère libérée, il devient possible de construire n'importe quel genre d'opération politique.