Puisque
Puisque l’heure s’en va comme les feuilles mortes,
Et que l’espoir en nous luit ses derniers flambeaux ;
Puisque les vents d’hiver flétrissent à nos portes
Et la fleur du soleil et la fleur des tombeaux ;
Puisque les jours d’ivresse en trop vives cohortes
Passent sur nos fronts nus comme un œil de corbeaux
Et puisque tu nous prends, ô terre qui nous portes,
Notre cœur, deuil par deuil et lambeaux par lambeaux.
Femme, muse, aimons-nous... vous et vos ambroisies,
Ayons des rêves doux comme vos fantaisies,
Sous les pourpres éclats de vos yeux embrasés !
Et lors, ne soyez-vous que grisette ou marquise,
Que plein de son amour mon cœur soit la banquise
Qui fondra sous les feux ardents de vos baisers...
Le retour du voyageur
À Jean Charbonneau.
Il était revenu las de ses longs voyages,
Des climats du Zaïr, de l’Indus et du Rhin,
N’apportant au foyer, modeste pèlerin,
Que des cheveux blanchis par le souffle des âges.
Or, au vallon natal, le ciel pourpre et serein
Mûrissait sur les prés de nouveaux pâturages,
Où le soir écoutait, tranquille, sur les plages
Dans l’ombre et la fraîcheur, l’hymne du flot marin.
Cependant le vieillard n’avait plus son sourire ;
Son âme retournait, voyageuse en délire,
Aux antiques pays, cause de son grand deuil !
Et ses fils avaient vu, ne sachant point comprendre,
Un soir que ses remords venaient de le reprendre,
Une larme d’ennui rouler dans son pâle œil.
Autrefois
Vous souvient-il toujours du temps où vous m’aimiez,
Alors que les avrils charmant votre indolence,
Nous allions tous les deux fouler dans le silence
La grève où quelquefois, très lasse, vous dormiez ?
Mais vous avez trahi par vos dédains premiers
Mon cœur, autre Jésus percé d’un fer de lance ;
Et l’ombre des grands pins vainement se balance,
Car nous ne suivrons plus les chemins coutumiers !
L’autre soir, par les prés aux senteurs estivales
Où je marchais, pensif, au bras de vos rivales,
J’ai retrouvé pourtant un peu des jours passés !
Et mon âme a connu combien l’ivresse est brève
En revoyant mourir au champ des trépassés
La fleur de mon amour et la fleur de mon rêve...
La lionne au crépuscule
Elle vient de quitter les ombres des massifs
Où rit près des nopals la source purpurine,
Pour diriger son pas vers la grève marine
Qu’elle contemple au loin de ses yeux expressifs.
Elle arrive... Un flot jase aux pieds des blancs récifs,
Et la fraîcheur des mers, qui gonfle sa poitrine
Fait palpiter son cœur et frémir sa narine ;
Cependant qu’au ciel bleu sont des aigles pensifs.
Et l’astre, par-delà les sables roux des côtes
Dore le fond vermeil des atmosphères hautes,
Et ses reflets sanglants tordent l’éther rougi.
Mais dressant tout à coup ses formes musculaires
L’animal étonné, vers le soleil rugit...
Sublime adieu du fauve aux feux crépusculaires.
Adoration
À Mme L...
Je sais que les pleurs sont les fleurs de l’âme,
Fleurs dont le secret fleurit dans les yeux.
Je voudrais pour vous d’autres fleurs, madame,
Si les astres sont les pleurs des cieux.
Je sais qu’un sourire est la fleur de joie
Qui va de la bouche au jardin des cœurs.
Je voudrais pour vous des lèvres de soie
Si vos lèvres d’or des miennes sont sœurs.
Je sais que l’amour est la fleur d’ivresse,
Fleur de toute ivresse et des jours bénis.
Je rêve, pour vous, madame, sans cesse
Au sublime amour des cœurs infinis.