Je me rends compte avec une certaine horreur que la femme que j'étais a été amoureuse de cet homme. Vraiment amoureuse. Et même si elle ne ressent plus que de la peur et du dégoût pour cet homme, les sentiments qu'elle a un jour éprouvés ne sont pas loin. C'est pour ça que j'ai l'air aussi convaincante. [...] Tout mon être est bouleversé. Je ne sais plus ce que je désire le plus au monde : qu'il meure ou qu'il me rende mon étreinte. Je m'aperçois malgré moi que ça m'avait manqué. Comme s'il était une drogue dure et dangereuse et que j'étais une junkie accro à sa dose quotidienne. C'est ça, l'amour ?
Je suis censée être en pleine simulation, mais tout semble si réel... Je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.
Je fais mine de réfléchir alors que mon cerveau est aussi vide que la coquille d'une huître qu'on vient de gober.
Je m'accroche à ses épaules musclées (faites-moi penser à me gifler plus tard), autant pour ne pas tomber que pour l'obliger à me regarder dans les yeux.
- Il faut que j'aille à la sécurité.
Il fronce les sourcils, mécontent.
- Il en est hors de question, vous...
- Si vous ne me conduisez pas à elle, je rétorque d'un ton menaçant, je me mets à hurler comme une possédée et rameute la moitié de la population à l'infirmerie ! On sera bien obligé de me faire enfermer aussi, et alors je pourrai le voir.
Sam a l'air très en colère d'un coup, et je dois bien admettre que ça ne fait qu'ajouter à son charme. Ben quoi ? Je ne peux pas ne pas remarquer les belles choses.
Quel âge peut-il bien avoir, d'ailleurs ? Vingt-sept, vingt-huit ans ? Et qu'est-ce que ça peut bien me faire de toute façon ?
- Si vous hurlez, menace-t-il à son tour, je vous ligote comme un saucisson à ce lit et vous bâillonne. Vous serez bien obligée de vous calmer.
Puis c’est le silence. Je sens une angoisse sourde me prendre aux tripes. Killian n’est pas rentrée chez elle hier soir. J’en suis intimement persuadée. Mais alors où est-elle ? Et avec qui ? Et si les actionnaires de la Sphère s’en prenaient à elle pour me réduire au silence ? Pour me faire peur ? Elles pourraient très bien envoyer un des programmes (l’officier Harper par exemple) pour lui faire du mal…
Je laisse donc mon amour parler. Je pose mes paumes sur les siennes, séparées par la vitre en verre, et lui adresse un sourire, comme pour la réconforter. Puis, lentement pour qu’elle comprenne, alors que le gaz anesthésiant se répand dans mon cercueil, je murmure:
-Même loin des yeux, toujours près du cœur. Je t’aime Killy. À dans dix ans.
- Même loin des yeux, toujours près du cœur.
- [...] C'est fini maintenant, plus personne ne te fera de mal.
Je prends mon café et lui souris.
- Je crois que tu te trompes. On n'a pas fini de me blesser, comme moi, je n'ai pas fini de faire souffrir les autres. Mais c'est la vie et on n'y peut rien. Tout ce que je veux, c'est avoir toutes les cartes en main.
- Je vous l'avais dit, Sam.
Il s'arrête et se retourne vers moi, furieux.
- Dit quoi ?
- C'est facile d'entendre, ça l'est moins d'écouter. Quant à comprendre, c'est rare qu'on y arrive. Je ne m'attendais pas à ce que vous acceptiez la situation un sourire aux lèvres. Mais j'espérais au moins que vous compatiriez.
- [...] Je ne suis pas né de la dernière pluie.
Non, tu n'es pas né du tout, d'ailleurs.