Il n'y a pas de case où l'ange de la mort ne s'accroupisse en silence près du feu qui couve sous la cendre. Il a sa place fixe parmi les vivants. Mbwaki est son nom - c'est à dire sous-alimentation -, et sa robe a la couleur du lin. Car toutes les petites têtes crépues qu'il caresse deviennent blondes. Et son baiser fait pâlir les petites joues d'ébène.
L'ange Mbwaki accomplit sa tâche auprès de tous les petits qui ne peuvent apaise leur faim qu'avec des patates douces et un morceau de banane. Dès qu'il voit que la pigmentation foncée disparaît, faute de protéines et de vitamines, il les prend avec tristesse dans ses bras. Il attend que les petits ventres se gonflent et que les pieds deviennent de méconnaissables masses de chair. Il pleure lorsque la boucle disparaît de leurs cheveux, lorsque la dermatite vorace s'empare des petits corps comme une lèpre. Il compte alors les plaies et les cheveux qui tombent, jusqu'au moment où l'écume blanche sur les petites bouches haletantes prouve que les jours de souffrance sont accomplis. Quand tout est passé, il ferme les yeux exsangues et se tourne en pleurant vers les enfants suivants, qui l'attendent comme autant de petites fleurs qu'il doit cueillir pour la mort.
Ne croyez pas que j'exagère. Ce que j'écris ici n'est qu'un pâle reflet de la réalité. Lorsqu'on me le racontait, je n'ai pas voulu le croire. Mais quand Mère Hadewych m'a conduit de colline en colline vers les petites bananeraies, où les huttes se cachent, lorsque nous-mêmes, nous sommes entrés dans les cases puantes, à la recherche de nourriture, sans rien trouver d'autre que des enfants squelettiques, lorsque, de nos propres yeux, nous avons vu un enfant mourir de faim, pendant que le père derrière la case, tressait déjà la natte dans laquelle il enterrerait le petit cadavre, lorsque, cinq minutes plus tard, nous avons vu un homme avec un enfant mort dans les bras et une femme avec la pelle sur l'épaule, qui, comme des bêtes farouches, marchaient sur le sentier de la forêt pour aller confier à la terre le fruit de leur amour, devenu la proie de la faim ; lorsque j'ai vu le cortège des six cents petites épaves marquées par le Mbwaki, qui se traînent chaque jour vers Mère Hadewych pour recevoir un demi-litre de lait ; lorsque j'ai lu les quatre mille noms de beaux enfants aux cheveux crépus, qui, en deux ans de temps, sont morts de faim dans cette région, alors j'ai compris que Dieu nous maudira, si nous ne nous y mettons pas tous pour effacer ce scandale du jardin le plus luxuriant d'Afrique.