La réalisatrice engagée Yamina Benguigui se confronte aux silences familiaux, au sacrifice des mères, à la mémoire et au présent de l'Algérie dans son dernier film, "Soeurs" (en salles le 30 juin). Son cinéma traite de la mémoire des immigrés, des droits des femmes, des discriminations, d'écologie... Yamina Benguigui est notamment connue pour son documentaire "Mémoires maghrébines", 7 d 'Or en 1997, et pour ses nombreux engagements - elle a notamment été ministre chargée de la Francophonie de 2012 à 2014.
Comment se fait-il qu'il soit si difficile d'être à la fois femme et musulmane ? Est-ce à cause des traditions ? De la religion ? Des deux à la fois ?
L'avènement de l'imam Khomeiny en Iran a eu, entre autres effets, pour conséquence d'amener les femmes à affirmer leur appartenance à une certaine identité nationale par le port du tchador. Malheureusement, ce geste symbolique s'est retourné contre elles. Le tchador est devenu obligatoire. Un phénomène équivalent s'est manifesté en Algérie. Le hidjeb, tenue importée, fait ressembler les Algériennes aux Iraniennes ou aux Saoudiennes. Actuellement, il n'est pas imposé par la loi, mais celles qui refusent de le porter prennent des risques. Pourtant, en dépit des menaces et des châtiments, nombre de lycéennes assistent non voilées aux cours.
(…) c'est dire le courage de ces femmes qui osent quand même sortir tête nue. Les tortionnaires disent qu'elles offensent la religion. Pourtant, il est seulement écrit dans le Coran : " Dis aux épouses des croyants de serrer leurs voiles sur leur poitrine." Comment peut-on déformer ce conseil au point d'en faire une obligation qui, si elle n'est pas respectée, mérite l'égorgement, la pendaison, la défenestration, la tête tranchée à la hache, le corps criblé de balles, à n'importe quel moment, n'importe où ?
« Dix ans, dix ans déjà, qu'on l'a mariée à Ahmed... Elle se souvient du jour où son père lui avait apporté une petite photo d'identité de l'homme à qui il l'avait promise. Elle se souvient surtout de sa gêne, de sa honte. Pourtant, elle avait fini par oser regarder la photo, du coin de l'oeil, comme à la dérobée. Elle l'avait trouvé beau. »
Si je n'ai pas donné la parole aux hommes, c'est parce que ce sont les femmes qui, par leur éducation, transmettent à leurs filles les mutilations sexuelles, les comportements de soumission, injustement attribués à la religion.
(Avant-propos)