Citations de Adeline Fleury (138)
Rien de pire que de s'écouter écrire. Elle n'écoute que les douleurs d'autrui. Elle s'en empare et s'en repait.
Elle ne fait ce métier que par égocentrisme. Écrire de belles phrases pour se mirer dedans. Miroir, o miroir qui a la plus belle plume?
Où on brûle les livres , on finit par brûler les hommes (citation de Heinrich Heine dans Almansor)
En créant le concept de "grande métisserie", Roi reconnaissait l'apport culturel des couches successives de l'immigration. La verve des trottoirs est une tchatche nourrie de mots d'ailleurs, d'Afrique noire, du Maghreb, du Portugal et de l'Italie...Pas de frontières entre les mots. La langue appartient à tout le monde. Pour elle, il n'y a pas de ministère de l'Immigration. (p.52)
Une chose est certaine, ce bout de terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et ces champs humides, venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire, jamais ils ne se posent la question « quel est mon pays ? », les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, ils auront beau s'enticher de cette campagne, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir.
Les histoires de fées, ça permet d'enrober de merveilleux les vérités que l'on ne veut pas affronter.
Marie a le regard fuyant. Elles traversent la cour de la ferme. Les relents de bouse mélangés à ceux du tas de fumier s'immiscent dans leurs narines. Julia aime bien ces odeurs fortes, authentiques. C'est la première fois qu'elle rentre chez les Levavasseur. Marie la fait passer à la cuisine, son territoire. Ici, Marie cuisine, ici, Marie fait les comptes, ici, Marie rêve à une autre vie en écoutant la musique à la radio, ici Marie déprime un peu. Un côté de la table massive est recouvert de dossiers, de factures, de bons de commande, toute l'activité de l'exploitation laitière est consignée dans ces pochettes en carton.
Marie a perdu son sourire il y a fort longtemps, vaincue par l'ennui, l'étroitesse de sa vie réduite à cette sombre cuisine de ferme. La lumière c'est pour les hommes, les champs c'est pour les hommes, l'horizon c'est pour les hommes. Elle envie Julia, libre de son corps, libre d'exercer le métier qu'elle a choisi, libre de leur tenir tête, aux hommes. Marie est juste bonne à récurer les stalles des vaches l'après-midi, à nourrir les poules, ce à quoi s'ajoutent les tâches administratives, la comptabilité, les commandes, le ménage à la maison et l'éducation des garçons, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Elle abat le travail d'un homme tout en s'occupant de la maison, sans s'apitoyer. Alors elle peut bien en avoir ras le bol parfois. C'est à peine si elle a une existence légale, le métier d'agricultrice n'étant pas encore vraiment reconnu elle reste et demeure femme d'agriculteur.
Et puis la vétérinaire, elle sait aussi pas mal de choses sur les gens du coin ; comme le facteur, elle entre dans la vie des paysans, elle observe, elle voit, elle entend, elle perçoit dans les regards souvent fuyants les douleurs, les difficultés, la rudesse de leur métier, elle devine dans leurs silences les secrets ancestraux, elle comprend en les observant les savoir-faire, les gestes répétés de génération en génération. Elle sait aussi la lassitude des femmes, que les enfants partiront à la ville, qu'ils casseront la tradition, qu'ils veulent gagner de l'argent sans effort physique, pouvoir s'octroyer une grasse matinée le dimanche, partir à la montagne en février, au soleil une fois par an. C'est pas une vie, la ferme. Trop de contraintes, trop de dettes, trop de pression. Les enfants ne veulent plus d'une existence les pieds crottés, les joues couperosées, le froid et l'humidité dans les os.
« Ils s'aiment sans jamais se toucher, ils vivent à côté, c'est tout. »
Il est doué pour tout sauf pour les relations avec les autres, il trouve les autres enfants lents et inintéressants, son frère débile et les adultes médiocres. (…) Hubert et Marie pensent que (..) leur gamin n’est pas fou, juste différent.
Cette femme-là n’est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie.
Cette terre normande est parcourue d’ondes étranges, d’énergies contradictoires qui fragilisent les nouveaux arrivants, les secouent, font vaciller leur rationalité. Depuis leur arrivée au village. Les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture.
Quoi qu’il arrive elles sont liées, quoi qu’il arrive elles restent ensemble. Elles ignorent ce qui se trame dans cette maison, dans ce village où tout leur est hostile, de plus en plus hostile. Julia pense au dicton que la Vieille lui répète souvent : « Qui se fait bête le loup mange. » Elles sont les bêtes, reste à savoir qui est le prédateur. Elles se dévisagent et leurs yeux semblent dire que si elles s’en sortent elles partiront loin de cette campagne où les fées maléfiques rendent les gens fous.
Seulement ici personne n’accepte l’idée du suicide, le suicide est l’arme des faibles, pense-t-on dans les chaumières. On préfère encore croire aux fantômes et aux fées maléfiques pour expliquer certaines morts brutales plutôt qu’au désespoir des vivants. Les histoires de fées, ça permet d’enrober de merveilleux les vérités que l’on ne veut pas affronter.
Le lotissement protège, englobe et enferme à la fois.
Incipit :
La menace vient toujours du ciel. Ceux du lotissement le savent. Ils ont abandonné leurs activités dominicales et regardent en l’air, alertés par des coassements gras, épais et discontinus. Pourtant, ce n’est pas la saison des crapauds, en ce début d’hiver. C’est en mars qu’ils sortent de leur hibernation et en avril que démarre la saison des amours, la proximité des marécages justifiant parfois que les batraciens envahissent les jardins de ceux du lotissement. Ceux du lotissement ne connaissent pas la nature. Ce matin glacé, les gosses sont sortis tôt, réveillés par ces coassements qui ressemblaient à des grognements.
Cette soirée d’août, il s’était levé du banc, lui avait pris la main, l’avait menée jusqu’au sommet de la montagne, où il lui avait appris les délices du corps. Elle qui n’avait jamais embrassé de garçon avait tout découvert en une nuit. Elle avait eu la chance d’apprendre l’amour dans les bras d’un homme délicat et passionné à la fois, et toute sa vie Francesco fut son seul et unique amant.
Braver l’interdit l’avait mise dans des prédispositions pour trouver l’amour. Elle avait rencontré Francesco juste devant l’église, il fumait une cigarette pile à l’endroit où Bianca venait s’asseoir depuis dix ans. Auparavant, elle n’avait jamais vu ce jeune homme. C’était un gars de Forio, élancé, rieur et tellement charismatique. Elle était petite et gironde, mais n’avait pas froid aux yeux. Ils s’étaient aimés au premier regard.
Eva avait du talent pour restituer les traits de caractère de ses semblables. Elle portait un regard affûté sur les femmes. Peut-être parce qu’elle les aimait trop. Eva commença à esquisser le portrait d’Ada. Ada n’arrêtait pas de bouger. Elle voulait se rendre insaisissable au crayon d’Eva, cette acuité lui faisait peur.
La nature pouvait bien reprendre ses droits, les hommes n’étaient rien face à elle, c’était dans l’ordre des choses. Ada cheminait derrière eux, se délectant de la complicité grandissante entre Eva et Nino. Peut-être qu’il supporterait mieux que sa mère soit en couple avec une femme plutôt qu’un homme, peut-être qu’il y aurait moins de rivalité.