Citations de Alain Beaulieu (52)
Ce vieux m’était de plus en plus sympathique. Il avait l’âge et les manières de ceux qui connaissent la valeur du temps et n’en ont plus beaucoup à perdre, et cela me plaisait. Il y allait directement sans détour, sans courbettes superflues.
Je n'aimais pas les surprises. Souvent, on espère une chose extraordinaire et on se retrouve déçu de ce qui nous est finalement offert.
-J'ai l'impression qu'on t'a offert une belle mise en scène. Tu es certain que c'était bien Noriega que tu as vu dans un si piteux état?
Je ne le vous cacherai pas, si je vous raconte tout ça, c’est en fait pour me guérir du traumatisme que m’a causé ce qui s’est passé au Refuge il y a exactement deux ans, trois mois et vingt-deux jours.
La vie est un combat perdu d’avance, mais nous allions nous battre jusqu’à la fin, en choisissant cependant le champ de bataille de nos dernières querelles.
Bien qu’en bonne forme physique, nous sentions les années que nos corps avaient traversées dans nos muscles moins fermes et nos articulations parfois douloureuses.
Antoine avait pris un coup de vieux au cours de la dernière année, et je m’inquiétais davantage pour lui que pour moi. Je surestimais sans doute ma capacité à contrôler mon stress, mais j’étais celle qui, de nous deux, savait le mieux réagir à l’adversité.
Je ne connaissais Solène que depuis vingt-quatre heures et déjà, j’avais compris que je n’avais jamais été amoureux avant de la rencontrer.
Avec novembre sont venues les premières gelées et la bordée de neige inaugurale de l'hiver. Trente centimètres de flocons mouillés, tombés du ciel en quelques heures à peine et qui n'allaient fondre qu'en avril ou en mai.
J'assistais au spectacle derrière notre fenêtre, alors qu'on diffusait à la radio l'Andantino de la Sonate no 20 pour piano de Schubert, et la neige qui fondait sur la vitre répondait aux larmes qui embuaient mon regard.
La littérature – et plus spécifiquement le roman – permet de circonscrire ce qui dans la vie passe souvent trop rapidement, en nous ou autour de nous, pour que nous réussissions à le reconnaître. Avec sa capacité de jouer avec le temps en l’étirant ou en le compressant, le romancier permet au lecteur de prendre du recul pour donner du sens à ce qui demeure souvent insensé dans sa vie courante. (p. 79)
L'écriture s'apparente à une forme de rébellion, une rébellion tranquille qui dérangera ceux qui voudront être dérangés, eux-mêmes insatisfaits de la mare paisible dans laquelle on veut les maintenir.
La femme qui caressait mes cheveux pleurait en silence, et je la laissais me chanter sa comptine parce que je sentais que cela lui faisait du bien.
Cette entrée en matière me semble convenue, voire réductrice, car mon mari aurait bien des choses à dire sur sa jeunesse en dehors de ces lieux communs. Mais comme je ne suis pas que “la femme de”, je parlerai pour moi et lui laisserai le monopole de ses révélations personnelles, m'octroyant cependant le droit de rectifier au besoin ce qui, dans sa version de ce qui nous est arrivé, me semble fautif.
Je suis né Antoine Béraud dans une maison du quartier Saint-Roch à Québec qu'on a démolie deux ans plus tard pour y faire passer une autoroute. Issus d'un milieu ouvrier, mes parents ont connu leur lot de misère avant qu'un emploi dans la fonction publique n'offre à mon père l'occasion de se glisser lentement sous les jupes de la classe moyenne. Après l'entrée de ma sœur cadette à l'école primaire de notre quartier, ma mère a mis à contribution ses compétences en relations interpersonnelles pour se dénicher un emploi de secrétaire à l'université. Tout ça pour dire que je n'ai jamais manqué de rien, passant même mes étés d'adolescence à la campagne dans un chalet rudimentaire mais chaleureux situé dans le haut d'une avenue donnant directement sur un lac.
Mais comme je ne suis pas que «la femme de », je parlerai pour moi et lui laisserai le monopole de ses révélations personnelles, m’octroyant cependant le droit de rectifier au besoin ce qui, dans sa version de ce qui nous est arrivé, me semble fautif.
Ça fait peur, le bonheur, quand on nous y a pas habituée. Mais toi, tu peux pas comprendre ça.
-Eh! C’est fou! Je viens à Québec une fois par année et je tombe sur toi!
Les Colocs mélangeaient les rythmes et les couleurs dans un élan de libération salvatrice pour un Québec capable de donner et de recevoir dans un même mouvement. Il m’arrive encore aujourd’hui de me dire que Dédé aurait vécu malheureux s’il n’était pas parti en se faisant hara-kiri, qu’il n’aurait pas pu lutter contre les vents de rectitude qui ont déferlé par la suite, nous réduisant comme peau de chagrin à ce qui nous différencie, avec en prime la peur, de soi et des autres. La soif, d’argent et de reconnaissance. La faim, de plaisirs factices. Ajouté à cela, le contentement facile.
Avec chaque texte, l’écrivain monte dans un canot et file sur une rivière que les crues ont gonflée. Ça roule et ça déboule, de tourbillons pernicieux en rapides menaçants, sans qu’il puisse éviter tous les écueils. Il tente de manœuvrer entre les roches les plus apparentes, mais il s’en trouve plusieurs sous la surface des eaux pour égratigner la toile de son embarcation. Certains pics plus pointus menaceront même de la percer, ce qui ferait s’échouer le texte en attendant qu’on le répare. Or, plus l’écrivain pagaie, plus il apprend à contourner les obstacles, quitte à devoir portager de temps en temps. (p. 43)
Il n’y a ni souffle ni souffrance que le langage ne puisse porter, parfois bien au-delà de la bonté ou de la méchanceté du monde. (p. 28)
Il n'y a rien qui puisse te décharger de toi-même. Tu te porteras comme un fardeau tout au long de ta vie...
Je comprenais surtout que la noblesse de sa cause justifiait tous les sacrifices, mais peut-être aussi tous les mensonges et certaines exactions. J'ai baissé les yeux, Estrella a pris ma main et je nous ai vus courir sur la route principale, fonçant ainsi, liés l'un à l'autre, vers le soleil levant. Nos cheveux mouillés de rosée battaient dans le vent frais du matin, et nous étions heureux. Puis le soleil est retombé d'un coup derrière l'horizon et les étoiles ont scintillé une dernière fois avant de s'éteindre elles aussi. Il n'y avait plus que nous dans la noirceur de Ludovia, et nos mains se sont séparées. p.170