Citations de Alain Beaulieu (53)
― C'est que t'as pas compris où tu as mis les pieds, Passila. Ce village est parasité par la racaille. Oh ! de la belle racaille, mais faut pas s'y fier. Tu veux que je te raconte la salade qu'on t'a servie chez Hernandez ? Je la connais par cœur. D'abord, le vieux s'est présenté dans son fauteuil roulant, son gilet de corps humide et taché pour inspirer la pitié. Puis, au fil de la conversation, il a fini par prononcer mon nom, et là l'histoire du vol à main armée a déboulé, les deux gars qui se sont échappés dans la forêt, puis les coups de feu que j'aurais tiré avant de m'enfuir en le laissant pour mort, puis son séjour dans la clinique de Noriega, puis sa paralysie, puis l'enquête bâclée, hein, bâclée l'enquête parce que je suis une pourriture capable de tout acheter, même des enquêteurs, même des juges.
Je garde un souvenir ému de cette journée avec les étudiants d'Antoine et leurs familles, comme si la vie avait voulu appliquer un baume sur notre détresse. Un dôme d'allégresse avait recouvert le terrain, et rien n'était venu altérer l'état de béatitude dans lequel nous avait plongés l'initiative de Martin.
Je prends ici une grande respiration, car c'est un peu ce qui s'est produit dans les jours et les semaines qui ont suivi, comme si le temps s'était arrêté sur cet été splendide, le soleil faisant valoir son droit d'aînesse sur des nuages toujours éphémères. Nos enfants étaient partis pour l'été, notre fille chez une amie installée à Toronto et notre fils à Copenhague avec sa conjointe pour son projet de recherche en santé internationale - auquel nous ne comprenions pas grand-chose.
Vous excuserez le ton, et la volatilité de ma pensée. J'ai un peu perdu la main, et mon cerveau s'égare souvent dans des digressions que je n'arrive à réfréner que lorsqu'on me rappelle à l'ordre. Or, seul devant la feuille de papier sur laquelle je m'échine à écrire à la main, je perds mes moyens et laisse libre cours à ce que mon esprit choisit d'exprimer.
Cette entrée en matière me semble convenue, voire réductrice, car mon mari aurait bien des choses à dire sur sa jeunesse en dehors de ces lieux communs. Mais comme je ne suis pas que “la femme de”, je parlerai pour moi et lui laisserai le monopole de ses révélations personnelles, m'octroyant cependant le droit de rectifier au besoin ce qui, dans sa version de ce qui nous est arrivé, me semble fautif.
Je suis né Antoine Béraud dans une maison du quartier Saint-Roch à Québec qu'on a démolie deux ans plus tard pour y faire passer une autoroute. Issus d'un milieu ouvrier, mes parents ont connu leur lot de misère avant qu'un emploi dans la fonction publique n'offre à mon père l'occasion de se glisser lentement sous les jupes de la classe moyenne. Après l'entrée de ma sœur cadette à l'école primaire de notre quartier, ma mère a mis à contribution ses compétences en relations interpersonnelles pour se dénicher un emploi de secrétaire à l'université. Tout ça pour dire que je n'ai jamais manqué de rien, passant même mes étés d'adolescence à la campagne dans un chalet rudimentaire mais chaleureux situé dans le haut d'une avenue donnant directement sur un lac.
Je ne le vous cacherai pas, si je vous raconte tout ça, c’est en fait pour me guérir du traumatisme que m’a causé ce qui s’est passé au Refuge il y a exactement deux ans, trois mois et vingt-deux jours.
Mais comme je ne suis pas que «la femme de », je parlerai pour moi et lui laisserai le monopole de ses révélations personnelles, m’octroyant cependant le droit de rectifier au besoin ce qui, dans sa version de ce qui nous est arrivé, me semble fautif.
La vie est un combat perdu d’avance, mais nous allions nous battre jusqu’à la fin, en choisissant cependant le champ de bataille de nos dernières querelles.
Bien qu’en bonne forme physique, nous sentions les années que nos corps avaient traversées dans nos muscles moins fermes et nos articulations parfois douloureuses.
Antoine avait pris un coup de vieux au cours de la dernière année, et je m’inquiétais davantage pour lui que pour moi. Je surestimais sans doute ma capacité à contrôler mon stress, mais j’étais celle qui, de nous deux, savait le mieux réagir à l’adversité.
Je ne connaissais Solène que depuis vingt-quatre heures et déjà, j’avais compris que je n’avais jamais été amoureux avant de la rencontrer.
Ça fait peur, le bonheur, quand on nous y a pas habituée. Mais toi, tu peux pas comprendre ça.
-Eh! C’est fou! Je viens à Québec une fois par année et je tombe sur toi!
Les Colocs mélangeaient les rythmes et les couleurs dans un élan de libération salvatrice pour un Québec capable de donner et de recevoir dans un même mouvement. Il m’arrive encore aujourd’hui de me dire que Dédé aurait vécu malheureux s’il n’était pas parti en se faisant hara-kiri, qu’il n’aurait pas pu lutter contre les vents de rectitude qui ont déferlé par la suite, nous réduisant comme peau de chagrin à ce qui nous différencie, avec en prime la peur, de soi et des autres. La soif, d’argent et de reconnaissance. La faim, de plaisirs factices. Ajouté à cela, le contentement facile.
Avec novembre sont venues les premières gelées et la bordée de neige inaugurale de l'hiver. Trente centimètres de flocons mouillés, tombés du ciel en quelques heures à peine et qui n'allaient fondre qu'en avril ou en mai.
J'assistais au spectacle derrière notre fenêtre, alors qu'on diffusait à la radio l'Andantino de la Sonate no 20 pour piano de Schubert, et la neige qui fondait sur la vitre répondait aux larmes qui embuaient mon regard.
Notre vie est un voyage dans l'hiver et dans la nuit nous cherchons notre passage dans le cil où rien ne luit. (Céline)
Une odeur persistante de feuilles mortes et de gomme de sapin avait pris l'air humide en otage.
Quelle est la valeur de cette vie dont les meilleurs moments nous apparaissent toujours comme des périodes d'évasion, de fuite de soi? (Gilles Archambault)
La prière, croyez-moi, n'est souvent pour beaucoup que le besoin, quand on se sent seul, de parler à la seconde personne. (André Gide)
La littérature – et plus spécifiquement le roman – permet de circonscrire ce qui dans la vie passe souvent trop rapidement, en nous ou autour de nous, pour que nous réussissions à le reconnaître. Avec sa capacité de jouer avec le temps en l’étirant ou en le compressant, le romancier permet au lecteur de prendre du recul pour donner du sens à ce qui demeure souvent insensé dans sa vie courante. (p. 79)
Avec chaque texte, l’écrivain monte dans un canot et file sur une rivière que les crues ont gonflée. Ça roule et ça déboule, de tourbillons pernicieux en rapides menaçants, sans qu’il puisse éviter tous les écueils. Il tente de manœuvrer entre les roches les plus apparentes, mais il s’en trouve plusieurs sous la surface des eaux pour égratigner la toile de son embarcation. Certains pics plus pointus menaceront même de la percer, ce qui ferait s’échouer le texte en attendant qu’on le répare. Or, plus l’écrivain pagaie, plus il apprend à contourner les obstacles, quitte à devoir portager de temps en temps. (p. 43)