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Citations de Alain Ehrenberg (51)


L'alcool est un moteur de parole, une dynamo de la communication. Il est le support d'une imagerie désordonnée de la sociabilité parce qu'il est assimilé à la fois aux classes populaires et au débit de boissons qui est leur chez-soi. Cette sociabilité s'oppose à celle de l'apéritif bourgeois dans l'espace domestique, définissant ainsi deux manières du bien boire selon l'appartenance sociale, le mal-boire est l'alcool pris chez soi et seul, le bien-boire se déroule au café, in désinhibe l'individu et favorise la sociabilité. C'est également boire au travail, car il y a une diététique populaire de l'alcool : la stimulation, le coup de fouet pour se donner le courage et l'énergie au travail.
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Alain Ehrenberg
La dépression et l'addiction sont les noms donnés à l'immaîtrisable quand il ne s'agit plus de conquérir sa liberté, mais de devenir soi et de prendre l'initiative d'agir. Elles nous rappellent que l'inconnu est constitutif de la personne, aujourd'hui comme hier. Il peut se modifier, mais guère disparaître - c'est pourquoi on ne quitte jamais l'humain. Telle est la leçon de la dépression. L'impossibilité de réduire totalement la distance de soi à soi est inhérente à une expérience anthropologique dans laquelle l'homme est propriétaire de lui-même et source individuelle de son action.
La dépression est le garde-fou de l'homme sans guide, et pas seulement sa misère, elle est la contrepartie du déploiement de son énergie.
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La drogue est certes un esclavage pour une partie de ses consommateurs, pourtant, les drogues, les produits psychotropes (drogues illicites, alcool, médicaments psychotropes) participent de climats existentiels propres à nos sociétés d'individus que la figure du toxicomane radicalise. Il constitue la partie émergée de l'iceberg.
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Qu'Est-ce qu'une drogue ? Un médicament peut-être, mais qui donne à tout homme la sensation d'atteindre une plénitude divine.
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3. « À partir de l'invention des antidépresseurs et des anxiolytiques, la scène médicale et sociale de la dépression s'élargit considérablement. La possibilité d'améliorer l'humeur douloureuse avec des molécules permet à un nombre croissant de psychiatres de s'installer en libéral et aux médecins généralistes de répondre aux plaintes qui s'exprimaient depuis longtemps parmi leur clientèle. Ces derniers devront cependant composer avec les incertitudes des outils psychiatriques. L'industrie pharmaceutique entre dans le jeu. Les médias également : les magazines le répéteront à l'envi à partir de la fin des années 1950 : la dépression peut arriver aux mieux-portants. On rassure le public : ni maladie mentale ni maladie imaginaire, voilà le mot d'ordre. […] La dépression se socialise et la vie psychique sort de son obscur halo. » (p. 81)
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2. « En suscitant l'espoir de surmonter toute souffrance psychique parce qu'il stimulerait l'humeur de personnes qui ne sont pas "véritablement" déprimées, la nouvelle classe d'antidépresseurs confortables, dont Prozac est le chef de file, incarne, à tort ou à raison, la possibilité illimitée d'usiner son intérieur mental pour être mieux que soi. On ne distinguerait plus se soigner de se droguer. Dans une société où les gens prennent en permanence des substances psychoactives qui agissent sur le système nerveux central et modifient ainsi artificiellement leur humeur, on ne saurait plus ni qui est soi-même ni même qui est normal. Le "qui" apparaît comme le terme clé parce qu'il désigne le lieu où il y a un sujet. » (p. 12)
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1. « La dépression amorce sa réussite au moment où le modèle disciplinaire de gestion des conduites, les règles d'autorité et de conformité aux interdits qui assignaient aux classes sociales comme aux deux sexes un destin ont cédé devant des normes qui incitent chacun à l'initiative individuelle en l'enjoignant à devenir lui-même. Conséquence de cette nouvelle normativité, la responsabilité entière de nos vies se loge non seulement en chacun de nous, mais également dans l'entre-nous collectif. Cet ouvrage montrera que la dépression en est l'envers exact. Cette manière d'être se présente comme une maladie de la responsabilité dans laquelle domine le sentiment d'insuffisance. Le déprimé n'est pas à la hauteur, il est fatigué d'avoir à devenir lui-même. » (p. 10)
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11. « À travers le malaise sont formulées et agrégées dans un langage familier, que chaque Français reconnaît spontanément, qu'il soit d'accord ou non, des craintes résultant de la confrontation de nos arrangements institutionnels antilibéraux à un contexte libéral. Les changements y sont énoncés et perçus comme déclin (perte d'autorité des institutions, précarisation de la vie, perte des repères, etc.), et les cibles en sont les valeurs de choix et la compétition qui apparaissent comme les symboles d'une crise de notre vivre-ensemble. Leur prix se mesure à ces nouvelles souffrances psychiques d'origine sociale. La matière de ce discours est la pensée sociale française, qui valorise l'autonomie, mais comme indépendance, et tient à l'égalité, mais comme protection. La division française sur l'autonomie est liée à la relation de celle-ci aux valeurs et aux normes de la compétition, d'une part, et au déplacement de l'égalité de protection à celle d'opportunités, d'autre part. Ce sont nos drames de familles qui se déroulent sur cette scène, c'est notre rhétorique de groupe qui s'y développe. » (pp. 336-337).
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1. « Qu'est-ce alors que la drogue ? Un artifice pour fabriquer de l'individu, une chimie de la promotion de soi. Elle radicalise le primat de la liberté individuelle qui, dans son versant purement privé, commence à caractériser les sociétés occidentales à partir du XVIIIe siècle. […] La question de la drogue s'est construite comme une interrogation sur les limites de la liberté et de la sphère privée dans la civilisation démocratique. […] Elle conditionne la possibilité de vivre sa propre vie, avec soi-même c'est-à-dire avec autrui. La sphère privée devient un problème à partir du seul moment où elle enferme le sujet dans une telle passion pour lui-même qu'elle en devient invivable. Un monde privé illimité, c'est cela que l'on appelle la souffrance du toxicomane, qu'il s'adonne à l'héroïne, à l'alcool ou à n'importe quoi. » (p. 8)
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Pour cette raison le drogué est aujourd'hui la figure symbolique employée pour définir les visages d'un anti-sujet. C'était le fou qui occupait autrefois cette place. Si la dépression est l'histoire d'un introuvable sujet, l'addiction est la nostalgie d'un sujet perdu.
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Si, pour l'alcool, les sociétés occidentales ont traité des limites du droit à disposer de soi en termes de seuil, la drogue est devenue progressivement un problème de société en se construisant historiquement comme négativité pure, comme la part maudite des techniques de multiplication de l'individualité. S'il doit y avoir des limites à la libre disposition de soi, limites sans lesquelles il n'y aurait qu'une société privée, c'est-à-dire également privée d'espace public, d'espace vivable, pourquoi l'usage de drogues pose-t-il en soi problème, alors que, pour l'alcool, seul l'abus en est un ? Pourquoi la consommation de n'importe quelle drogue est-elle assimilée à une manie, alors que ce n'est pas le cas pour l'alcool ?
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Au XIXème siècle, la drogue n'a jamais suscité les inquiétudes, voire les paniques, de ces trois grands fléaux sociaux que sont l'alcoolisme, la tuberculose et la syphilis (.).
La naissance du problème de la drogue est en effet associée à l'émergence et à la diffusion du sentiment de l'individualité sous la forme d'une double ambivalence qui perdure encore aujourd'hui : une conscience de soi, qui s'éprouve comme une division de soi, et une indépendance nouvelle à l'égard des règles sociales, qui se paie de l'asservissement à un produit? Le problème de la drogue s'est façonné dans cette alliance contradictoire entre l'émancipation à l'égard du dehors et l'assujettissement à l'égard du dedans.
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Entre pathologie de la volonté et construction de soi, les drogues dessinent un espace imaginaire dans lequel s'inscrit la question des rapports entre la subjectivité et l'appartenance au lien : quelles sont les limites au-delà desquelles on n'est plus soi-même, on a perdu et son identité personnelle et son caractère de membre de la société ?
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Les notions de projet, de motivation ou de communication dominent notre culture normative. Elles sont les mots de passe de l’époque. Or la dépression est une pathologie du temps (le déprimé est sans avenir) et une pathologie de la motivation (le déprimé est sans énergie, son mouvement est ralenti, et sa parole lente). Le déprimé formule difficilement des projets, il lui manque l’énergie et la motivation minimales pour le faire. Inhibé, impulsif ou compulsif, il communique mal avec lui-même et avec les autres. Défaut de projet, défaut de motivation, défaut de communication, le déprimé est l’envers exact de nos normes de socialisation.
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L'empathie implique à la fois soi et autrui, elle en constitue la relation. Percevoir et comprendre ce qu'autrui a dans la tête en inférant ou en simulant, c'est se faire le spectateur de soi-même et d'autrui. L'homme social des neurosciences se montre sous la forme d'un enchaînement causal : il est d'abord spectateur, puis acteur. Les hommes sont bien dans ces idéaux "les miroirs des uns et des autres".
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9. « La critique de l'abaissement moral autrefois adressée à l'hypnose est reformulée sur les antidépresseurs dans un tout autre contexte. L'inquiétude identitaire suscitée par une substance chimique agissant sur les états de conscience n'est en effet pas un problème nouveau dans nos sociétés. Nous disposons depuis une trentaine d'années d'un antimodèle : la drogue. Elle est l'outil cognitif privilégié pour désigner une inconduite qui consiste à manipuler ses propres états de conscience, quelle que soit la dangerosité du produit utilisé. Le drogué est l'antimodèle idéal pour définir une manière d'être soi qui, grâce à l'ingestion d'une substance, évite les chemins de la conflictualité. Changer la personnalité de vrais malades, c'est leur redonner la santé, changer celle de gens dont on doute de la maladie, c'est les droguer, quand bien même la drogue serait sans danger. […]
La dépendance, cette relation pathologique à un produit, à une activité ou à une personne, est, avec la dépression, l'autre grande obsession de la psychiatrie. Pour la psychiatrie biologique ou comportementaliste, elle est une conduite à risques. Pour nos sociétés, elle est devenue quelque chose de plus essentiel parce que l'enjeu est moins médical que symbolique. En effet, le drogué est l'homme dont il est convenu de penser qu'il franchit la frontière entre le tout est possible et le tout est permis. Il radicalise la figure de l'individu souverain. La dépendance est le prix d'une liberté sans limites que se donnerait le sujet : la dépendance équivaut à une forme d'esclavage. Elle est avec la folie la deuxième manière de dire ce qui se passe quand la part du sujet vacille au sein d'une personne. Mais la folie et la dépendance le disent de façon tout à fait opposée. Si la première est révélatrice de la face sombre de la naissance du sujet moderne, la seconde met massivement en lumière celle de son déclin. » (pp. 236-237)
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8. « La cure [psychanalytique] type s'adresse-t-elle aux traumatisés de la précarité et de l'exclusion ? Aux nombreux salariés qui usent, et peut-être abusent, de tranquillisants et d'antidépresseurs (je ne parle même pas de l'alcool, le grand tabou français) pour tenir tête aux contraintes accrues qui s'exercent sur eux en attendant que l'orage passe éventuellement ? […] De nouvelles demandes lui sont continuellement adressées : elles n'ont pas le visage limpide du conflit, mais celui plus insaisissable du vide. […] Elles s'énoncent aujourd'hui dans les termes vagues d'un mal-être résultant des nouvelles contraintes économiques et sociales, mais aussi de la précarisation de la vie privée. […]
Le responsable d'un centre de consultations et de traitement psychanalytiques […] constate la croissance des demandes d'analyse motivées par un licenciement, le chômage ou la précarité. "Nous avons vu émerger une néo-traumatologie, dans laquelle la référence répétitive, lancinante, à une réalité factuelle conférait à la symptomatologie un caractère de névrose actuelle." Plus précisément, il s'agirait d'une forme de "névrose de guerre économique". » (pp. 220-221)
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7. [Ex « Médicaments, psychanalyse », in : Psychanalystes, n° 39, juillet 1991:] « "L'exigence croissante de confort psychique et de normalité, ainsi que l'impératif d'un résultat rapide et performant favorisent du côté de la médecine un style de réponse thérapeutique calqué sur la médecine somatique. […] C'est à terme un idéal de maîtrise chimique des aptitudes cognitives, de la vie émotionnelle et des conduites qui est visé." Le confort intérieur est en effet indispensable à l'action : ne faut-il pas mobiliser ses affects pour agir ? Les gens peuvent-ils se permettre d'attendre de régler leurs conflits alors que les exigences d'action et d'adaptabilité s'accroissent ? » (p. 202)
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6. « Le changement a pendant longtemps été une chose désirable parce qu'il était lié à l'horizon d'un progrès qui devait se poursuivre indéfiniment et d'une protection sociale qui ne pouvait que s'étendre. Il est appréhendé aujourd'hui de façon ambivalente, car la crainte de la chute et la peur de ne pas s'en sortir l'emportent nettement sur l'espoir d'ascension sociale. Nous changeons, certes, mais nous n'avons plus le sentiment de progresser. Combinée à tout ce qui incite aujourd'hui à s'intéresser à sa propre intimité, la "civilisation du changement" stimule une attention massive à la souffrance psychique. Elle sourd de partout et s'investit dans les multiples marchés de l'équilibre intérieur [développement personnel]. C'est dans les termes de l'implosion, de l'effondrement dépressif ou, ce qui revient au même, de l'explosion – de violence, de rage ou de recherche de sensations [addictions] – que se manifeste aujourd'hui une large part des tensions sociales. La psychiatrie contemporaine nous l'enseigne, l'impuissance personnelle peut se figer dans l'inhibition, exploser dans l'impulsion ou connaître d'inlassables répétitions comportementales dans la compulsion. La dépression est ainsi au carrefour des normes définissant l'action, d'un usage étendu de la notion de souffrance ou de mal-être dans l'abord des problèmes sociaux et des réponses nouvelles proposées par la recherche et l'industrie pharmaceutique. » (p. 201)
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5. « La dépendance psychologique réintroduit la notion de sujet d'une manière analogue à celle de Pinel avec le fou : le sujet vacille, mais il est là. En effet, cette dépendance suppose l'idée de relation au produit, indépendamment de ses caractéristiques pharmacologiques : on peut être dépendant du cannabis, on peut consommer occasionnellement de l'héroïne, y compris par injection. Mais la dépendance psychologique a également une autre conséquence : en relativisant l'emprise pharmacologique du produit, elle désigne un rapport pathologique, qu'il s'agisse d'un produit, d'une activité ou d'une personne. La dépendance est un comportement pathologique de consommation quel qu'en soit l'objet. » (p. 144)
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