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Citations de Alain Ehrenberg (51)


4. « Au lieu de la discipline et de l'obéissance, l'indépendance à l'égard des contraintes sociales et l'étayage sur soi : au lieu de la finitude et du destin auquel il faut s'adapter, l'idée que tout est possible ; au lieu de la vieille culpabilité bourgeoise et de la lutte pour s'affranchir de la loi des pères (Œdipe), la peur de ne pas être à la hauteur, le vide et l'impuissance qui en résultent (Narcisse). La figure du sujet en sort largement modifiée : il s'agit désormais d'être semblable à soi-même. À partir du moment où tout est possible, les maladies de l'insuffisance viennent placer, à l'intérieur de la personne, des déchirures venant lui rappeler que tout n'est pas permis. » (p. 118)
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8. « On ne se libère pas de la verticalité sans en payer très concrètement le prix affectif. Ce sont les nouvelles pathologies de l'idéal, ces névroses de caractère qui sont les malheurs de l'horizontalité comme les névroses de transfert étaient des pathologies de la verticalité. "Aux maladies du père (névrose obsessionnelle, hystérie, paranoïa) ont largement succédé les maladies de la mère (états-limites, schizophrénies, dépressions)" [M. Schneider, 2002]. Ces pathologies concernent l'idéal au sens où elles sont causées par un déclin social réel de l'imago paternelle dans la société, et donc de la série institution, symbole, transcendance, hiérarchie, limite qui forme une famille conceptuelle. La dépression est à la fois le prototype et le syndrome majeur de ces pathologies, mais les troubles alimentaires, les addictions et les "agirs", ces impulsions violentes ou suicidaires où le passage à l'acte remplace le symptôme, les psychopathies, les psychosomatisations font aussi partie de cette espèce. […] La déliaison se voit tout particulièrement dans le souci pour les "limites". » (p. 229)
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2. « L'entrée des médicaments psychotropes dans l'épidémiologie de la drogue […] accentue le brouillage des catégorisations [entre drogues licites et illicites, etc.] […]. La presse et nombre d'experts parlent de toxicomanie aux médicaments, mais ceci ne se caractérise pas, à la différence de l'héroïnomanie, par la désocialisation et la déchéance. Au contraire, ils sont des drogues de performance et de socialisation qui aident l'individu à mieux s'intégrer, à aménager son confort intérieur et à survivre dans une société qui a vu s'effriter en quelques années les institutions collectives sur lesquelles s'appuyaient la régulation des rapports sociaux. Elles servent aux individus à s'auto-assister afin de tenir le coup dans des rapports sociaux qui exigent de plus en plus de responsabilité et de visibilité personnelles. » (p. 18)
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3. « Il ne laisse pas toutefois d'être troublant que ce soit à travers le geste par lequel il tente d'actualiser son idéal d'autonomie – d'autonomie absolue, devrait-on ajouter –, que l'individu devient "aliéné à lui-même" (Michaux). Troublant qu'une telle expérience émerge historiquement sur la scène sociale avec l'avènement démocratique.
La clinique nous apprend que la méconnaissance de sa finitude rend l'individu vulnérable à toute forme de dépendance aliénante. C'est pourquoi celui-ci ne peut s'en détacher qu'en s'assumant comme être de finitude et en acceptant la dépendance de l'autre, qui le constitue. La toxicodépendance renvoie de ce fait à la question centrale de toute société démocratique : celle de l'adéquation du lien social et de la liberté individuelle. » (p. 53)
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4. « [Au début du XIXe siècle] l'écoute des modifications de conscience sous l'effet de substances actives devient un thème littéraire. Plus encore, le rêve, l'"autre réalité" deviennent un thème de revendication. […]
La transformation de l'écoute médicale, au même moment, fait mieux comprendre encore ce qui se renouvelle au début du XIXe siècle. [Charvet, en 1826] tente, pour la première fois, d'enregistrer le déroulement des effets psychiques en minutant leur apparition après la prise. […]
Il faut cette transformation, cette acceptation d'une "autre réalité" pour que soit introduit un mode rénové de recours aux produits. La différence radicale entre le témoignage des consommateurs du XVIIIe siècle et celui des consommateurs du XIXe siècle le montre sans équivoque. Un registre de sensations nouveau, explicitement psychologique, apparaît qui rend l'expérience totalement inédite. » (pp. 93-94)
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5. « Pourquoi cette jubilation autour du "buveur" dans notre culture ? Pourquoi ce consensus chaud et rigolard lorsque les gestes du boire, les objets et les postures de l'enivrement sont mis en scène ? Pourquoi l'ivrogne est-il un héros d'histoires comiques plus que le "drogué", et au même titre que le "fou" avec son entonnoir sur la tête, le "distrait" lunatique, l'idiot "du village", la "femme", le "juif", etc ? […] Comme si le modèle prévisible de l'ivresse était homogène, reconnaissable facilement, et suscitait un consensus plutôt positif, alors que le peu d'images diffusées de la toxicomanie ne produiraient que des effets de "froid" et de flou : que s'y passe-t-il au juste ? Rien n'est clair et tout est suspect dans l'imagination de l'expérience de la "drogue" anticipée socialement. » (p. 177)
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6. « La pharmacodépendance risque-t-elle de devenir le prix social à payer pour intégrer les marges ? […]
La recherche scientifique sur la chimie cérébrale a permis la découverte de nouvelles molécules qui ont élargi l'éventail d'effets psychotropes de plus en plus spécifiques, entre sédation et stimulation. Notre société offre de plus en plus de produits à la demande croissante d'adaptation et d'intégration sociale. L'usage thérapeutique de ces produits actifs risquerait à terme de devenir marginal. De leur côté, les pratiques d'intoxication aux produits illicites semblent tendanciellement obéir à la même logique, reléguant les valeurs transcendantes et initiatiques à l'Histoire.
La pharmacodépendance devient le commun dénominateur de l'usage des psychotropes licites et illicites, dette inépuisable dont le sujet dépendant doit s'acquitter pour le prix d'une dépendance sociale confortable. » (p. 217)
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7. « Vue du cabinet médical, la maladie se déroule inexorablement, de la lune de miel à l'ultime déchéance où le prisonnier de la drogue reconnaît tout à la fois son mal et son impuissance. Le regard médical est si prégnant qu'il plonge dans l'obscurité l'expérience quotidienne de l'usager de drogues, d'abord confronté à la nécessité d'engendrer ses propres contrôles. La survie dans le monde de la drogue l'exige. Le contrôle ici commence par celui des quantités : se droguer, c'est d'abord apprendre à doser ; se maintenir sur la ligne de crête exige une forte discipline. Le marché de la drogue est lui aussi affaire de contrôle. En dernière instance, il dépend de l'usager-trafiquant et de sa capacité à contrôler sa propre consommation, évaluée au quotidien par ses clients comme par ses pourvoyeurs ; et cette information, qui tisse le marché de la drogue, circule au même titre que les arrivages, les quantités, les prix. La perte de contrôle est sanctionnée par l'exclusion des circuits de revente. » (p. 247)
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8. « En apportant aux troubles psychiques une réponse thérapeutique analogue à celle qui est mobilisée pour le traitement des troubles organiques, les tranquillisants révèlent la dimension biologique, animale, de notre système cérébral et nerveux, et donc de notre vie psychologique. […] Ils dissolvent ainsi une sorte de principe d'équilibre qui veut qu'à un mal correspond une thérapeutique de même nature : au mal organique, une réponse pharmacologique ; au mal psychique, une réponse psychothérapique ; au mal social, une réponse sociale.
C'est l'ordre qui est brouillé, les limites entre ces registres qui sont transgressées par l'effet de thérapeutiques qui traitent le mal psychologique sur le mode pharmacologique propre aux troubles organiques. On mesure la confusion : nous ne serions donc, y compris dans notre vie psychique, dans notre vie sociale, qu'une machine biologique sensible à l'inhibition ou à l'activation de tel ou tel site récepteur de notre système nerveux central ! » (p. 279)
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9. « Ainsi, le toxicomane est-il condamné par la justice moins au nom du sujet de droit qu'il est, qu'au nom du sujet qu'il va devenir ! Notre temps croit à une sorte de pédagogie du sujet de droit dont la négociation serait la forme privilégiée, qui constitue une des finalités du droit et de l'institution judiciaire, que les travailleurs sociaux et les psychologues appellent "le rappel de la loi". Légitimité croisée, réciproque du droit postmoderne qui, en même temps qu'il fait exister le sujet, recherche dans la négociation qu'il lui offre une sorte de complément contractuel à sa légitimité. […] La négociation [de la désintoxication au lieu de la détention] ne doit donc pas être considérée comme une simple technique, voire comme une ruse des institutions destinée à procurer l'illusion de la maîtrise de la décision : il faut y voir un signifiant majeur de notre socialité, une manière légitime d'appliquer le droit, un moyen qui tend à se confondre de plus en plus avec la fin même du droit. » (p. 309)
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"la psychanalyse française est la science de l'homme coupable, la psychanalyse américaine est la science du développement personnel"
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"Pour guérir, y compris avec une molécule, il faut que le patient s'intéresse à son intimité.
Il ne peut être réduit à sa maladie, il doit être un sujet de ses conflits."
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(p.297)

Au premier niveau, j’ai tenté de montrer comment les neurosciences et les sciences comportementales-cognitives tiraient leur autorité morale de la transfiguration, dans leurs concepts, leurs méthodes de démonstrations et leur langage, d’un aspect majeur de la modernité individualiste sur lequel repose une bonne partie de nos manières de vivre et d’agir. Leur réussite tient à l’intrication d’un système d’idées sociales et d’une théorie scientifique, celle-ci promettant de fournir un fondement solide à nos concepts sociaux les plus ordinaires et possédant donc la plus haute valeur.

Au second niveau, mais en poursuivant la même voie descriptive, j’ai voulu comprendre jusqu’où pouvait aller cette connaissance de l’homme pensant, sentant et agissant à partir de celle de son cerveau en vue de faire la part des choses entre la cohérence de ces sciences et leur pertinence, ce qu’elles montrent réellement. Cette démarche impliquait d’éviter deux écueils habituels en sociologie et en anthropologie.

Le premier consiste à opposer « notre » antiréductionnisme à « leur » réductionnisme, ce qui conduit à ne pas prendre au sérieux leurs avancées par une stratégie – trop facile – montrant la distance entre leur caractère partiel et leurs grandioses prétentions affichées. Le second écueil, à l’inverse, que l’on trouve chez les partisans de l’individualisme méthodologique, cherche à employer ces mêmes avancées pour améliorer nos propres disciplines.
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Les drogues sont un raccourci chimique pour fabriquer de l'individualité, un moyen artificiel de multiplication de soi, qui suscite simultanément la hantise d'une vie privée illimitée, c'est-à-dire d'une société sans espace public, donc invivable.
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L'humanité améliorée artificiellement par des médicaments psychotropes permettant d'apaiser l'angoisse, de stimuler l'humeur, de renforcer la mémoire ou l'imagination est en passe de devenir notre quotidien. Les débats sur les médicaments psychotropes, initiés sur les tranquillisants et les somnifères dans les années 80, se poursuivent aujourd'hui sur les antidépresseurs, tandis que l'amélioration artificielle de la mémoire et des capacités cognitives de chacun sera bientôt à l'ordre du jour via les recherches sur la maladie d'Alzheimer. Si l'on peut modifier les perceptions mentales sans danger pour soi et pour autrui, nos sociétés seront-elles composées d'individus "normaux" et assistés en permanence par des produits psychiques ? Le mythe de la drogue parfaite est une question sociologique et politique d'actualité.
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Alain Ehrenberg
(Le culte de la performance) a propulsé un individu-trajectoire à la conquête de son identité personnelle et de sa réussite sociale, sommé de se dépasser dans une aventure entrepreneuriale. (...) Enjoint de décider et d'agir en permanence dans sa vie privée comme professionnelle, l'individu conquérant est en même temps un fardeau pour lui-même. Tendu entre conquête et souffrance, l'individualisme présente ainsi un double visage.
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Je m'étonne donc d'entendre si souvent dire que la société est devenue plus passive et que la dépolitisation s'est généralisée: C'est seulement l'action et ses référents qui ont changé
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Il nous faudra de plus en plus vivre avec des psychotropes améliorant l’humeur, augmentant la maîtrise de soi et adoucissant peut-être les chocs de l’existence.
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Dans une société où les contraintes d’initiative individuelle sont fortes et où la responsabilité des échecs pèse particulièrement sur les plus faibles socialement, la médecine des comportements a sa légitimité, et je ne vois pas au nom de quel argument moral il faudrait la diaboliser.
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La dépendance est, au même titre que la dépression, à la fois une maladie et un état d’esprit.
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