Citations de Albane Mondétour (86)
Céleste songea, non sans une certaine amertume, qu’avant Abel, elle n’avait jamais vraiment compris la signification de l’adage « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Le Fantôme prenait cette expression au pied de la lettre. Il détruisait méticuleusement ses victimes, les réduisait à l’état de cendres, prenait un plaisir sadique à les anéantir, jusqu’au point de non-retour.
Sauter ainsi dans le vide n’avait rien de naturel, surtout en sachant ce qui l’attendait à l’arrivée. Ce serait comme être transpercée par un millier d’aiguilles en même temps. Il y aurait ensuite deux possibilités. Soit le froid paralyserait aussitôt ses membres et son diaphragme, et elle coulerait à pic, soit elle referait surface et dans un ultime instinct de survie tenterait désespérément de se hisser sur la berge, en pure perte, s’épuisant inutilement, usant ses dernières forces, pour finir inévitablement par sombrer.
Le Fantôme parlait à ses victimes, constamment. Il tentait d’expliquer ses crimes, d’y trouver une raison presque divine. Il prétendait être capable de transfigurer une femme en la poussant dans ses retranchements, en la faisant souffrir au-delà de l’inimaginable. Selon ce malade, si sa victime parvenait à survivre à un tel calvaire, elle serait capable de tout affronter, elle deviendrait invincible.
Même les victimes survivantes étaient incapables de l’identifier, et pour cause, leur ravisseur portait constamment une cagoule noire.
Lucie avait dit un jour que la seule partie de son visage qu’elle avait pu apercevoir était ses yeux. Deux grands yeux d’un bleu très clair, inexpressifs et glacés sur une peau d’une blancheur spectrale.
Abel avait les yeux bleus.
La vie lui avait pourtant appris à ne jamais se fier aux premières impressions, si trompeuses et pernicieuses. Les gens étaient rarement ce qu’ils semblaient être au premier abord.
Je la sens sur la défensive, et ma méfiance prend des proportions inquiétantes. Lucie lui voue un véritable culte. Je n’aime pas cela. Rien n’est plus dangereux que la confiance aveugle, et ce que je ressens ne me rassure pas.
Gueule d’ange, diable au corps. Car cette Céleste Laroque est incontestablement très belle. Si on ne prête pas attention à son air dédaigneux.
Je ne peux m’empêcher de la dévisager avec une animosité à peine voilée. Je ne comprends pas ce que Lucie apprécie chez cette femme. Elle dégage une telle froideur… Tout en elle me rebute… Et cette façon de prendre les gens de haut m’exaspère.
Nos regards se croisent et s’accrochent. Nous sommes deux fantômes perdus dans la tempête. Je sais que le moment est venu de baisser les armes, que mes craintes ne valent rien, comparées à ce qu’il peut m’offrir.
Son visage est si proche du mien à présent que nos lèvres se trouvent naturellement.
Son baiser a un goût de sel.
J’oublie où nous sommes, qui nous sommes, pendant longtemps. Je suis juste une fille, sur une plage, dans un autre monde. Plus rien ne compte à part cette immense étendue d’eau et sa main posée sur mon genou.
Autant demander à un fauve de relâcher sa proie alors qu’il a déjà les crocs plantés dans son flanc.
Sans lui accorder un regard, mais sentant sa présence dans son dos, elle retira un à un les boutons ornant le devant de sa robe en laine, et la laissa tomber sur le carrelage, se retrouvant en sous-vêtements. Une main tiède vint se poser sur ses reins, une autre sur son épaule, et il la fit pivoter. Céleste se retrouva nez à nez avec lui, sa bouche à quelques centimètres de la sienne.
Il ne les laissait jamais seules. Elles étaient bien trop précieuses à ses yeux. Il s’assurait toujours qu’on les trouve avant de s’en aller, mais ce n’était pas l’unique raison de sa présence…
Il était capable d’apprécier la beauté du paysage s’offrant à lui, une beauté calme et tranquille, bucolique à souhait. Oui, il pouvait aisément comprendre ce qui pouvait attirer les citadins du coin dans cet écrin de verdure. Et bientôt, ce havre de paix fabriqué de toutes pièces par les hommes deviendrait l’ultime témoin d’un tableau grandiose, où chaque détail avait été pensé avec soin.
- [...] On arrive bientôt ?
Je pose la question tout en me penchant sur le smartphone qui nous sert de GPS. Laurence l'a calé sur le tableau de bord. Je soupire de soulagement. Moins de cinq minutes de torture et je retrouve la terre ferme.
Et en effet, au détour d'un ultime virage, j'aperçois ses tourelles d'albâtre surmontées de tuiles noires. Le reste de la bâtisse est camouflé par de grands arbres et protégé par un mur d'enceinte haut d'environ deux mètres. Nous franchissons en silence le portail en fer forgé, dont les grilles sont ouvertes. [...]
Le château se trouve au bout d'un chemin bordé par des topiaires taillées en dômes. Il est beaucoup plus imposant que j'avais imaginé.
Ils s'étaient figés, tous sans exception. On aurait dit des statues de cire, suspendus aux lèvres d'une folle, attendant que le couperet tombe. Ils le voyaient venir avec effroi, refusant néanmoins d'y croire, priant intérieurement pour que cette conversation ne soit qu'un affreux cauchemar.
Dubreuil connaissait suffisamment la nature humaine pour anticiper leurs réactions. Ce serait moche, cruel, et injuste.
Pourtant, se bercer d'illusions n'était pas dans sa nature. Imaginer le pire permettait de se préparer à ce qui pouvait arriver, or dans ce cas précis, Céleste ne l'était pas.
La plupart du temps, j'oublie que j'ai peur. Je reste sans bouger durant des heures, sans même voir ce qui m'entoure. Je ne pense pas, je ne réfléchis pas, je reste seulement là à patienter.
Nous attendons. Nous attendons quelque chose qui ne viendra peut-être jamais. C'est étrange comme sentiment. Il me semble être comme suspendue entre deux mondes. Le temps s'est en quelque sorte arrêté pour Lucie et moi, et maintenant pour William.
Ces cauchemars étaient les fragments d’un passé sanglant transmis de générations en générations. Mais la menace ne résidait pas dans ces derniers. Sans eux, Lucrèce n’aurait pas fait le lien entre Joseph et Édouard. Sans eux, elle n’aurait pu le soustraire à son sort. Il serait mort, assassiné par le père de Diane. Ces rêves n’étaient pas destinés à la détruire, ils avaient fait remonter à la surface une culpabilité dont Lucrèce n’avait pas conscience, censée la prévenir de ce qui l’attendait si elle sortait du droit chemin.