Aleksandra Marinina

p.100.

Dès que nous eûmes franchi le seuil de sa chambre, j’eus devant moi un autre homme. Le sourire gêné disparut et ses mouvements prirent de l’assurance. Visiblement, il appartenait à la catégorie des « chats ». On dit que ces derniers s’habituent aux endroits et les chiens aux hommes. A mon avis, pour les gens, c’est la même chose. Certains ne peuvent maintenir leur confort psychologique que s’ils se trouvent sur leur territoire. Pour d’autres, ce qui compte avant tout, c’est d’être en compagnie de gens connus et sympathiques. Je suis un « chien »typique et n’aime pas nouer de nouvelles relations. Je préfère rester dans mon petit cercle.

p.58.

- Allons, Tania ! Depuis des temps immémoriaux on sait qu’il faut laisser mariner les suspects dans le couloir pour qu’ils aient peur. Si on les recevait tous à l’heure, ils penseraient qu’on n’a pas d’autre souci que de les attendre pour leur parler.
- Je ne sais pas. En tout cas, ma position sur la question est tout à fait différente.
- C’est-à-dire ?
- Que quelqu’un qui sait bien gérer son temps passe pour sérieux et précis : on sait qu’on peut compter sur lui, mais qu’on ne peut pas le mener par le bout du nez ni lui raconter des bobards. C’est ce genre de réputation que je suis parvenue à me tailler et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.

p.46.

Et là, en regardant ma fille et son amie assises toutes les deux sous le lierre et la vigne sauvage et qui se ressemblaient tellement, je compris douloureusement à quel point mon enfant avait manqué, petite, d’un contact calme et confiant avec des adultes, de conversations détendues, le soir, avec des parents avec qui elle aurait pu partager ses craintes et ses problèmes, et auxquels elle aurait pu se confier. Cela nous arrangeait bien, Rita et moi, d’avoir une fille calme et autonome, qui n’avait pas besoin de notre présence permanente, ni de notre tutelle pour les petites choses. Mais nous ne nous étions jamais demandé si cela lui plaisait, à elle.

p.57.


- Être un membre de votre famille pourrait s’avérer dangereux ?

- Plus que ça. Vous ne pouvez même pas deviner l’importance du danger.

- Alors, dites-le-moi. J’attends ça depuis deux jours.

- L’ignorance est préférable. Rappelez-vous que vous avez commis une grosse erreur.

Eh bien, voilà qui est agréable ! songea-t-elle avec irritation. Savoir qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait sans comprendre où se situe la faute… Difficile d’inventer pire. Quel salaud !

P.22.

Cela n’avait pas été long. Saouliak, qui ne quittait pas le gosse de l’œil, avait très vite compris que les choses sérieuses venaient de commencer. Il s’était tranquillement approché de la porte de derrière laquelle s’étaient planqués les violeurs avec leur victime. Elle était gardée par deux matons qui avaient facilité l’opération contre la promesse de pouvoir profiter de Kolia après les agresseurs.

Devant le bureau indiqué, une foule assise et soumise attendait sur des bancs dans le couloir : les témoins de l'affaire qui venaient faire leur déposition. Si je prenais la queue, je risquais fort de devoir patienter jusqu'au soir. Et je n'avais aucune envie d'expliquer à tous ces gens que j'étais de la maison. Bien sûr, j'aurais pu pousser la porte et pénétrer dans le bureau sans rien expliquer à personne, mais je ne tenais pas à revivre ma mésaventure du bureau n° 12. Interrompre une déposition est le meilleur moyen de se mettre à dos la personne qu'on cherche à amadouer et les sentiments de souveraineté personnelle sont particulièrement exacerbés par les temps qui courent.

Anastasia ne parvint à s'endormir qu'au petit matin. En plus de ses problèmes de famille, les paroles de son patron n'arrivaient pas à lui sortir de l'esprit. La corruption de la milice par la mafia n'était pas un phénomène nouveau. Tant que ça n'arrivait qu'aux autres, dans d'autres services et dans d'autres villes, il était encore possible de n'y voir qu'une réalité purement statistique. Mais là, le problème glissait sur le plan de la psychologie et de la morale, et impliquait des décisions douloureuses.

(incipit)
Je suis mort hier. Hier, oui, je vivais encore. J'étais le même que les années précédentes. J'étais celui que j'avais été toute ma vie durant. Mais, depuis hier, je suis un homme mort. Et je n'ai aucune idée de ce que sera mon existence. En aurai-je même une, d'ailleurs ?

p.96.
Qu'est-ce qui fait que deux personnes restent ensemble ?

p.55.
Les divergences entre les témoignages sont inévitables, mais elles restent généralement contenues dans certaines limites. Si les dépositions sont trop proches ou trop éloignées pour être expliquées par les différences psychologiques entre les témoins, ça signifie qu'un facteur extérieur entre en ligne de compte.

Tous les êtres humains ne sont-il pas perpétuellement à la poursuite d'un mythe ?

Parmi les rares choses qui font naître un courant de sympathie entre des gens inconnus, les coïncidences occupent une bonne place.

Beaucoup de nos malheurs viennent du fait que nous essayons de mesurer les autres à notre aune.

Une mauvaise paix vaut mieux qu'une bonne guerre.

Il est difficile de faire entièrement confiance à quelqu'un qui accepte de trahir.

Dima... je suis juge d'instruction et pas marchande des quatre-saisons, me reprit-elles gentiment. Je ne produis pas d'alcool frelaté, mais je sais exactement comment on le fait. Je connais aussi les techniques de détournement dans l’industrie chimique, bien que je ne sois ni voleuse ni chimiste.

p.239.

Pour lui, l’argent comptait plus que la vie humaine. C’est vrai que l’argent lui appartenait, alors que les vies, c’était celles des autres… Et puis, elles étaient déjà perdues, on n’y pouvait plus rien. Tandis que les bénéfices étaient encore à venir.

p.201.

En regardant Tolik Gouchtchine s’éloigner pour rejoindre sa bande, je songeai à quel point de tels gamins, faibles et complexés, pouvaient facilement être utilisés par des êtres sans scrupule. Et je ne pensais pas seulement à moi.

p.10.

Si nous étions restés plus souvent avec elle, sans doute serait-elle devenue une enfant ordinaire et capricieuse, mais c’étaient justement nos absences répétées, à Rita et à moi, qui lui avaient permis de forger son caractère : à quoi bon faire des caprices dans un appartement vide ?
Cette situation, qui ne manquait pas d’avantages pour nous, présentait néanmoins un inconvénient de taille : à force, Lilia avait fini par se refermer en elle-même, non parce qu’elle désirait dissimuler quoi que ce fût, mais simplement parce qu’elle n’avait personne à qui se confier.

p.60.


- Je vous envie votre optimiste. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on dit que beaucoup de connaissance apporte beaucoup de chagrin.

- Partagez avec moi vos connaissances amères et je perdrais peut-être l’appétit. Nous économiserons sur la nourriture.