Alexandre Labruffe

Le réel percute la fiction que je suis en train d’écrire. La dépasse. La dévore. Je la stoppe pour ne pas avoir l’impression de vivre dans mes propres affabulations.

Je suis le concierge d'une névrose qui nécrose le monde. En même temps j'ai cette sensation curieuse, schizophrène et visionnaire, d'être le has been d'une industrie vampire.

Je pense :"L'homme est le lapsus de la femme."

1 plan Q-de-sac

En Chine, l'enfant roi, les espoirs délirants placés sur ce mini-mâle, c'est une bombe à retardement psychologique. La République populaire est l'avenir de la pathologie.

SINCERITY & ETERNITY,
l’enseigne d’un diamantaire
qui vend le mariage, l’amour, enrobé dans une pierre,
Une fièvre souvent solitaire.

A Hong Kong, il y a un braquage de papier toilette. Un stock volé par trois hommes armés. Curieusement, en période de fin du monde, les gens ne pensent qu'à leur cul.

- Ce virus nous fait entrer de plain-pied dans le XXIe siècle, qui sera le siècle de la science-fiction.

Je fanfaronne, pourtant deux chiffres m’inquiètent :

. Le nombre d’habitants partis de Wuhan avant la mise en quarantaine : cinq millions (sur onze) dont un certain pourcentage contaminés, qui sont en train, sans doute, de répandre le virus à travers le monde.

. Le nombre de vols directs Paris-Wuhan effectués depuis fin décembre : à raison de 4 vols par semaine, de 16 vols pour le mois de janvier, si on part sur 300 passagers en moyenne, 4 800 personnes sont arrivées à Paris où y ont transité, dont un certain nombre de contaminés qui vont commencer à diffuser le virus en France. Sans parler des vols indirects.

En fait, non, je n'aurais pas rêvé d'être confiné à Wuhan. Les conditions sont drastiques. Les sorties formellement interdites. La nourriture, rationnée, identique chaque jour (des nouilles instantanées). Aux portes de la ville, l'armée interdit toute entrée et toute sortie. Lock-down. Black-out. P89

A l'époque, c'est la politique de l'enfant unique, son règne absolu, mais en Chine tout s'achète et il faut montrer qu'on est riche et fertile, multiplier la progéniture. Le nombre d'enfants devient un signe de distinction sociale. (p. 49)

Fin mai 2019, le Ministère m'appelle. Mon interlocuteur, aux Affaires étrangères, avance sur la pointe des pieds, me demande si je suis disponible en septembre. Au chômage depuis trois ans, j'hésite à lui répondre, lui dire la vérité: " J'ai tout arrêté pour écrire", mais ça ferait mauvais genre. Ecrire fait mauvais genre. (p. 16)

Bientôt, on paiera l’air qu’on respire. La prochaine marque de distinction sociale sera la marque du masque que l’on porte. Ses caractéristiques. Ségrégation pour l’accès à l’air pur. Dans les villes, il y aura différentes zones plus ou moins contaminées, différentes qualités de l’air, que l’on pourra s’offrir ou pas. Le dérèglement de la planète : creuset et acmé des inégalités.

À l’issue de mon stage, je deviens chauve. Presque. À moitié. Le stress, je pense. Mais c’est peut-être l’effet du shampoing chinois utilisé, de ses composants louches, toxicophores. (D’ailleurs, plutôt que le nom de « shampoing », il mériterait celui de « détergent ».)

L’usine baigne dans l’huile, la poussière, la fumée, le grincement des machines. Le toit est percé, ne filtre ni le vent, ni la neige. Le bois est moisi. Le coton a un goût étrange de diesel, une couleur anormalement jaunâtre, que les ouvriers s’évertuent à blanchir, à grand renfort de sulfoxylate de sodium.

Ce que la Chine produit d'abord, ce sont des dystopies.

Depuis que je suis arrivé à Wuhan la sensation de vivre dans une ville de science-fiction s'ancre en moi. Son architecture étrange, ses strates d'histoire mixées, entre gratte-ciel post-futuristes, vieux buildings décrépits et maisons basses des anciennes concessions étrangères, ses illuminations nocturnes, son air au gout d'éther, sa pollution, ses rues vides le soir, ses embouteillages monstres le jour, ses innombrables chantiers, ses échangeurs autoroutiers superposés... font que je la surnomme: LE GOTHAM CITY CHINOIS.

J'autopsie notre folie.

Mon sommet est fragile. A l'heure de la production, j'ai parfois l'impression d'appartenir déjà à la préhistoire.

Je me dis que si la station service explosait par accident, si je mourais sur mon lieu de travail et qu'un archéologue découvrait, dans cent ans, sur les ruines de son chantier, les morceaux de mon squelette ... il me déclarerait trésor national et je serais exposé au musée des Arts premiers.

fait, il n’y a pas plus humain que Superman. Il n’y a pas plus fanatiquement et farouchement humain que Superman, qui, par amour, change le cours de l’Histoire, en désaxant la Terre, tournant autour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, pour remonter le temps, faire revivre sa dulcinée, la sauver.