Après s’être mis dans la peau d’un gérant de station-service à l’âme rêveuse, (« Chroniques d’une station-service »), après nous avoir raconté « de l’intérieur » la vie en Chine (« Un hiver à Wuhan »), Alexandre Labruffe nous propose cette fois une plongée au cœur d’une famille plutôt bizarre, avec d’un côté un frère insaisissable, au parcours plus que chaotique, et de l’autre, un père imprévisible et presque aussi compliqué à gérer que son fils aîné.
Pierre-Henri, le frère du narrateur, a disparu en lui laissant un mystérieux sac noir … Il porte le prénom de son grand-père tué par l’explosion d’une mine en juin 1944. Cette déflagration originelle explique peut-être les troubles de sa personnalité et annonce en tout cas la désintégration de sa famille soixante-quatorze ans plus tard.
Beau parleur, Pierre-Henri dit « PH » aux multiples identités, séduit et trompe son entourage .Tête brûlée, il détruit quinze voitures en quinze ans, il trempe dans des affaires louches et est entraîné par son goût de l’argent dans des projets de plus en plus délirants. Son arrestation, suivie de son incarcération, provoque un séisme, auquel le père, compromis et endetté par les frasques de son fils aîné, ne résistera pas. Il décrit une famille impuissante, le désarroi et l’effroi face à ce frère aîné qui fabule, vole ses affaires et va jusqu’à lui prendre son passeport, usurper son identité.
Le narrateur tente de comprendre comment son frère a pu sombrer ainsi : il découvre avec effarement un « kamikaze, mythomane, pyromane, toxico. ». Cette enquête terrible, menée par le narrateur avec autant de courage que d’humour, réveille des souvenirs enfouis et leurs cicatrices, au cœur de cette forêt des Landes, où il a passé son enfance, alors qu’il a fui en Chine, loin de ses racines.
Sur un ton beaucoup plus grave que dans ses deux précédents livres, Alexandre Labruffe nous plonge dans une histoire de famille dysfonctionnelle par bien des aspects.
Un récit dense, sans temps mort, où le lecteur est aussi désorienté que le narrateur pour comprendre ce qui lui arrive et ce qui arrive à ses proches, avec ce frère qui du fond de sa cellule en prison envoie des SMS à peine compréhensibles. Pourtant, malgré la cacophonie qui règne dans cette famille chancelante, le ton n’est jamais aux larmes ni à l’apitoiement.
Plongé dans la ronde infernale des interrogatoires, des perquisitions, des saisies d’huissiers, des dettes, des messages rageurs de son frère, des menaces de toutes parts, et effondré par le déclin inéluctable de son père, le narrateur conjure la stupeur, l’angoisse et la honte par un ton léger et une distance ironique, qui pimentent cette débâcle familiale.
Si la construction morcelée du récit – façon journal intime - peut déconcerter le lecteur, on se réjouit à y découvrir une série de personnages secondaires tous aussi farfelus les uns que les autres, comme ses amis et surtout sa compagne coréenne, maniaque et soumise aux haïkus mystiques de sa chamane. Ils contribuent à désamorcer le tragique de la situation.
« Wonder Landes » est un texte sincère et déjanté. Ce récit prend les allures d’une catharsis pour digérer les aventures rocambolesques de la famille Labruffe. L'auteur fait preuve d'affection pour son frangin (à qui le livre est dédicacé) même s'il est bien en peine de le comprendre et de l'aider. Tout est symbole psychanalytique… sans vraiment convaincre.
A partir d’une intrigue proche d’un fait divers, la magie de la littérature opère. Alexandre Labruffe réussit à raconter ce drame familial, tout en évitant les écueils du pathétique larmoyant ou du règlement de comptes. Un roman tout aussi original dans son contenu que dans sa forme !
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