Quelques mois auparavant, ils étaient des centaines à allumer des feux de camp, à inventer, lire, parler, jouir. Et ce matin une quinzaine tout au plus à faire du vin chaud dans une cabane de Noël pour célébrer une dernière fois l’ivresse de leur insoumission.
Et cette nuit-là, la première nuit passée au château, Magali avait répondu à la question d'Héloïse - et c'est à cause de cette réponse qu'Héloïse avait compris qu'elle reviendrait sonner à sa porte, elle et Félix. Magali avait répondu que c'était un bon endroit une zone commerciale, pour comprendre ce qu'était la société et pourquoi il fallait mettre un terme à toute cette folie. Dans son centre commerciale, plus invisible encore que les amis du lundi matin, elle apprenait à vivre au niveau des bêtes et des chalands. C'est sa politique, depuis toujours, avait-elle précisé. Et il se trouve que cette politique épouse la nouvelle doctrine des forces de gauche : connaitre son adversaire par ses réseaux : infrastructures de transport et circulations des marchandises. Pour faire dérailler la machine, il faut comprendre sur quoi elle roule. Par exemple, il faut comprendre ce que relient les routes entre elles - même si cela n'a pas tellement de sens de construire de nouvelles routes et de mettre chaque jour un peu plus en danger la faune cosmopolite et opportune des sols agricoles. On devrait faire l'histoire des hommes à partir de celle de leurs moyens de locomotion, remarque-t-elle. Ca pourrait s'appeler l'hodologie. La France, ses problèmes comme ses solutions, gravite depuis longtemps autour du concept de la grande vitesse : la différenciation sociale, les cookies michel et augustin, les Relay Gare, Guillaume Musso et Michel Onfray pour ce qui est du train; les sandwichs au thon Sodebo, les grandes sites de France, les étoiles Michelin, Mappy et Vinci pour l'autoroute.
Il y a d'autres choses : la grasse viennoiserie, l'humour de la région, gras aussi et sexiste, de la vraie bonne humeur, le défilé des robes Desiguals, ces vêtements des grandes occasions pour les classes moyennes de la province imaginés par un ado de vingt ans qui au départ customisait des tee-shirts sur les plages, à l'entrée des boîtes de nuit d'Ibiza et qui, en quelques années, est devenu le Christian Lacroix des budgets moyens, c'est-à-dire de la presque totalité des villes.