Citations de Bernard Ollivier (205)
L'aventure est au coin de la rue. Ce n'est pas une question de kilomètres mais de regard.
Je choisis la plus grande et la plus belle maison pour aller cogner à l'huis. Le vieil homme qui vient de m'ouvrir me considère d'un oeil méfiant. J'essaie d'expliquer qui je suis, où je vais, mais je suis sans doute trop fatigué et mon vocabulaire turc se fait la malle. En désespoir de cause, je sors mon petit message-sésame et le lui tends. Il le lit, me dévisage en prenant son temps puis, de l'index il se frappe plusieurs fois le front : cinglé. C'est tellement inattendu et je suis si content d'avoir atteint mon but et d'être libéré de mes peurs que je ne me formalise pas, au contraire; j'éclate de rire. Alors il sourit, s'efface et m'invite à entrer.
p78
Les détours ne sont-ils pas aussi des façons d'aller droit à autre chose ?
L'important dans le voyage est de perdre volontairement ses repères pour mieux se retrouver.
Mes enfants entament leur vie d'homme.Déjà ils ont éprouvé ce sentiment angoissant que, même entourés, nous somme seuls.Comme je les aime !
Nous sommes, eux et moi, devant l'océan de la vie. Ils ne voient pour l'instant que l'immensité des eaux. Moi,j'aperçois déjà la rive ou il faudra aborder.
Qu'est-ce qui est important dans ma vie ? Les réponses arrivent par flashes, par paliers. Dégagé des contingences, l'avoir s'efface devant l'être. Et c'est là que la marche révèle son secret : on croyait aller vers les autres et l'on arrive à soi-même.
Les publicitaires ont vite compris que les plus jeunes étaient les plus malléables. Chaque jour, on en voit les effets : des jouvenceaux, parés de toutes les grâces pourvu qu'elles soient "de marque", paient les violons d'un bal dont ils ne sont que les spectateurs.
Hier, Lénine et Staline rasaient les mosquées pour les remplacer par des cinémas, aujourd'hui on déboulonne leurs statues pour construire des supermarchés. Le roue tourne vite. A peine a-t-on rangé les pelles qu'on sort les pioches.
"Il faudrait (...) intéresser les enfants à la randonnée, pas à la compétition."
Ma sagesse, voilà, je l'ai trouvée : c'est de n'être pas sage.
Tout homme sage doit pratiquer le doute.
Je découvre quelques massifs de rhododendrons en fleur. Michèle Nicolas, ethno-botaniste chercheur au CNRS, m'a appris que les Turcs appellent "miel fou" celui qui est produit avec le nectar des rhododendrons et des azalées. On raconte que l'armée de Xénophon fut vaincue parce que ses soldats qui en avaient mangé furent incapables de se battre.
Il est curieux de noter que plus les moyens de communication se multiplient et se modernisent de par le monde, plus l'on rencontre de ces voyageurs qui recherchent la lenteur et l'archaïsme, signe sans doute d'un besoin de rébellion et de résistance à l'égard de ce monde que l'on se plaît à dire "performant" et pour lequel la vitesse est la vertu majeure.
La peur ? Parlons-en de la peur. Qui n'a pas peur aujourd'hui ? Avec l'envie, c'est le sentiment le mieux partagé dans notre société pourtant protégée de toute part. Les mères ont peur pour leurs enfants, les pères pour leurs femmes qui, elles-mêmes, craignent qu'il n'"arrive quelque chose" à leurs époux. Les médias vendent de la peur comme les épiciers des pots de yaourts, il faut bien faire marcher les affaires. Et la peur rapporte gros. Demandez aux compagnies d'assurance dont c'est le fonds de commerce.
Ceux qui s'indignent à juste titre aujourd'hui de la violence religieuse de certains intégristes qui n'hésitent pas à tuer au nom de leur Dieu, ne peuvent faire semblant d'ignorer qu'au temps des croisades certains "soldats du Christ" exterminaient des Juifs en chemin, puis, sur place, allèrent jusqu'à embrocher et rôtir des bébés arabes. Un peu plus tard, leurs enfants s'apprêtaient, toujours au nom du même Dieu, à passer par le fil de l'épée leurs concitoyens coupables d'hérésie albigeoise ou protestante et vice versa. Que de vies bien réelles écourtées au nom de promesses d'éternité.
p15
Je pouvais, bien entendu, continuer à travailler jusqu'à 65 ans. Les discours officiels nous disent qu'il faut travailler plus longtemps. Certes, mais quand va-t-on vivre ? Durant toute notre existence, on a bossé pour faire plaisir à ses parents, aux professeurs, au patron, à son conjoint, à ses enfants, trimé au nom de la raison, de la maison à payer, de la Nation. Assez, c'est assez. Il arrive un moment où l'on a le droit de travailler pour soi... à la condition de ne pas en profiter pour ne rien faire. il n'était pas question de m'accrocher à ma profession. Il y avait tant de jeunes journalistes au chômage, je n'allais pas squatter la place.
572 - [chapitre I, p. 26]
Pour moi, voyager c'est découvrir ce qui n'est ni dans les livres ni dans les guides de voyage - que je lis tous avant de partir. Découvrir quoi alors ? me direz-vous. Je ne sais pas, justement. C'est rencontrer, au moment le plus inattendu, un être hautement improbable, se trouver foudroyé, sans qu'on ait seulement pu l'envisager, par l'harmonie simplissime d'un coin de campagne, ou encore se surprendre soi-même à faire ou à penser ce qu'il n'a jamais été pensable qu'on fasse ou pense jusque =-là.
Non, ce qui me fait chanter dans les bourrasques, c'est la joie partagée avec ces femmes et ces hommes qui en m'offrant l'hospitalité ont compris, mieux que moi sans doute, que la seule valeur qui vaille, la seule richesse qui ne sera jamais cotée en bourse car elle est inestimable, c'est la relation humaine, l'ouverture à l'autre, le partage, d'un verre de vin ou d'un morceau de pain, l'amitié offerte sans contrepartie.
On a pu constater, chez les pèlerins en particulier, que lorsque la moyenne de trente kilomètres par jour est atteinte, l’entraînement physique neutralise la perception du corps. Dans presque toutes religions, la tradition du pèlerinage a pour objet essentiel, à travers le travail de l’être physique, d’élever l’âme : les pieds sur le sol, mais la tête près de Dieu. D’où l’aspect intellectuel de la marche que les béotiens ne soupçonnent pas. Ceux qui n’ont pas vécu pareille aventure pensent le plus souvent que la marche est souffrance. Elle peut l’être pour ceux qui, par masochisme ou religiosité, s’infligent des tortures, marchent à genoux ou nu-pieds sur les cailloux. Mais dans la limite de trente kilomètres par jour, la marche est une jouissance, une douce drogue.
Ma sagesse, c'est la vie, active et chaleureuse, de ceux qui veulent construire une société meilleure.