Je suis le carnet de Dora Maar de
Brigitte Benkemoun aux éditions
Livre de Poche
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Comme avec Dora, le peintre [Picasso] s'est toujours acharné à convaincre Brassaï de lâcher la photo pour reprendre le dessin: "Vous avez une mine d'or, et vous exploitez une mine de sel."
Tous ceux à qui j’ai raconté l’histoire d’Albert se souviennent de l’infinie solitude adolescente, la peur, le dégoût, la honte… Ils évoquent parfois les premiers attouchements : ceux dont ils se sentaient coupables, et ceux qu’ils inventaient pour se sentir moins responsables. Ils se sont longtemps forcés, menti… et, parfois, ils ont voulu mourir… Désespérés par ce « vain combat ».
Mais, les uns et les autres ont fini par trouver des réponses ou des soutiens, dans des associations, la littérature, la psychanalyse, au cinéma, ou sur internet. Un siècle plus tôt, à qui Albert pouvait-il s’adresser ?
Aimer la poésie c'est vouloir approcher l'indicible de la vie intérieure. Aimer la poésie c'est être capable de se laisser emporter par des images, des émotions, c'est savoir écouter la musique des mots, parfois aimer sans comprendre, juste ressentir...
Pourquoi faudrait-il plus de fidélité en amitié qu'en amour ? Pourquoi maintenir un lien quand on ne partage que des souvenirs ?
Alors que je porte cette histoire depuis des années, sans le savoir, je me suis décidée à l’écrire à l’âge qu’ils avaient tous les deux au moment de leur mort. Cette invraisemblable concordance des temps est un miroir déformant qui subitement superpose nos visages et nos vies. Cet âge est une image, en trois dimensions : un vieux juif qui agonise à Sidi Bel-Abbès, un autre à Auschwitz, et moi, ici et maintenant, qui ne sais pas trop ce que je cherche à travers ces aïeux. Cet âge éclaire ce que nous avons en partage : l’Algérie, Oran, l’attachement viscéral à la France…
Rompre avec les choses réelles, ce n'est rien, mais avec les souvenirs...
Qui qu’il soit, il est « anormal », quoi qu’il dise, il est condamnable. Est-il en train de devenir fou, ou serait-ce plutôt une maladie ? Entre toutes, la plus honteuse : une perversion, une inversion, une erreur épouvantable qui l’a fait homme … Par moments, il se force, il se blinde, espérant se soigner ainsi comme d’une fièvre qui finira par passer. Il réprime les pulsions et les émotions, et il se mûre en lui-même , dans cette prison intime où les désirs sont interdits.
3. « Et en 1983, dix ans après sa mort [de Picasso], un médecin canadien trouve de façon assez mystérieuse chez le peintre un paquet où il est écrit : "Pour Dora". Il essaye de la joindre. Elle ne répond pas. Alors, il finit par l'ouvrir et découvre une bague, gravée P et D. À l'intérieur ; il y a un petit clou qui l'aurait forcément blessée si elle y avait glissé son doigt... Comme autrefois le couteau des Deux Magots. » (pp. 315-316)
Je lui raconte -Guernica-, ces quelques mois d'extase, en 1937, où elle s'imagine peindre avec lui en le photographiant. "Oui c'est exactement ça..." Mais il pense qu'elle devait être déjà fragile avant de le rencontrer. "Il ne l'a pas rendue folle, ils se sont trouvés. Cette osmose totale, qu'elle a cru vivre, a rendu la rupture plus douloureuse encore...Puis Dieu a dû remplacer Picasso..." (p. 151)
Enfin libéré, il s’efforce de marcher d’un pas léger. Mais, le cœur à toute allure, il se retourne sans cesse, craignant d’être suivi, ou reconnu. Et comment ne pas remarquer ce petit homme inquiet, rougeaud et transpirant, dans son costume fripé et sa chemise trempée ? Combien de temps a-t-il erré avant de se décider à rentrer chez lui ?