Citations de Caroline Hinault (153)
Qui sait vraiment quand commencent les drames, dans quel terreau pourri s'enfoncent leurs racines?
On a beau vivre sur la banquise, s'il y a bien un truc qui gèle jamais, c'est l'orgueil des hommes.
Un regard d’iceberg déchiqueté, électrique comme j’en ai rarement vu,et pourtant j’en ai croisé des rageux qui vous plient le regard d’une seule paupière. Il nous a bien fixé tous les trois, avec ses yeux de métal clair qui nous ont coagulés sur place pour ainsi dire, l’œil gauche bordé d’une drôle de cicatrice, un genre de morsure boursouflée qui lui faisait l’air mauvais.
Il a dû sentir qu'il se cryogénisait de l'intérieur et s'est mis à causer tout seul. On le fait tous. Mais Igor parlait seul avec nous, c'était ça le problème, c'est par le langage, toujours, que ça commence. Il avait trouvé refuge dans un coin de sa tête, le seul qui crachotait encore un peu de chaleur.
... comme deux vieux époux qui ne se touchent plus que du bout du silence depuis des années.
La banquise comme un linceul cousu d’avance…
Le vrai ennui, ça a pas vraiment de couleur mais plutôt la transparence de l'eau salée qui fait glairer sans désaltérer.
Y avait pourtant parfois des aurores boréales tellement immenses qu’on aurait dit des ogresses vertes qui traînaient derrière elles leur dentelle d’étoiles, ça nous saupoudrait les yeux et nous coulait un goût de lumière au fond de la gorge.
Marcher sur la banquise, c'est découper de grosses parts de silence.
N’empêche, en cas de coup dur, les hommes aiment bien avoir un chef. Ça les soulage d’eux-mêmes.
À la fin, il sortait plus de sa baraque pourrie bouffée par le froid et l’humidité, même pas pour venir manger à la Centrale. Grizzly ou moi, on lui déposait son repas à la porte, on l’entendait hurler dans la grande Nuit comme une satanée bonne femme qui accouche ou un loup esseulé. On pouvait plus lui parler, accéder jusqu’à lui. Les rares fois où il m’a ouvert la porte, il m’a regardé d’un œil qui jonglait seul dans son orbite à vous congeler les tripes mieux qu’une tempête de neige.
Ici, il y a qu’un seul mot-roi je lui disais. S’adapter. S’adapter ou mourir, y a pas d’entre-deux. Il y a le jour et la nuit, faut pas chercher à exister dans les interstices.
Chacun sortait et rentrait au plus vite dans sa baraque avec une petite réserve de chaud et de poisson séché avant de se perfuser aux heures lentes et sombres, de sentir le plasma du temps passer dans ses veines au goutte-à-goutte. Le temps devenait physique. Il s'agrégeait en substance visqueuse et glissait sous nos peaux, dans nos artères, circulait jusque dans nos veines les plus fines.
La nuit tombe. Nette. Tranche le cou du jour. Seul l'oeil d'une demi-lune perfore le carbone du ciel.
Le temps devenait physique. Il s’agrégeait en substance visqueuse et glissait sous nos peaux, dans nos artères, circulait jusque dans nos veines les plus fines.
Un regard d’iceberg déchiqueté, électrique comme j’en ai rarement vu,et pourtant j’en ai croisé des rageux qui vous plient le regard d’une seule paupière.
Dans un endroit comme Solak où on est quatre bonshommes obligés de frayer ensemble sur un bout de presqu'île glacée, y a un contrat tacite pendant la grande Nuit. On frôle les autres, mais on cherche pas à entrer vraiment en contact avec eux. Faut surtout pas péter la fragile bulle que chacun a soufflée autour de lui et dans laquelle il s'est enroulé pour supporter l'égouttement des jours sans lumière et du froid indescriptible qui ont plaqué la vie au sol.
Tout est suspendu, cotonneux, si bien que même quand on se parle, on essaie de pas être trop pointu, histoire que la parole soit raccord avec le duvet de pénombre dehors et que nos conversations forment un tapis le plus doux possible, du nécessaire sans aspérités. (P.80)
Ici il y a qu'un mot roi je lui disais. S'adapter. S'adapter ou mourir, y a pas d'entre-deux. Il y a le jour et la nuit, faut pas chercher à exister dans les interstices. Je disais ça comme s'il allait me répondre. Son silence était une approbation. Je continuais. C'est pas très compliqué de s'adapter, c'est l'avantage du tout ou rien, de la vie dos à la mort, ça permet un duel sans fioritures ni distractions.
parce que attendre, même la fin d'une partie de cartes, c'est toujours vivre un peu
Attendre, c'est mille petites bouches de froid qui vous entament le corps sous la parka.