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Citations de Caroline Hinault (167)


Chaque nouvelle atrocité de la guerre qu’elle apprenait autour d’elle, dans son quartier, dans les rues de l’enfance, chaque nouveau pourquoi balancé dans la poubelle du sens, agrandissaient un peu plus le gouffre en elle. Le monde lui avait planté dans le cœur une douleur métallique dont l’anneau bipait à chaque mouvement. Elle sentait son moteur intérieur menacé d’une panne létale. Devait sauver sa peau. Fuir l’absence d’avenir dans un pays détruit. Les difficultés quotidiennes, immenses. Pour tout. Le tunnel obstrué des années devant soi. Et, plus profondément encore, plus intimement, la vie excavée des possibles. Il fallait faire un choix. Terrible. Qui nécessitait une force qu’elle ignorait avoir en elle. Tout quitter. Tenter de repousser l’obscurité.
Elle avait encore l’espoir, du haut de ses dix-huit ans, que quelque chose de beau l’attendait, qu’elle avait droit, elle aussi, à une part de lumière qu’il ne s’agissait pas de réclamer à quiconque, mais de construire, pour peu qu’on lui en laisse l’opportunité. Lorsque Bessem, son cousin dont le père était mort dans les geôles du régime, leur avait parlé des visas pour la Biélorussie, Alma avait choisi. Dans la cuisine, derrière le passe-plat rouge, ses parents avaient pleuré. Elle les avait serrés dans ses bras. Et murmuré : la vie ne peut pas être le regret qu’on en a de son vivant.
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On a beau vivre sur la banquise, s'il y a un truc qui gèle jamais, c'est l'orgueil des hommes.
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C'est une douleur qui vous caresse, un deuil qui vous glisse dessus sans jamais vous pénétrer vraiment, le jour qui se lève plus.
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Si les hommes avaient un peu de jugeote, ils essaieraient pas d’être heureux. Ils auraient plus besoin d’être consolés. Ils seraient comme moi, barbe grise sur neige blanche, vieille peau collée au permafrost, c’est bien suffisant. Oublier le monde, les autres et soi, avancer dans les traces invisibles du silence qui se répercute dans l’espace, oublier le monde, les hommes, leur folie, marcher dans le froid cinglant, chercher ce néant-là qui monte comme la jouissance qu’on sent venir, la pointe de l’oubli toute proche, à portée de pieds, de jambes, tout l’être soulevé, emporté, un pas puis l’autre dans la neige, rien de plus simple ni de plus complexe. Y parvenir sans penser, ne plus chercher à parvenir, se rassembler tout entier sous l’abri du vide. Oublier d’être un homme.
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Alors bordel Grizzly, nous fais pas chier avec ta pureté piégeuse, parce qu’il y a rien qui appelle plus au crime, rien qui déclenche plus l’envie de répandre le sang, de profaner et d’anéantir, qu’une étendue immaculée. Toute cette blancheur, crois-moi, ça réclame la déchirure. Ça implore la souillure. »
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Mais la pureté c’est rien qu’une saloperie d’idée qu’il faudrait exterminer, un mirage dangereux, une flaque d’eau givrée dans laquelle les hommes aiment à se contempler et croire en leur innocence possible, leur noblesse d’âme, leur propre élévation, par le terrien est comme ça, il a toujours besoin de croire qu’il peut s’élever. Alors il travaille dur à sa propre extraction, trime à se faire neuf, divin faut croire, en tout cas à se hisser hors-corps, hors-terre, pour finalement mieux détruire, mieux s’abaisser et tout souiller y compris la banquise qu’est tentante comme une jeune vierge avec sa promesse d’absolu.
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L’horreur. Sa pureté, c’était une belle anarque. Tous les clampins qui débarquaient ici, pas souvent c’est vrai, mais depuis vingt ans j’en ai connu quelques-uns quand même, finissaient toujours, cette bande de guignols, à un moment ou à un autre c’est inévitable, par s’émouvoir devant la banquise et éructer une bonne grosse connerie sur la pureté. A quel point c’est beau, impressionnant, désirable même, tout ce blanc merveilleux qui nous remet bien à notre petite place de virgule sale, ce genre de bavasseries que les poètes à la Grizzly enfilent comme des perles sur leur collier de naïveté à la con.
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Je lui ai craché qu’il nous emmerdait avec sa pureté bordel, qu’il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’à l’os avec sa pureté qu’existe pas, parce que là, sous nos pieds, c’est rien que de dizaines de cadavres de sous-marins, un vrai petit cimetière nucléaire. Rien n’est jamais ce qu’il paraît, c’était pas à lui que j’allais apprendre ça quand même, à tout endroit son envers, sous la pureté, la noirceur, le métal, la rouille.
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J’ai pas parlé de ça le soir, aux autres, dans la Centrale. Après le poisson séché et les fruits en boîte, Grizzly nous a demandé comment s’était passé notre sortie sur la banquise. Le gamin s’est renfrogné, j’ai sifflé un peu de vodka du bout des lèvres. Pour une fois, Grizzly a insisté et comme il se fait lyrique parfois à cause de l’embâcle tout neuf, de ses grandes idées et aussi de l’espoir qu’il a encore pour les terriens sans doute, il a lâché le mot pureté. Quelle pureté quand même, ou quelque chose comme ça. Je sais pas si c’est parce que j’étais crevé d’avoir galopé après le gosse toute la matinée sur cette saloperie de banquise instable, ou cette impression pénible que ça m’avait laissé, cette tension qui me lâchait pas depuis, mais j’ai gueulé mauvais sur Grizzly pour la première fois.
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...ce qui est certain, c'est que sur Solak, le temps on le voit mieux passer qu'ailleurs, chaque l'unité ressort bien nette à l'angle droit, pas comme chez les terriens avec leur rempart d'activités qui leur bouchent la vue.
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On a beau vivre sur la banquise, s'il y a bien un truc qui gèle jamais, c'est l'orgueil des hommes
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Il nous a expliqué tout son bazar en arrivant, ses mesures soi-disant déterminantes, comme quoi personne n’y prêtait attention pour l’instant mais que ça deviendrait vite une préoccupation majeure de l’humanité, carrément, et le pire c’est qu’il disait ça sans un copeau de vanité, comme si lui n’existait pas là-dedans, que ça le dépassait comme dans un de ces bons gros mythes à la con où tout est plus grand que nous.
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Aucune révélation, si bien que je frétille pas non plus de la queue, mais ça donne une chance à cette crevure d’illusion qu’on croit toujours avoir bien écrabouillée au fond de soi et qui palpite encore parfois comme quoi, saleté d’espoir...
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La banquise comme un linceul cousu d’avance…
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La guerre, c’est la première constante. Faut voir le nombre de collages que j’ai fait rien qu’avec ce mot-là, plusieurs cahiers. Depuis que je suis sur Solak, j’en ai tellement lu, des histoires de guerre, parfois déjà finies quand je les découvrais, preuves et morts enterrés, qu’on dirait une grosse blague. Ça peut prendre une forme de bon gros génocide ou de petit conflit gentillet, ça se met des dentelles d’annexion ou ça se tricote des petites frappes, c’est propret quasi, à croire que personne crève derrière les italiques. Ça me prend des heures de découper propre les titres, les sous-titres, les légendes, de choisir quel mot je sacrifie au profit d’un autre, rapport au recto-verso qui me trempe dans des dilemmes terribles, de coller ça joli ensuite, d’en faire un beau montage de synonymes en petits et gros caractères. La deuxième aussi, j’en ai des pages et des pages alignées magnifiques, des déclinaisons typographiques à faire pâlir de jalousie un imprimeur. Cette constante-là, attention, je l’ai au garde-à-vous dans tous les caractères, toutes les formes, toutes les tailles. Le pouvoir. La bataille du pouvoir, l’obsession du pouvoir, la fascination du pouvoir. Les coups bas, les coups montés, les coups d’État. Une sacrée constante qui marche main dans la main avec sa grande copine la guerre, ça se fait même des politesses en veux-tu en voilà, ça tortille du cul, après toi, non vraiment je t’en prie, bon ben si c’est comme ça alors d’accord, j’y vais, je passe la première. Je sais pas si c’est parce que je suis très loin de tout ça maintenant, mais j’ai l’impression de voir tous les rouages qui perpétuent tranquille ces constantes avec une facilité écœurante et ça me rend pas les terriens plus sympathiques, ça non. Pour le pouvoir, y a rien de tel que de mettre en place une bonne dictature, si bien que j’ai dû en faire une partie spéciale à la fin du cahier parce que c’est un gros rouage quand même, alimenté par une multitude d’autres petits bien graissés et trop nombreux à découper mais quand même, c’est écrit dans le journal, ça revient toujours à un moment ou à un autre du côté de l’adoration du grand homme, alors qu’on n’a encore jamais vu de culte de la grande femme, à croire que les femmes sont nulles en dictature, pourtant elles sont souvent plus fines en rouages, comme quoi. En tout cas, ça m’asperge les yeux d’évidence tous ces maillons de la grande chaîne du pouvoir, les slogans et les images martelés, parce que la répétition ça compte énormément, c’est normal faut dire pour des constantes, c’est ça qui achève de forer une idée même coulante dans le cerveau des gens. Ensuite y a plus qu’à entretenir la machine au charbon de l’obéissance, souvent à grand renfort de religion mais pas que, et je dis ça alors que j’y crois moi au bon Dieu, autant qu’au diable en tout cas, mais faut reconnaître qu’un temple ou une église, ça rend docile pour pas cher.
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Je soufflais encore sur ma tasse qu’il semblait avoir oublié ma présence et pérorait ça y est sur les besoins grandissants en hydrocarbures, la prospection, les puissances financières qu’on n’imaginait pas, une guerre souterraine, intergouvernementale, les gros mots de bon matin qui remuaient ressources fossiles, fonte des glaces et extinction d’espèces. Plus il parlait, plus ses grandes mains s’animaient, plus ses yeux bruns pétillaient, je sais pas si c’était d’inquiétude ou de plaisir. Il parlait de la dangerosité insoupçonnée du méthane et le gosse hochait la tête sous son bonnet fin comme s’il avait la moindre idée de ce que ça voulait dire. Grizzly s’emballait, il rêvait que l’opinion se réveille comme si c’était un corps avec des idées, l’opinion, il disait que pour l’instant ils étaient une poignée mais que l’ampleur du désastre tarderait pas à se savoir. Attention, il était quand même pas naïf au point d’ignorer l’égoïsme des hommes. Mais justement, il comptait le retourner comme une crêpe, s’appuyer sur sa face beurrée de peur épaisse pour les alerter. C’était ça, au fond, sa stratégie de persuasion. La médiocrité humaine. Si les gens n’étaient pas assez futés pour comprendre ses travaux trop techniques, il espérait qu’ils réagiraient lorsqu’il serait question de la survie de leur propre couenne et de leur gras descendant.
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Marcher sur la banquise, c’est découper de grosses parts de silence. Y a que les infimes décibels de la circulation du sang et des battements du cœur pour marteler aux tempes qu’on est encore vivant jusqu’à quand. Moi j’y allais pelle à tarte, en douceur, mais j’ai vu le gamin partir en lame, taillader sans sourciller la peau du monstre. Ses jambes avançaient féroces, brisaient la glace, luttaient contre le vent. Il fonçait devant moi, poings dans les poches, corps-bélier, tête rabattue sur le torse moins pour lutter contre le froid que comme quelqu’un qui cherche à enfoncer une porte. Je marchais assez loin de lui, tenu à distance par un arc électrique invisible. Même quand il s’arrêtait colère pour reprendre son souffle, seuls ses yeux dépassaient de son équipement. Malgré le givre qui volait, les flocons qui aveuglaient, le vent qui plissait les yeux, je devinais les éclairs furieux que crachait son corps d’orage. On repartait, je restais derrière lui instinctivement et aussi parce que j’ai plus de mal à traîner ma carcasse sur la banquise. Il avançait vite, projeté dans l’espace avec sa foulée qui mordait au ventre. Quand ses pas s’enfonçaient à certains endroits dans une mélasse de neige, il s’en extirpait encore plus rageux et se remettait à avancer comme on pile du verre, le pied broyeur. Rien ne le retenait, on aurait dit qu’il voulait dissoudre la glace, croquer le blanc qui venait pourtant tout juste de finir de prendre comme de bons gros œufs en neige qui menaçaient encore par endroits de s’affaisser, parce que c’est une bête assoupie la banquise, jamais vraiment endormie, on sait pas si elle va pas cambrer le dos, s’étirer d’un coup et vous gober couillons sous la coquille de sa surface. Faut pas penser à ça quand on lui chatouille l’échine, à l’idée qu’on avance sur une pellicule de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur sous laquelle est ventousée l’énorme bouche de l’Océan avec ses grosses lèvres rondes qui attendent que ça, de vous sucer, un peu comme celles des poissons nettoyeurs sur la vitre des aquariums.
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Il attendait que ça, la grande Nuit et l’hiver. Peut-être bien qu’il voulait défier la puissance de la nature, se mesurer à elle, une connerie dans le genre. Ou peut-être bien qu’il était juste venu chercher l’oubli, le vide et l’anéantissement, c’est plus probable. Mais y a loin du fantasme du grand frisson à la réalité de Solak, qui est rien que du néant au fond d’une grande bouche de froid. Il croyait savoir mais il y connaissait rien le môme, aux moins trente degrés, au gel qui vous entaille les os et les gencives, à la nuit si longue qu’on devient un peu mort-vivant quelque part en soi, un peu comme un long voyage aux Enfers en compagnie de ses fantômes. Est-ce qu’il avait conscience de l’avalage que c’était ? Sûr que non, pas la moindre idée. Faut avoir descendu jusqu’au bout le labyrinthe de ses propres intestins, reniflé l’odeur de sa propre mort, embrassé la vraie solitude avec son haleine de renard crevé pour comprendre ça.
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Ça faisait des semaines que l’hiver et la grande Nuit marchaient côte à côte pour venir jusqu’à nous. À pas de cristaux, l’hiver était arrivé le premier. Depuis le temps, je reconnais chaque étape et moi aussi si je voulais je pourrais faire un exposé aussi savant que celui que Grizzly a pondu au gamin. Fallait le voir s’enflammer sur le frasil, montrer au gosse l’énorme paquet de paillettes blanches qu’était devenu l’estuaire une fois que l’enclume du vrai froid nous est tombée sur le crâne au début du mois, saloperie, ça vous assomme d’un coup l’hiver arctique, et puis le nilas, la grosse pellicule de glace souple comme une peau de lait givrée et flottante qu’allait pas tarder à se solidifier pour de bon et devenir de la bonne grosse glace de banquise bien épaisse.
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Ça a pas eu l’air de le déranger du tout, comme s’il avait connu ça toute sa vie le soleil de minuit. Il a jamais fait comprendre que ça l’empêchait de dormir alors que je me souviens moi, il y a vingt ans, j’ai cru que j’allais devenir dingue avec cette putain d’étoile qui respectait pas les codes et brillait brillait brillait sans jamais fermer sa grande gueule de lumière. Et puis l’inverse après, avec la nuit polaire qui tirait sur tout un rideau opaque sans jamais daigner l’ouvrir ne serait-ce qu’un petit peu, à vous faire patauger dans une soupe de café noir en plein midi.
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