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Citations de Catherine Millet (98)


Catherine Millet
Tribune sur “la liberté d'importuner” :
Catherine Millet persiste... malgré tout 4

Ces femmes qui choisissent justement de surmonter leur traumatisme en portant
plainte ou qui n’ont simplement pas d’autre choix que de vivre avec, pourquoi leur
livrer des injonctions ?
Ce sont des encouragements. Certaines restent prisonnières et s’embarquent pour vingt
ans de procès, alors qu’il faut passer à autre chose. Notre rôle est de montrer aux
femmes les autres moyens de s’armer moralement. Cela peut paraître présomptueux,
mais en tant qu’intellectuelles possédant une force morale acquise par notre
expérience, nous pouvons servir de modèles et dire aux autres femmes : « Ecoutez, il
vaut mieux être à l’aise avec les questions sexuelles plutôt que de vivre sous l’emprise du
passé. »
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Catherine Millet
Tribune sur “la liberté d'importuner” :
Catherine Millet persiste... malgré tout

Catherine Millet, critique d’art et écrivaine, est non
seulement signataire mais aussi corédactrice de la fameuse
tribune publiée dans “Le Monde” du 10 janvier, signée par
une centaine de femmes, et défendant “la liberté
d’importuner”. Nous avons choisi de lui demander de
revenir sur ce texte, en complément d’un entretien avec
Laure Adler qui, elle, a refusé de le signer.
Votre tribune reproche aux mouvements #metoo et #balancetonporc d’enchaîner les
femmes à un statut de « pauvres petites choses ». Mais prendre la parole pour
dénoncer avec les risques professionnels et personnels que cela comporte, n’est-ce
pas tout l’inverse ?
Dans ces mouvements, il y a plusieurs choses qui se sont mélangées. Je suis d’accord
pour dire que les actrices d’Hollywood qui ont ouvert la parole ont pris des risques –
même si ces risques auraient été plus grands si au lieu de céder au harcèlement, elles
l’avaient refusé d’emblée... Mais le terme « pauvres petites choses » que nous
employons dans la tribune est destiné aux femmes qui se plaignent de harcèlement
pour des choses que je ne considère pas comme du harcèlement : un mot grossier, une
main baladeuse, de la drague lourde...
Mais le ressenti de ces femmes face à ces gestes n’est pas le même que le vôtre, c’est
leur droit de les refuser...
Je suis contre la dictature du ressenti. Je respecte le sentiment des femmes qui
s’estiment victimes de harcèlement, mais en tirer une loi pour l’imposer à l’ensemble de
la société me semble totalitaire. Je ne considère pas le frottement comme un délit, ni un
baiser volé comme une agression sexuelle. Pourquoi celles qui le ressentent comme tel
devraient-elles l’imposer aux autres ?
La loi leur donne la possibilité de porter plainte, elle ne vous oblige pas vous à le faire
si vous ne le souhaitez pas.
C’est vrai, mais tout cela a tout de même été unanimement relayé par la presse comme
l’avis général. Ce que nous souhaitions, c’est apporter une autre parole.
Cette parole dit à ces femmes : « si je ne suis pas traumatisée moi, il n’est pas normal
que vous le soyez vous ».
C’est plutôt dans l’autre sens ! On nous intime de suivre le mouvement et on nous
reproche de ne pas être solidaires, mais ce n’est pas ça. Nous offrons simplement une
autre parole.
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Les musées, de plus en plus nombreux, sont aussi de plus en plus prompts (concurrence oblige ?) à enregistrer les œuvres au fur et à mesure de leur émergence, et les grandes expositions thématiques, les rétrospectives qu'on y visite, sont autant d'occasions de jeter sans attendre un regard synthétique sur des événements récents, voire en cours.
En fait, la fonction de légitimation des musées opère dans les deux sens. D'une part, la déconcertante diversité de la création exige, pour que l'on puisse s'y repérer et lui trouver un sens, que l'on aille en chercher les sources éclairantes dans le passé, lointain ou rapproché. D'autre part, toute création contemporaine ainsi éclairée, justifiée par sa relation au passé se trouve inscrite automatiquement dans le prolongement de ce passé : elle est elle-même un maillon historique en puissance. En vérité, plus la création contemporaine nous paraît chaotique, inintelligible, dépourvue de sens, plus nous éprouvons le besoin d'en accélérer l'historisation.
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Catherine Millet
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"On ne peut pas mélanger le harcèlement et le viol"

La femme est condamnée à être un objet sexuel, et non un sujet ?

C. Millet. On peut être les deux ! Etre un sujet, y compris un sujet très actif socialement, et aimer être un objet. Ou passer de l’un à l’autre ! Je voyais dans le métro une affiche pour une comédie, où l’on voit l’homme à quatre pattes, la femme derrière comme si elle le prenait en levrette. Une inversion qui m’a rappelé la photo où Lou Andreas-Salomé sur une charrette fouettait Nietzsche et Paul Rée transformés en bêtes de somme.

Ovidie. Dans les pratiques et les représentations, on en est encore loin. J’ai interrogé beaucoup de jeunes filles et j’ai l’impression qu’elles sont dans un simulacre de liberté sexuelle. Elles parlent d’échangisme mais elles continuent à dire que leur propre sexe les dégoûte... C’est étrange, non ? Les femmes anticipent des attentes masculines, c’est ce qui fait obstacle à notre liberté.

C. Millet. Cela prend du temps, de changer les représentations, est-ce que nous ne nous en chargeons pas vous comme moi ? Votre volonté de tourner des films pornographiques féminins, Ovidie, je trouve cela passionnant.

Beaucoup de personnes ont été frappées que dans la tribune des cent dans « le Monde » vous actiez une dissymétrie des sexes. Vous ne revendiquez pas le droit d’importuner pour les femmes. Comme si par nature l’homme était le chasseur, la femme la proie.

C. Millet. On a réagi à ces femmes qui se plaignent des hommes, c’était circonstanciel. Cécile Guilbert, l’une de nos signataires, a récemment écrit une tribune dans « la Croix », où elle a la bonne idée de citer Aragon qui évoque ses aventures avec des « frotteuses du métro » [5]... Bref, si des hommes s’étaient plaints de contacts inopportuns, on aurait pu prendre la plume ! Plus sérieusement, je veux insister sur le fait qu’on ne peut pas tout mélanger. Le harcèlement et le viol. C’est ce qui se passe dans MeToo, et c’est très dérangeant.

Ovidie. Tout est mélangé, car c’est un rapport de pouvoir qui est dénoncé. Des femmes qui se révoltent que leurs corps soient toujours vus comme des corps à disposition. C’est cela, une culture du viol. Et ça remonte à des temps ancestraux : les hommes ont toujours voulu avoir le contrôle sur le corps des femmes.

C. Millet. Mais relisez Laclos, ce sont aussi souvent les femmes qui tirent les ficelles derrière les hommes. Et aujourd’hui, ceux et celles qui dénoncent la pseudoculture du viol sont toujours ceux qui réclament la censure.

"Critiquer une œuvre d’art, ce n’est pas la censurer"

Parlons de la censure, justement. La tribune s’émeut du révisionnisme et de la « vague purificatoire » qui attaquerait les œuvres d’art, du film « Blow Up » considéré comme misogyne à cette peinture de Balthus, vue comme une apologie de la pédophilie. Sans compter la polémique Polanski et Brisseau à la Cinémathèque.

Ovidie. Critiquer une œuvre d’art, ce n’est pas la censurer ! Je peux critiquer tel ou tel film, quant à sa représentation de la femme, ou à ce qui le sous-tend, mais je suis contre toute forme de censure. J’étais par exemple favorable à la réédition des pamphlets de Céline car l’accès aux textes est indispensable lorsqu’on fait de la recherche. J’adore « le Locataire » de Polanski. Mais quand il y a des événements à sa gloire, ça me perturbe. Tout comme lorsque « les Inrocks » font leur une sur Bertrand Cantat pour la sortie de son album. On peut continuer à écouter Noir Désir, et personne n’empêche Bertrand Cantat de continuer à faire de la musique. Mais faut-il pour autant porter l’homme aux nues ?

C. Millet. La Cinémathèque rendait hommage au cinéaste. S’y opposer, c’était réclamer la censure. Je défends aussi Brisseau, qui est un grand cinéaste. Une de ses actrices était d’ailleurs signataire de notre tribune. Je crois profondément que la vague MeToo est portée par un féminisme puritain, rétrograde du point de vue des mœurs.

Jean-Claude Brisseau a été condamné pour harcèlement sexuel. Dans cette affaire, la parole des femmes qui ont porté plainte a été discréditée. Lui a continué à faire des films, recevoir des prix, certains considérant même que le cinéma l’avait « acquitté », en quelque sorte. Avoir la parole, c’est une façon de garder le pouvoir, non ?

C. Millet. Jean-Claude Brisseau a-t-il été protégé par son statut de cinéaste et d’artiste ? Oui, certainement. Mais personne ne lui a donné la parole, c’est lui qui l’a saisie en produisant une œuvre.

Ovidie. Sauf que là aussi, il y a une dissymétrie évidente. Je ne connais pas bien l’affaire Brisseau. Mais en général, la parole des femmes est moins considérée que celle des hommes. Elle est niée. Décrédibilisée.

La parole des femmes a toujours scandalisé. Quand Beauvoir sort « le Deuxième sexe », les réactions sont très violentes. Et votre parole à toutes deux, d’ailleurs, a pu choquer.

C. Millet. A la sortie de mon livre « la Vie sexuelle de Catherine M. », on m’a mise en garde. Mais ce fut un succès public, et j’ai toujours rencontré de la bienveillance. Hélas, les esprits sont moins libres aujourd’hui.

Ovidie. Dès qu’une femme prend la parole, il y a le spectre de l’hystérie. Ou alors, on imagine qu’un homme tire les ficelles. Quand j’ai sorti mon premier livre, les gens pensaient que c’était mon éditeur, Raphaël Sorin, qui l’avait écrit. Vous, Catherine Millet, je pense que vous avez eu la capacité de vous blinder face aux réactions négatives.
Regardez Nelly Arcan, à qui j’ai consacré un livre. Elle s’est pendue. Elle a souffert de n’avoir jamais été reconnue comme écrivain, parce que c’était une jeune femme, et une travailleuse du sexe. C’est quelque chose qui l’obsédait, cette reconnaissance, la validation à travers le regard masculin. Elle était dépendante de cette tyrannie. L’anorexie. La chirurgie esthétique. La compétition des schtroumpfettes comme elle dit. L’obsession du poids, de l’âge, tout ça nous empêche d’être nous-même.
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Catherine Millet
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Ovidie. Là, c’est moi qui sursaute, car évoquer le pouvoir domestique quand on parle de la femme, ça nous éloigne de la libération ! Nous sommes les héritières de décennies de politiques natalistes, des allocations familiales, de la fête des mères, toutes ces mesures qui ont tenté de nous enfermer dans ce rôle domestique. Certes, nous sommes devenues des consommatrices comme les hommes, des travailleuses comme les hommes. Mais nous subissons en tant que femmes des oppressions qui sont propres à notre genre.
Le patriarcat est là, encore bien vivant, et il s’exerce sur le corps féminin. Sur notre volonté de disposer de notre corps comme nous l’entendons. Et les femmes se révoltent. J’ai trouvé très intéressant le mouvement qui dénonçait les violences obstétricales, un pré-MeToo. Il y a un fait, indéniable : les violences sexuelles sont plus souvent commises par les hommes. Tout comme les meurtres conjugaux, qui d’ailleurs surviennent souvent après une séparation, comme si l’homme ne supportait pas d’être dépossédé. C’est une fatalité biologique ? C’est culturel ?

C. Millet. S’il vous plaît, ne mettez pas sur le même plan les meurtres conjugaux, dont des femmes peuvent être aussi coupables, et les harcèlements dont parlait notre tribune. Enfin, les femmes sont violentes d’une autre façon. La violence morale, c’est terrible, aussi. Et puis il y en a des harceleuses, plein même ! J’ai connu des cas très graves près de moi. Quant aux violences physiques, oui, il y a une asymétrie entre un homme et une femme due à leurs constitutions respectives. Mais ça, c’est tellement évident...

Ovidie. Les hommes ne constituent pas un corps social homogène. Certains hommes sont nos alliés. Mais il y a bien une culture du viol, un contexte culturel qui autorise la violence faite aux femmes. Il y a une dimension politique et symbolique dans le viol, ce n’est pas qu’une pulsion. C’est la femme qui va quitter son compagnon et va se faire violer. C’est le viol en temps de guerre destiné à briser, humilier. Nous avons réalisé un documentaire, en Suède, à partir d’un fait divers révélateur, sur une femme assassinée de 31 coups de couteau, en tentant d’expliquer pourquoi la société a laissé faire.

C. Millet. J’ai dit un jour que je trouvais obscènes les dénonciations de harcèlement #metoo en regard de l’utilisation du viol dans les guerres. Mais la question de la violence est complexe.

Ovidie. Bien sûr, on peut être féministe et pratiquer le SM.

Tant qu’on reste dans une relation consentie...

Ovidie. Oui. D’ailleurs le milieu SM est très encadré, très attentif au consentement, très bienveillant, il y a un contrat très normé, des safe words.

C. Millet. J’ai toujours pensé que le SM était un bon modèle de contrat !

Ovidie. Ce qui m’interpelle, c’est que des pratiques SM imprègnent désormais notre milieu culturel, sans justement que ce soit cadré. Dans le porno mainstream, il y a une banalisation de la violence. On voit des scènes où une fille prend des tartes, ressort avec des bleus. Et le problème, c’est que c’est tout le temps dans un sens, cette domination. Je vois rarement des acteurs se mettre à quatre pattes et recevoir des gifles dans les films.
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Catherine Millet
Millet face à Ovidie

Retour du puritanisme ou lutte contre la domination masculine ? Deux femmes qui chacune ont pratiqué le sexe librement s’opposent sur le harcèlement et le mouvement MeToo.

L’OBS. Catherine Millet, vous êtes l’une des initiatrices de la tribune « Des femmes libèrent une autre parole », parue dans « le Monde » en réaction au mouvement Balance ton porc et aux suites de l’affaire Weinstein. Par ailleurs, vos propos sur le viol – « Je regrette presque de ne pas avoir été violée, pour témoigner qu’on peut s’en sortir » – avaient déjà beaucoup choqué.

Catherine Millet. Je parle à titre personnel, moi, « Catherine M. », avec l’expérience sexuelle qui est la mienne. J’ai parfois eu des rapports avec des partenaires dont je ne voyais jamais le visage, dont le contact ne me plaisait pas vraiment, mais je voulais bien mettre mon corps à disposition. Je parvenais à extraire ma psyché de l’acte qui avait lieu. Dans ces moments-là, j’étais comme ces femmes qui louent leur corps. Il y a une dissociation qui se fait entre ce que le corps accomplit et votre être intime. Votre âme, pourrais-je dire, si je croyais en Dieu.

Dans « la Cité de Dieu », saint Augustin parle du viol de Lucrèce qui, couverte de honte suite à cet acte, se suicide. Il dit qu’elle a eu tort. Elle n’a pas à avoir honte de ce que son corps a subi car son âme est restée intacte. C’est pareil pour les victimes d’agression. Si la dissociation pouvait se faire, elles n’auraient pas à avoir honte de ce qu’elles ont subi. Cela les aiderait peut-être à porter plainte plus vite qu’elles ne le font en général.

Ovidie. Vous aviez déjà fait scandale, je reconnais une vraie constance dans vos positions ! Je ne suis pas d’accord, même si ce concept de dissociation me parle : moi aussi, j’en ai fait usage dans un cadre professionnel. L’acte sexuel en soi, c’était un non-événement. Mais, dans votre cas comme dans le mien, c’était consenti... C’est ça, l’énorme différence. Ce n’est pas l’acte en soi, mais l’humiliation qui est problématique. Imaginez la perte de confiance qui s’ajoute à cela quand le violeur est quelqu’un de son entourage.
Ce qui me gêne dans votre prise de parole, son écho, c’est qu’on n’a pas toutes le même parcours individuel, de déconstruction du corps, de rapport à la sexualité. Vous, vous avez derrière vous votre itinéraire, vous êtes valorisée socialement. Vous ne subissez pas ce rapport de pouvoir. Mais on ne peut pas faire la leçon à des femmes qui mettent de l’affect dans l’acte sexuel, et qui ressortiront brisées d’une telle agression. On ne peut pas leur dire : débarrassez-vous de tout ça.
D’autant qu’on est encore loin du compte dans la prise en charge des violences sexuelles. Seulement 5 à 10% des femmes portent plainte, 2% des agresseurs sont condamnés. C’est un peu ce que soulignait Margaret Atwood en dénonçant un système judiciaire vicié.

C. Millet. En mettant en garde contre les excès de MeToo, comme nous ! Elle craint le Far West, nous aussi. On ne peut pas dénoncer des hommes, comme ça, en utilisant le tribunal des réseaux sociaux ! Il est possible que le système soit défaillant, mais il ne l’est pas forcément systématiquement. Cette justice expéditive, par médias interposés, me dérange profondément. Tous ces noms balancés, sans preuves, ces acteurs effacés des génériques...

Ovidie. En France, très peu de noms ont été donnés. Les femmes se sont mises en danger en parlant. Comme toujours. Et c’est pour cela que j’ai vraiment été très attristée par votre tribune, où de plus j’ai retrouvé parmi les signataires beaucoup de femmes que je respecte. J’étais triste car je savais que le débat allait être très sale. De part et d’autre. J’ai entendu des choses horribles sur l’âge, les femmes ménopausées, les femmes voilées, Dieudonné interpellant Brigitte Lahaie sur Twitter. Je m’attendais à voir débouler Eric Zemmour. De loin, j’imagine le tableau que cela donnait. Les femmes s’étripent entre elles, pendant ce temps, le patriarcat se frotte les mains, et les masculinistes bouffent du pop-corn !

C. Millet. Ce qui m’a fait réagir, c’est précisément lorsque j’ai vu une personne que je connais mise en cause en pleine page dans « Libération ». D’ailleurs, ses accusatrices se sont ensuite rétractées [4]. Et que les accusés soient français ou américains, ça me concerne pareillement. Sur ces questions, je pense que c’est notre rôle d’intellectuels de dire ce qu’il y a à dire. Voilà pourquoi nous avons écrit cette tribune. Sans d’ailleurs imaginer qu’elle susciterait un débat mondial, qu’elle serait traduite si vite en anglais, en allemand, en espagnol, et les journalistes étrangers ont toujours très bien respecté mes propos... Je voyais beaucoup de femmes dans mon milieu professionnel qui n’étaient pas d’accord sur les dérives de ce mouvement Balance ton porc. Il fallait briser l’unanimisme.

"Mon rapport à la sexualité date de mes 18 ans"

Certains ont parlé de fracture générationnelle.

Ovidie. Cela ne me paraît pas du tout pertinent. En témoigne le nombre de féministes plus âgées, comme Michelle Perrot, qui ont critiqué la tribune ! En revanche, l’argument de la classe sociale mérite qu’on s’y attarde. Je ressens comme une confiscation du discours sur la sexualité par une certaine classe sociale. Celles qui parlent parlent d’en haut. Elles disent finalement : nous sommes les sachants, nous allons vous expliquer, à vous, mesdames anonymes, mesdames du peuple, ce que devrait être votre cheminement sexuel.

C. Millet. Mon rapport à la sexualité date de mes 18 ans, et je suis d’origine sociale modeste. Pour moi, c’est complètement déconnecté de la classe sociale. Par ailleurs toutes les classes d’âge sont représentées parmi les signataires de notre tribune.

MeToo, c’est un mouvement qui vient de la base, grâce aux réseaux sociaux. Il est donc incontrôlé.

C. Millet. Et c’est exactement ça qu’on critique : la dictature de la base. Les révolutions, c’est bien, mais attention au retour de bâton ! Après 1789, on a 1793, la Terreur, la guillotine. Est-ce qu’on ne peut pas éviter ça ?

Ovidie. Il n’y a pas de révolution sans libération de la parole. Moi, je crois au collectif. Quand Christine Angot, chez Laurent Ruquier, invite les femmes agressées à « se débrouiller » dans leur coin, je trouve cela insuffisant, même si chacune fait comme elle peut pour s’en sortir. Dans votre tribune, on retrouve cette injonction à se débrouiller seule. Mais, dans ce cas, comment construit-on un monde commun ? Jusqu’à présent, la parole des femmes n’était pas présente. Ou plutôt, personne ne voulait l’entendre. C’est grâce au collectif qu’on l’entend.
Dans la tribune, vous évoquez un « climat totalitaire ». Le terme est très offensant pour les millions de femmes qui cherchaient juste une écoute. Un peu de sororité. Parce que ça fait du bien de savoir qu’on n’est pas seules, ça fait du bien de partager. Moi, j’ai aussi fait une vidéo MeToo ! Et je ne me suis pas vue dans une démarche de terreur totalitaire. Est-ce si dérangeant que la honte, grâce à la parole, change de camp ? J’insiste, mais quand on a eu le courage de l’ouvrir, ce n’est pas possible d’entendre « débrouillez-vous ».

C. Millet. Nous n’avons pas écrit « débrouillez-vous », nous avons exprimé les sentiments de femmes qui ont une réaction différente par rapport aux gestes des hommes. Rien n’est plus singulier chez chacun de nous que la sexualité.

Ovidie. Oui, mais on est dans un projet social collectif ! Pour moi, MeToo est un mouvement sororal et collectif.

C. Millet. Je n’aime pas du tout ce mot « sororal ». Face à la souffrance, je ne me sens pas plus solidaire des femmes que des hommes.

"Il y a bien une culture du viol"

Vous considérez-vous comme féministe ?

C. Millet. Je n’ai jamais été féministe au sens historique du terme, le MLF, ce n’était pas mon truc. Et puis aujourd’hui il y a tant de féminismes... Mais quand j’entends des militantes évoquer la société patriarcale en France, je sursaute. Il y a eu beaucoup de progrès dans nos sociétés ! Certes, la domination masculine est sans doute une réalité dans certains milieux sociaux, mais les femmes sont très présentes dans beaucoup de domaines, la justice, l’édition, elles exercent un pouvoir dans beaucoup de structures.
Plus généralement, elles exercent un grand pouvoir dans la sphère domestique. Dans les rapports hommes-femmes, le féminisme a gagné une chose : les hommes sont très culpabilisés, dévirilisés même, et beaucoup de femmes exploitent cette culpabilisation. C’est ce que D.H. Lawrence, si précurseur dans son regard sur le plaisir féminin, décrit dans ses romans, cette émancipation des femmes qui bouleverse le rapport entre les sexes.
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Catherine Millet
En cette fin d’été, artpress vous offre une dernière histoire de “unes”, et non des moindres : celle de l’Origine du monde (gratinée, vous vous en doutez).

Mai 1982, nous publions un dossier intitulé “Obscénité”, réunissant des textes de Patrick Amine, Jean Baudrillard, Judith Brouste, Jean-Luc Hennig, Jacques Henric, Denis Roche, Guy Scarpetta, et nous choisissons, pour l’annoncer en couverture, de reproduire le tableau mythique de Gustave Courbet, l’Origine du monde. Tableau d’autant plus mythique que la plupart des gens, nous compris, ignorent alors où il se trouve. Certains ouvrages consacrés au peintre le disent perdu. Un auteur, Georges Boudaille, suggère qu’il aurait pu être brûlé par des suffragettes.
Notre dossier est une réaction à un climat de bien-pensance et de conformisme qui se répand. “Le puritanisme religieux, écrivons-nous dans l’édito, est littéralement supplanté par celui de nos sociétés et de nos idéologies “laïques””. Une loi était en discussion qui visait à assimiler à du racisme toute représentation publique “obscène” d’un corps de femme. Le projet de loi fut rejeté.
En 2020, comme on sait, ceux et celles qui voudraient épurer nos musées n’ont pas débandé.

Ne pouvant disposer d’un bon document photographique, nous “repiquons” la reproduction du tableau dans le catalogue de l’exposition Marcel Duchamp au Centre Pompidou en 1977 (commissaire Jean Clair). Pour atténuer l’effet de choc de l’image, Roger Tallon, qui met en page notre journal, dote le tableau d’un cadre en forme d’écran de télévision (normal, c’est lui qui a aussi conçu le Téléavia portable, presque aussi mythique que le tableau de Courbet).
La reproduction en couverture d’artpress, mais aussi dans le catalogue Duchamp, est assez moche. J’ai toujours soupçonné Jean Clair d’avoir utilisé la photographie non de l’original, difficile à se procurer, mais d’une copie non commerciale exécutée par un ami à lui, excellent peintre réaliste.

Notre numéro est censuré en Belgique, les exemplaires y sont pilonnés.
Octobre 1982, nous répondons à Maria Antonietta Macciocchi, dont nous avions défendu les ouvrages, notamment son Pour Gramsci, qui nous a violemment attaqués dans une revue, nous accusant d’avoir transformé artpress en magazine “pornographique”. Cette figure importante de la Gauche italienne commet une bévue en nous reprochant ce “sexe obscène de femme photographié“. A-t-elle été abusée par le cadre tallonien ? Toujours est-il que nous avions trouvé plus ignorant que nous.

Dans les mois qui suivent, nous ne manquons jamais de reproduire, ne serait-ce qu’en petit format, notre couverture du numéro 59, dans l’espoir que Maria Antonietta Macciocchi, ou n’importe quelle féministe qui partagerait son opinion, tombe dessus.
Décembre 1982, à l’invitation de Dominique Païni qui le dirige, nous fêtons le 10e anniversaire de la revue au Studio 43, rue du Faubourg Montmartre. À cette occasion, nous diffusons en public une interview vidéo de Philippe Sollers par Jean-Paul Fargier, au cours de laquelle Sollers présente la couverture du numéro 59. Alain Cuny est présent. C’est lui qui nous apprend quelques instants plus tard, comme nous prenons un verre au café du coin, qu’il a vu le tableau chez Jacques Lacan où il doit toujours se trouver, caché derrière une métaphore dessinée par André Masson.
, artpress, 10 septembre 2020.
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Catherine Millet
J’ai un fond catholique qui m’a enseigné que l’âme prévaut sur le corps.

Puisque je m’exprime à titre personnel, j’ajoute que je m’explique cette disposition par un fond catholique qui ne m’a jamais quittée mais qui m’avait enseigné que l’âme prévalait sur le corps. Je ne crois plus en Dieu depuis longtemps et je n’emploie plus jamais le mot « âme », mais je demeure absolument convaincue que ma personne ne se confond pas avec mon corps et qu’elle trouve son siège dans une conscience (et aussi un inconscient, mais c’est une autre affaire) qui dispose de quelque pouvoir sur ce corps. Il existe une lecture utile sur ces questions, il s’agit d’un passage de La Cité de Dieu de saint Augustin. Prenant l’exemple de Lucrèce, cette femme de la Rome antique qui préféra se suicider plutôt que de survivre à un viol, voici ce qu’écrit ce père de l’Église : « Un tel attentat [il s’agit du viol] n’enlève pas à l’âme la chasteté qu’elle embrasse. » Il dit aussi que ceux qui « tuent le corps ne peuvent tuer l’âme ».

Il va plus loin et suppose même que, « victime d’une irrésistible violence », Lucrèce aurait pu elle-même avoir « consenti au plaisir ». Pour autant, il ne la condamne pas. Saint Augustin n’était pas un de ces misogynes grossiers qui jusqu’à une période encore récente soupçonnaient les femmes violées d’avoir été secrètement consentantes ! J’ai plutôt trouvé un écho de sa pensée dans l’éclairage que le philosophe Raphaël Enthoven apporta, sur Europe 1, à une phrase de l’ex-actrice porno Brigitte Lahaie, aujourd’hui animatrice de radio et signataire de notre tribune, phrase qui fit scandale : « On peut jouir lors d’un viol. » Il rappelait qu’en effet « on peut techniquement éprouver un orgasme lors d’un viol, ce qui ne signifie pas le consentement de la victime », et qu’on aurait tort de taire cette vérité car le traumatisme peut s’accroître alors d’un sentiment de faute. Il lui donnait raison lorsqu’elle avait ajouté que « le corps et l’esprit ne coïncident pas toujours ». On dit que les victimes de viol tardent souvent à porter plainte en raison de la honte qu’elles éprouvent. Cette dissociation pourrait les aider à surmonter cette honte.

Quelquefois, la théologie trouve aussi une résonance dans les faits divers ! J’avais été frappée il y a quelques années par une affaire criminelle. Une jeune fille avait été d’autant plus sauvagement assassinée dans un train de banlieue qu’elle semblait avoir opposé à l’homme qui avait voulu la violer une résistance acharnée. Profondément croyante, elle avait défendu sa pureté au prix de sa vie. Or l’enquête avait fait apparaître une autre femme, victime des années auparavant, sur la même ligne de train, du même violeur. Et celle-ci avait, au contraire, accepté la fellation que le violeur exigeait, puis il l’avait laissée partir. Elle avait sauvé sa vie. Peut-être la jeune fille catholique, si elle avait lu de plus près saint Augustin et retenu l’enseignement de la séparation de l’âme et du corps – que la première victime appliqua, semble-t-il, d’instinct –, aurait-elle eu, elle aussi, une chance de sauver sa vie, sans perdre son âme.
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Même lorsqu'il y avait dissimulation de sa part, mensonges, tromperies, le récit n'en donnait aucune explication psychologique (que Jacques, par exemple, ait voulu me punir ou se venger de quelque faute que j'aurais commise), tout ceci relevait d'une mécanique transcendante. Ma stupeur n'était comparable qu'au sentiment que j'éprouvais enfant lorsqu'on me parlait des commandements imposés aux hommes par les dieux antiques sans qu'il soit permis à ceux-là d'en comprendre les motivations. J'avais fait de Jacques un mythe.
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Dès les premiers incidents, sans calcul, j'avais d'abord gardé secrètes mes découvertes dans l'espoir qu'il lise en moi les stigmates qu'elles avaient imprimés ; j'attendais qu'il prît l'initiative de les panser, j'espérais la preuve d'un amour si parfait que je supposais Jacques capable d'éprouver par télépathie ce que j'éprouvais.
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Quelle place occupent dans notre affectivité deux heures de caresses échangées à la sauvette en regard des journées qu'étire l'anticipation cent fois recommencée de ce moment ?
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Je me sentais dans la situation d'une comédienne à qui on aurait demandé de renoncer à son métier, sous prétexte qu'on l'aurait soupçonnée des crimes de Médée ou de Lucrèce Borgia.
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Le corps relationnel m'allège du corps habitacle. Autant ce dernier possède un poids et peut me créer des obligations, autant je délègue volontiers aux autres le soin de façonner mon corps relationnel dans lequel il m'importe relativement peu que je "me" reconnaisse ou non.
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[...] une faculté que je partage avec beaucoup de femmes qui compensent leur défaut traditionnel d'initiative par une disponibilité plus grande, presque expérimentale, de leur corps.
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J'ai appris depuis qu'une forme d'égocentrisme tient moins, paradoxalement, à une focalisation sur l'être et à son affermissement, qu'à sa dispersion, à son affolement.
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Le rêveur ne thésaurise que des biens immatériels et il n'accorde aucune importance relative au fait qu'un objet de ses rêves, qui par chance s'est concrétisé, retourne à l'état immatériel en tant que souvenir. De toute façon, il ne doute pas de la réversibilité du processus.
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Dans une certaine mesure, les parents d'un enfant rêveur ont raison de craindre qu'il ne manque plus tard de caractère, parce qu'on entend généralement par là "caractère entier", et que le rêveur préfère être plusieurs personnes, vivre plusieurs vies, beaucoup d'entre elles n'ayant pas plus de consistance ni de pérennité qu'un flocon de poussière qu'un courant d'air pousse par hasard dans l'entrée d'une maison. En revanche, on a tort de croire que celui qui rêvasse se détourne du monde, car bien souvent ses autres vies le mettent au contraire en empathie avec lui.
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Le constat est curieux : l'espace de mes rêveries est si étanche, si radicalement interdit à toute personne ayant à mes yeux la moindre identité, que, alors que je pourrais sans trop d'hésitation accueillir cette personne, si l'opportunité finalement s'en présentait, dans l'intimité de ma vie sexuelle réelle, elle n'en continuerait pas moins d'être exclue de mes rêveries érotiques. [...] Pour aller en toute liberté, mes songeries sexuelles doivent avoir largué les amarres, et sans doute que le terrible capitaine à qui je confie en cet instant la route ne voudrait pas voir apparaître dans un infime sursaut de conscience, parmi l'équipage, une figure connue qui lui rappellerait les lois de la terre ferme.
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Les formules romantiques n'étaient pas pour moi : elles ne le sont toujours pas et je ne dirai jamais que j'ai reconnu Jacques entre mille ; non, il fallait plutôt que j'en connaisse mille pour savoir qu'avec lui il s'agissait d'une relation ancrée dans un sentiment d'une nature et d'une pérennité qui n'étaient pas comparables à d'autres.
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Pour faire vivre le désir, mieux valait la moquerie bienveillante de mon père, à qui je n’avais pas fait plus de confidence qu’aux autres, qui simplement me voyait plongée dans mes lectures et rapporter de bonnes notes en rédaction, et qui me surnommait « Catherine-Millet-de-l’Académie-française ».
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