Nous croyons fuir ce qui nous contrarie et échappe à notre contrôle. Nous distraire serait donc une manière de fuir notre impuissance. Pascal énonçait déjà cette idée dans ses Pensées en parlant du divertissement, à travers lequel nous fuyons notre misérable condition de mortels. [...]
Heidegger, quant à lui, opère à ce sujet une double rupture. Il affirme, d'une part, que ce que nous fuyons n'est pas l'ennui de soi car, à tout bien considérer, le divertissement est plus ennuyeux encore. D'autre part, ce que nous fuyons n'est pas notre impuissance, mais notre pouvoir véritable.
L’amour était une illusion conçue par la Nature dans le but de les pousser à se reproduire. Or, une fois l’enfantement obtenu, la Nature n’a plus besoin de produire sa magie, et la griserie s’achève. Les amoureux se retrouvent face à face, sans l’alchimie qui les jetait dans les bras l’un de l’autre dans une sorte de fougue charnelle. Leurs sens se taisent, ils se regardent tels qu’ils sont et s’agacent mutuellement.
Grâce à son esprit, l’homme peut se représenter son but et se donner les moyens efficaces de l’atteindre. Mais entre l’instinct et la volonté humaine, il n’y a aucune différence, la volonté devenant juste un instinct conscient de lui-même.
On entend dire parfois que « tel homme ne mérite pas telle femme » – ou l’inverse –, car ils n’ont pas le même niveau de diplôme, ou la même éducation. Mais c’est oublier que ce ne sont pas des esprits qui se choisissent, mais des corps, de manière instinctive, inconsciente. Le secret de l’amour ne repose surtout pas sur un choix réfléchi, après avoir pesé les qualités et les défauts de l’autre.
La musique est, de tous les arts, celui qui a le plus grand pouvoir de nous consoler, celui qui nous parle le plus intimement, au corps et à l'âme. Elle nous rassérène profondément, et nous le savons bien, vu la consommation exponentielle que nous en faisons, la musique étant devenue très facile d'accès.
La douce agitation des sens a laissé place à une irritation nerveuse : tout prétexte est bon pour râler contre l’autre et transformer en menues colères ce qui, hier encore, n’était qu’ardeur et feu intérieurs.
Nous ressemblons à Ulysse séduit par les sirènes, sauf que, n’ayant pas la sagesse de nous attacher solidement au mât pour leur résister, nous lançons vers elles notre navire de manière empressée.
La Nature empoisonne donc le seul plaisir qu’elle nous offre sans conteste et nous condamne au repentir, à une sourde culpabilité et une vague honte. Même nos instincts semblent inaptes à nous procurer une quelconque satisfaction. Nous vivons cette contradiction dans notre chair – nous sommes ce vouloir-vivre antagoniste –, ce qui explique pourquoi vivre n’est pas un long fleuve tranquille.
À quoi bon mettre tant de cœur, de foi, de soi, de sueur, d’intensité dans des aspirations qui, aujourd’hui, remplissent notre vie, mais constitueront demain de vagues souvenirs épars au milieu d’autres futilités ?
Le moment même de la satisfaction d’un désir est gâché par un sentiment de déception : la satisfaction n’est jamais qu’une demi-satisfaction. Notre imagination avait idéalisé, embelli l’objet de notre désir, si bien que lorsque nous le possédons enfin, il nous paraît fatalement moins beau que dans nos rêves les plus fous.