Cette mort prématurée a aussi ouvert la porte aux hagiographie larmoyantes, typiques des martyrs de la culture populaire, forgeant l'image d'un Hendrix simplement réduit à une étoile filante cinglant le ciel d'un grand cri, à un monstre fabuleux dont la musique venue de nulle part n'allait nulle part, sans ancêtres ni descendance.
Hendrix est un point de départ commode aux généralités abusives : phallocratie innée du hard rock, diabolisation des drogues et manie réactionnaire du solo de guitare interminable ; ou encore aux prêchi-prêcha sur le pouvoir destructeur de la célébrité, la futilité naïve de l'idéalisme hippie, et la calamité de voir mourir jeunes tous ces gens si doués.
Hendrix se plaisait à répéter qu'il n'y a que deux genres de musique : la bonne et la mauvaise, et bien que la phrase ne soit pas de lui - elle remonte au moins à Louis Armstrong - il y croyait assurément dur comme fer
Les gens qui meurent jeunes deviennent sans coup férir objets de nécrophilie romantique. On en fait des ersatz du Christ, morts pour racheter "nos" péchés à tous, dépeints comme ayant été en quelque sorte trop beaux ou trop sensibles pour cette vie.
Et la rumeur commença à se répandre. Hendrix jouait derrière Hammond tout la soirée, montrant sa grande maîtrise, durement acquise, de la guitare blues ; mais à la fin de chaque concert, Hammond tournait le projecteur sur son guitariste, qui se lançait alors dans sa version du " I'm a man " de Bo Diddley - déjà son morceau de bravoure avec Curtis Knight & the Squires. On avait le droit à tous les trucs que Hendrix avait appris pendant ses cinq ans aux galères du rhythm'n'blues, et qu'il avait rêvé de lâcher dans la nature : il jouait de la guitare derrière sa tête ou son dos, entre les jambes, avec les dents ; et l'instrument gémissait, rugissait, gloussait, au moindre geste de son maître. Et chaque soir, le public était en état de choc.
" La spontanéité en jazz consiste à éliminer l'accident indésirable par la connaissance quasi maniaque et totale de l'instrument dont vous jouez et des conditions harmoniques et rythmiques que vous allez devoir négocier. "
Robert Wyatt, interview avec l'auteur (1987).
Je suis là dans la matrice,
Je regarde un peu partout,
Par ma fenêtre nombril,
Et je vous jure que je ne vois que des visages renfrognés.
Alors je me demande s'ils veulent de moi...
Jimi Hendrix - " Belly button window "
Je suis un homme
Du moins j'essaie d'en être un,
Et je suis à la recherche
De mon autre moitié...
Jimi Hendrix, " Stepping stone " (1969)
" Si je suis libre, a dit un jour Hendrix, c'est parce que je cours toujours " ; et de fait, il a passé sa vie à courir. Au cœur de sa musique, on trouve les deux terreurs croisées du déracinement et de l'enfermement.
Funkadelic finit par ressembler à un hybride conçu par des Earth, Wind and Fire qui auraient le sens de l'humour, et des Mothers of invention de Zappa qui auraient le sens du rythme.
La fin des sixties ressembla - du point de vue de la culture pop, en tout cas - à une vaste party bruyante, chatoyante, extravagante, où tout le monde est beau et gentil et drôle et bizarrement attirant et merveilleux, jusqu'à ce qu'on rallume les lumières.