Citations de Chuya Nakahara (22)
"Sur le lac"
Quand la lune resplendira
Nous sortirons pour voguer sur les eaux.
Le clapotis des vagues nous atteindra sans doute,
Il y aura même un peu de vent, je crois.
Quand nous gagnerons le large il fera sombre sans doute,
Et le son de l'eau gouttant le long des rames
Nous l'entendrons, je crois, comme une chose très intime
- Au milieu des blancs laissés par tes paroles.
La lune tendra l'oreille sans doute,
Peut-être même descendra-t-elle un peu,
Et lorsque nous rapprocherons nos lèvres
Nous l'aurons, je crois, juste au-dessus de nos têtes.
Et toi toujours, tu parleras sans doute,
Mots légers ou boudeurs
Que j'écouterai, je crois, dans leurs moindres détails
- Sans que mes mains en cessent de ramer.
Quand la lune resplendira
Nous sortirons pour voguer sur les eaux.
Le clapotis des vagues nous atteindra sans doute,
Il y aura même un peu de vent, je crois.
"Rien n'est plus triste que cette tristesse
L'odeur des racines monte doucement à mes narines,
Et la terre des champs, en même temps que les pierres,
me regarde.
Mais enfin pas question pour moi de m'atteler à la charrue !
Immobile et distrait je me tiens debout au milieu du crépuscule,
Et lorsque vaguement l'ombre de mon père vient me troubler,
je m'avance tout au plus d'un pas, ou deux."
CRÉPUSCULE
Sur la surface rousse et sombre de l'étang,
En assemblées les feuilles de lotus se balancent.
Et comme les feuilles de lotus sont assez insensibles,
Insolentes elles ne chuchotent qu'entre elles.
Qu'elles chuchotent et mon cœur se balance,
Mes yeux se perdent dans la pénombre de l'horizon...
Noir sur noir, les montagnes se penchent sur moi
- Ce que l'on a perdu jamais ne reviendra.
Rien n'est plus triste que cette tristesse
L'odeur des racines monte doucement à mes narines,
Et la terre des champs, en même temps que les pierres,
me regarde.
Mais enfin pas question pour moi de m'atteler à la charrue !
Immobile et distrait je me tiens debout au milieu du crépuscule,
Et lorsque vaguement l'ombre de mon père vient me troubler,
je m'avance tout au plus d'un pas, ou deux
QUATRAIN
Pour toi il est mieux de rentrer dans une chambre paisible
Laissant derrière toi les feux éclatants des nuits de la ville
Pour toi il est mieux de prendre le chemin du retour
Et d'écouter tranquillement les murmures de ton coeur.
Le miroir de l'âme, c'est la nature. Mais le miroir de la nature n'est pas l'âme.
Journal (V,92.)
EMBRASEMENT VESPÉRAL
Les collines, croisant leurs mains sur leurs poitrines,
Se sont retirées.
Le soleil couchant, couleur de la tendresse,
Est tout doré.
À travers la plaine les herbes,
Chantent leur chanson rustique
Et dans la montagne les arbres,
Vieillissent avec sobriété.
En cet instant aussi j'étais là
Telle écrasée par de petits enfants
La chair d'un coquillage.
En cet instant aussi l'intégrité,
Réunie à la grâce des renoncements !
Bras croisés je m'en allais à pied.
Je me trouvais aux confins de ce monde.
[…]
Quelque chose d’à peine concevable m’enflammait,
j’avais beau n’avoir aucun but,
l’espoir dans ma poitrine battait la chamade.
Retour
Secs les piliers et secs les jardins
Aujourd'hui il fait beau
Sous la terrasse une toile d'araignée
Bouge langoureusement
Lesarbres morts respirent dans la montagne
Qu'il fait beau aujourd'hui
Au bord des chemins l'herbe dessine
Une ingénue tristesse
C'est mon pays
Un vent frais c'est levé
Pleure sans hésiter
Me dit à voix basse une femme plus agée
Oh toi qu'as tu fait...
Me dit le vent qui vient souffler
Pluie dans la nuit
– image de Verlaine –
La pluie ce soir encore entonne sa chanson,
Sa chanson monotone.
Lalala, lalala, toujours la même chanson.
Et voilà la carcasse de Verlaine
Qui passe dans la ruelle au milieu des entrepôts.
Dans la ruelle des entrepôts, c’est l’éclair de la cape,
L’ironie radine de la tourbe.
Mais au bout de la ruelle,
Au bout de la ruelle, l’espoir luit faiblement …
Qu’y a-t-il d’autre que cet espoir ?
À quoi bon toutes ces voitures ?
À quoi bon toutes ces lumières ?
Yeux globuleux, et vitreux, des lampes des cafés !
Au loin la chimie chante.
Eté
(Moi sur ma table)
Moi sur ma table,
Je n'avais rien d'autre qu'un stylo de l'encre du papier quadrillé,
Et chaque jour que Dieu faisait, sans fin, m'y tenais coi.
Mais attendez, en plus il y avait aussi des allumettes des cigarettes,
Et un buvard ou des petites choses comme ça.
Mais que dis-je, parfois encore apportant une bière,
Il m'arrivait de la boire.
Dehors les cigales chantaient à qui mieux mieux,
Et les vents, du moins les vents frais d'être passés sur les rochers
fréquemment soufflaient.
Sans pensée, sans journées ni sans mois le temps passait,
Quand un beau matin, je me retrouvai mort
Et le peu de choses disposées sur ma table,
Pour finir en un clin d'œil furent débarrassées par la bonne.
_ Mon dieu quel soulagement. Mon dieu quel soulagement.
Autoportrait dans la nuit froide
Sans gloire
Mais bride en main,
Je traverserai cette terre obscure !
Ma volonté est claire
Je ne me plaindrai pas de cette nuit d’hiver.
Les gens sont tristes d’impatience
Les femmes fredonnent dans leurs rêves :
Ce sera mon modeste châtiment !
Qu’il me pique la peau !
Trébuchant, silencieux,
Un peu cérémonieux,
Je blâmerai ma paresse
Sous la lune froide.
Joyeux, paisible, sans pour autant me vendre,
Voilà ce qu’aura souhaité mon âme !
p.48
Déjà tout s'était éveillé, l'aube était là. Les nombreuses fées qui habitaient dans mon cœur, à côté de la rosée matinale dessinaient les lignes fraîches du feuillages des herbes.
(Une saison d'un cœur - les deux premières phrases)
Chant du matin
Au plafond surgit une couleur rouge
Par la fente de la porte filtre la lumière,
Souvenirs rustiques de fanfare militaire
De mes deux mains que faire ? Oh non rien à faire.
Des oiseaux on n’entend aucun chant
Le ciel aujourd’hui doit être d’un bleu pâle,
Contre un cœur humain qui s’écœure
Que dire ? Oh non rien à dire.
Dans une odeur de résine le matin s’afflige
A jamais perdus tous ces rêves divers,
Les arbres serrés dans la forêt résonnent au vent !
Tandis que s’élargit sereinement l’azur,
Le long des berges s’en vont filant
Toujours si splendides tant de rêves divers !
Chant sans paroles
Sans doute est-ce en quelque part au loin
Mais c’est ici qu’on doit attendre
Ici l’air est rare et pâle
Vague et léger comme le blanc de poireau
Je ne me presserai pas
Et attendrai ici le temps qu’il faut attendre
Je ne porterai pas au loin un regard de fillette
Car il suffit d’attendre ici
Au moins ai-je vu là-bas caché dans le soleil du soir
Quelque chose de faible et d’intense comme le sifflet
d’un train
Pourtant je ne courrai pas
Car c’est ici qu’il faut attendre
Bientôt je reprendrai mon souffle
Et certainement irai là-bas
Mais qu’était-ce sinon comme la fumée d’une cheminée
Au loin, au loin et pour toujours ce qui s’étire dans un
ciel de garance
p.80
Cirque
Que d’époques ont passé
Et il y eut des guerres brunes
Que d’époques ont passé
Et l’hiver le vent a soufflé
Que d’époques ont passé
Et ce soir que de monde
Et ce soir que de monde
Sous la tente
Un trapèze
Un très petit trapèze
Tête en bas, mains pendantes
Sous le toit de coton sale
You ! Han ! You ! Ho ! You ! Ah ! You ! Oh !
Les lumières blanches
Soufflent, pauvres rubans
Spectateurs sardines
Les gorges font un bruit d’écaille d’huître
You ! Han ! You ! Ho ! You ! Ah ! You ! Oh !
Dehors il fait noir noir mais noir
Et la nuit continue à s’étendre
Avec la nostalgie d’un pauvre parachute !
You ! Han ! You ! Ho ! You ! Ah ! You ! Oh !
p.33
Mais ce que je cherche
Mais ce que je cherche
je ne sais ce que c’est,
et ne l’ai jamais su.
Lamentation d'automne
Ah ah, l'automne est là
Des larmes d'émail piquent les yeux.
Ah ah, l'automne est là
Avant que dans les cours ne s'arrêtent les danses
Une fois encore, et v'lan et v'la, l'automne est là.
Sur les prés, les prairies, sur les champs, sur les villes
Sur les gens, pour déchaîner ses ravages, et v'lan et
v'la, l'automne est là.
Avec ses habits de mousseline
Au bout de ses mains légères et froides des gemmes
d'argent
avec sa face de limande fripée des deux côtés
Quand il rit on dirait des balles de riz qu'on secoue et
resecoue.
Courge d'Asie toute desséchée
V'la l'vieux diable, et v'lan et v'la.
7 octobre 1925
Mon Dieu! ces intrigues vulgaires qui n'en ont que le nom
De quelles maigres ficelles on les noue je ne le sais que trop bien.
Mais que mieux on les noue, oh Dieu ! plus vite,
Au moment de l'échec sonne la débâcle, je le sais aussi bien.
Mon Dieu! ces affaires humaines
Combien on les trame dans leurs moindres détails mon esprit le voit bien.
Mais quant à moi je persiste à vivre,
Comme si de rien n'était.
Humblement, je me tiens ici debout !...
Et j'ai déjà chanter crier
Décrire expliquer je n'en ai plus envie !
Mais, oh mon Dieu ! lorsqu'enfin descendra sur moi votre miséricorde,
Les mélodies des douces et belles nuits
Et tous ces chants des bateliers voilà ce qu'il m'arrivera de chanter...
Automne aveugle
IV
Au moins à l’heure de la mort,
Cette femme sur moi ouvrira-t-elle son sein ?
En cet instant, ah non, non, pas de fard blanc,
Oh non, non, en cet instant, ne mets pas de fard blanc.
Seulement, tranquillement, m’ouvrant son sein,
Irradie-toi dans mes yeux.
Et, ah non, non, ne pense à rien, s’il te plaît,
Oh non, non, même pour moi, ne pense plus à rien.
Ravalant seulement larmes après larmes,
Laisse s’exhaler ton souffle chaud.
‒ Et si d’aventure quelques pleurs coulaient,
Tu pourrais soudain en t’allongeant sur moi,
Oui qu’en dis-tu ? finir par me tuer !
Alors, avec délices, je commencerais à gravir le
chemin sinueux du Pays des Ténèbres.
/Traduction du japonais par Yves-Marie Allioux
Automne aveugle
III
Sainte Mère, oh ma Santa Maria !
Quoi qu’il en soit, moi, j’ai craché le sang !...
Et puisque tu ne voulais rien entendre à toute ma tendresse,
Quoi qu’il en soit, j’ai perdu la partie...
Et cela sans doute aussi parce que je n’étais pas simple,
Et cela sans doute aussi parce que je manquais de courage,
Mais comme mon amour pour toi était si naturel,
Toi aussi, je crois que tu m’aimais...
Oh ! Sainte Mère, oh ma Santa Maria !
Maintenant sans doute n’y a-t-il plus rien à faire...
Mais au moins sache-le bien :
Un amour si naturel, oui pourtant naturel,
N’est pas chose si fréquente,
Et en faire l’expérience, n’est pas permis à tous.
Sainte Mère, oh ma Santa Maria !
/Traduction du japonais par Yves-Marie Allioux