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Citations de Daniel Adam Mendelsohn (214)


J’étais surtout captivé par les temps des verbes, avec leurs incroyables métastases, les changements de temps signalés par des préfixes qui s’agrégeaient comme des cristaux, par des suffixes qui perlaient à la fin des mots, comme du miel gouttant d’une cuillère sur une soucoupe.
 
paideu-ô j’éduque
e-paideu-on j’éduquais
paideu-s-ô j’éduquerai
e-paideu-sa j’éduquai
pe-paideu-ka j’ai éduqué
e-pe-paideu-ka j’avais éduqué
 
Je trouvais merveilleux que par de minuscules ajouts de part et d’autre du radical, -paideu-, l’on puisse faire de tels bonds dans le temps : le présent, se métamorphosant à la faveur d’un simple e au début du mot, pour glisser vers le passé flou de l’imparfait, ou, tout aussi facilement, s’insinuant vers l’avenir par l’imbrication d’un sigma, s, entre le radical et la terminaison personnelle ;
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Pour un helléniste, le simple fait d’ouvrir un exemplaire de l’Iliade ou de l’Odyssée est un rappel de cette longue lignée, de l’immense travail d’abeilles qui en vingt-cinq siècles a lentement ajouté des gouttes de savoir à notre compréhension de ce que sont les poèmes et de ce qu’ils racontent.
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La grande ode aux voyages, donc, aux navigations et aux périples s’ouvre sur des personnages figés sur place. Cette étrange paralysie qui s’est abattue sur Ithaque pose aussi une série de questions qui sont, fondamentalement, d’ordre littéraire. Comment amorcer un poème ? Où débute l’histoire ? Comment tourner la page du passé pour ouvrir sur le présent ?
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Le garçon, l’adulte, l’ancêtre ; les trois âges de « l’homme ». Ce qui revient à dire que, parmi les voyages que retrace ce poème, il y a aussi le voyage d’un homme d’un bout à l’autre de la vie, de la naissance à la mort.
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Le proème est indispensable à l’épopée, car il nous donne l’assurance, au moment où nous nous embarquons sur ce qui ressemble à un vaste océan de mots, que cette étendue n’est pas un « vide informe » (tel celui sur lequel s’ouvre un autre grand récit fondateur, la Genèse), mais un parcours, un chemin qui nous mènera à un endroit qui vaut le voyage.
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Par un soir de janvier, il y a quelques années, juste avant le début du semestre de printemps au cours duquel je devais enseigner un séminaire de licence 1 sur l’Odyssée, mon père, chercheur scientifique à la retraite alors âgé de quatre-vingt-un ans, m’a demandé, pour des raisons que je pensais comprendre à l’époque, s’il pouvait assister à mon cours, et j’ai dit oui. Ainsi, pendant les seize semaines qui suivirent, il fit une fois par semaine le long trajet entre le pavillon de la banlieue de Long Island dans lequel j’ai grandi, une modeste maison à un étage où il vivait encore avec ma mère, et le campus en bordure de fleuve de la petite université où j’enseigne, qui s’appelle Bard College. Chaque vendredi matin à dix heures et demie, il prenait place parmi les étudiants de première année, des gamins de dix-sept ou dix-huit ans qui n’avaient pas le quart de son âge, et participait aux discussions sur ce vieux poème, une épopée où il est question de longs voyages et de longs mariages et de ce que peut signifier le mal du pays.

(INCIPIT)
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Tom pose la question "pourquoi votre père suit ce cours"?


Notre chambre était donc devenue son bureau. PROF. JAY MENDELSOHN, annonçait la plaque en plastique blanc sur la porte.
Je l'imaginais mal dans son rôle d'enseignant. Je voyais très bien ma mère en institutrice, à l'époque où elle enseignait en maternelle et en primaire, dans les années 1950, d'abord, peu après leur mariage, puis après vingt années d'intermède, quand elle a eu fini de nous élever, dans les années 1980 et 1990. Maman était exubérante, vive, pleine d'entrain et intelligente ; tout le monde disait qu'elle était faite pour enseigner. Avec mes frères et sœur, nous avons d'ailleurs profité de son instinct pédagogique même si, à l'époque, nous ne l'appréciions pas à sa juste valeur : quand nous rentrions de l'école, l'après-midi, nous trouvions sur la table de la cuisine une rose dans un soliflore, ou une orange soigneusement coupée en deux, ou un poivron vert, et elle nous faisait asseoir autour de la table et disait : Regardez mes enfants comme la nature est merveilleuse ! Admirez cette géométrie parfaite des pétales, des tranches, des cosses !........

Mais j'étais totalement incapable de me figurer mon père devant une classe. Je repensais à l'œil qu'il posait sur les exercices et les interros de maths que je rapportais à la maison, sur les X rouges griffonnés en marge, comme une broderie furieuse festonnant le côté du papier, et j'en étais réduit à me demander quel genre d'enseignant PROF. JAY MENDELSOHN avait pu être.
Et maintenant, en ce premier jour du séminaire sur l'Odyssée, il était assis dans ma classe la main en l'air.

"Effectivement, je suis son père" di-il!

Je suis le cours de Dan (quelques étudiants s'amusèrent à l'entendre m'appeler par mon prénom) parce que j'ai eu envie de relire les Classiques que j'avais lu au lycée. C'était pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1940.
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Mais qu'elle est la vraie nature d'un homme, demande l'Odyssée, et combien de natures un homme peut-il posséder ? Comme je l'appris cette année-là, l'année où mon père a suivi mon cours sur l'Odyssée et où nous avons refait le voyage du héros, les réponses peuvent être surprenantes.
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Il y a une plaisanterie que les gens de cette partie de l'Europe de l'Est aiment raconter, qui explique un peu pourquoi les prononciations et l'orthographe ne cessent de changer: c'est l'histoire d'un type qui est né en Autriche, qui est allé à l'école en Pologne, qui s'est marié en Allemagne, qui a eu des enfants en Union soviétique, et qui meurt en Ukraine. Pendant tout ce temps, dit la plaisanterie, il n'a jamais quitté son village !
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Et c'est peut-être pourquoi Éric, le frère que, dans ma vanité et mon arrogance, dans ma croyance égocentrique que ce qui m'intéressait l'intéresserait forcément, dans mon désir de le transformer en satellite lunaire de la planète que j'étais, celui dont j'avais cru faire mon compagnon, est devenu le frère que je me suis aliéné, après toutes ces années d'insouciance de ma part.
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Danemark - Copenhague

Comme nous étions dans cette ville pour un séjour très bref, comme nous avons passé presque tout notre temps avec Adam et Alena, nous ne pouvons vous dire que très peu de choses à propos de Copenhague, ce qui est, je trouve, un peu honteux dans la mesure où le Danemark est le seul pays parmi les nations de l'Europe continentale à avoir opposé une résistance paisible, mais remarquablement efficace, aux politiques antijuives des nazis , l'exemple le plus spectaculaire étant le passage clandestin et réussi, en une nuit, de presque tous les huit milles Juifs du pays dans des petits bateaux jusqu'à la Suède avec (selon le livre que j'ai consulté) seulement quatre cent soixante-quatre Juifs déportés à Theresienstadt, un endroit que j'ai eu le temps de visiter. Quatre cent soixante-quatre Juifs sur huit mille, cela signifie que six pour cent des Juifs du Danemark ont péri dans l'Holocauste, ce qui, même si cela peut paraître un chiffre cruellement élevé, pâlit, en termes purement statistiques, en comparaison des chiffres qu'il faut calculer pour un endroit comme, disons, Bolechow, où sur les six mille Juifs - à peine moins que la population juive du Danemark - ne survivaient que quarante-huit personnes en 1944, ce qui veut dire que quatre-vingt-dix-neuf virgule deux pour cent des Juifs ont été tués dans cet endroit.

page 506
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Chez Anna - à Tel Aviv - page 382

Je lui ai dit que nous avions appris de Jack Greene que Ciszko Szymanski avait été exécuté pour avoir essayé d'aider Frydka. Elle a parfaitement compris ce que je disais, parce que avant même que j'aie fini de parler, elle m'a regardé en disant en yiddish, Oui, c'est ce que j'ai entendu dire.

C'est à ce moment-là qu'elle s'est penchée au-dessus de la table basse, comme une femme qui voudrait confier un cancan à une amie, et qu'elle a parlé très rapidement. La tension entre l'intimité de son geste et le fait d'avoir à attendre la traduction de Schlomo m'a frappé comme quelque chose de significatif : ça m'a paru être un symbole de tout ce que je ressentais ce jour-là - l'étrangeté d'avoir à intégrer, d'un coup, des distances impossibles de temps, de langues et de mémoires, à l'immédiateté et à la vivacité des fragments, très brefs mais émouvants, que j'entendais sur mes parents morts depuis longtemps. "Viens prendre des fraises ! Il était sourd ! Un papillon".

Schlomo écoutait ce qu'Anna disait, penchée vers moi dans ce mouvement de confidence, et il s'est ensuite adressé à moi.
Elle a dit que lorsqu'ils se sont fait prendre, Ciszko a déclaré ; "Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi.

Pendant un instant plus personne n'a rien dit. Je savais, bien entendu, que Frydka avait inspiré bien plus qu'une amourette. Ce garçon a payé de sa vie pour ça, avait dit Jack à Sydney. Mais c'était vraiment quelque chose que d'entendre à présent la ferveur, la bravade juvénile, des derniers mots de ce garçon. Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi! Et ils l'ont tué. Là-dessus, tout le monde était d'accord même s'il allait me falloir encore deux ans pour découvrir comment exactement.

Ndl : Ciszko et Frydka s'aimaient, lui n'était pas Juif!
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En grec, nostos signifie «le retour». La forme plurielle du mot, nostoi, était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée aux retours des rois et des chefs de guerre qui combattirent à Troie. L’Odyssée est elle-même un récit de nostos (...) Peu à peu, le mot nostos, teinté de mélancolie et si profondément ancré dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, algos, pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amer que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie «la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer», mais comme nous le savons, ce «foyer», surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est «nostalgie».
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Il y a, par conséquent, une liaison complexe entre les actes de création, les actes de destruction et les actes de rétablissement dans la Genèse, suggérant que ces actes distincts, apparemment opposés, sont en fait pris dans une boucle intriquée et infinie.
Cette interconnexion suggère à son tour un autre point, plus important, dont le texte veut nous rendre conscients. Car si Noah était simplement un récit d'annihilation totale - destruction sans survivants, sans une nouvelle "création" - nous y perdrions rapidement tout intérêt : c'est l'existence de ces quelques survivants qui nous aide, ironiquement , à apprécier l'étendue de la destruction. Inversement, pour apprécier le caractère précieux des vies qui ont été sauvées, il est nécessaire d'avoir une compréhension approfondie de l'horreur à laquelle, ils ont si miraculeusement échappé.

page 203

Ndl : Je trouve très intéressant la manière dont l'auteur met en parallèle sa quête avec la les passages de la Bible hébraïque. Cette exégèse qui se base sur l'Hébreu et sur deux illustres commentateurs, Rachi et Friedman, interpelle et est riche de réflexion.
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C’est drôle, dit-il, mais je trouve que cette partie du poème [la reconnaissance d’Ulysse sous les traits d’un vieil homme par Pénélope] est tout à fait réaliste. Il y a des choses qu’on partage dans un couple qui n’ont rien de physique : des blagues ou des souvenirs glanés au fil du temps, des petites choses que personne d’autre ne sait.
Il leva les yeux et vit tous ces regards de jeunes gens braqués sur lui. Soudain embarrassé, il tenta de détendre l’atmosphère : Bon, des fois aussi, ce sont des choses physiques! (...)
Les étudiants ne pipaient mot. Qu’auraient-ils bien pu dire ? Le mariage de mes parents avait duré trois fois leur vie. Leurs visages graves, les regards ébahis qu’ils posaient sur mon père à l’autre bout de la salle disaient à quel point ils étaient impressionnés. Et même, me sembla-t-il soudain, admiratifs.
Alors, dans le silence palpable qui régnait autour de la table je compris que les métamorphoses magiques qui ont lieu dans l’Odyssée ne sont rien d’autre que cela. Elles n’ont rien de magique. Quelque chose se passe, quelqu’un s’exprime avec passion ou autorité – avec des «mots ailés», épê pteroenta, selon l’expression d’Homère -, et l’on voit soudain les choses autrement : la personne en face a effectivement l’air d’avoir changé.
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Alors qu'Alex traduisait le récit de Pyotr de la marche vers la mort de ses voisins, je me suis souvenu du timbre exact de la voix de mon grand-père au téléphone quad il disait "Adieu" : ce "a" à peine soufflé des Juifs polonais, cette prononciation qui a aujourd'hui presque disparu de la terre. Mais ce n'est pas pour cette raison que ces adieux angoissés sont restés gravés dans mon esprit et ont constitué les détails les plus horribles de tous ceux que nous avons entendus ce jours-là. C'est seulement plus tard, après mon retour aux Etats-Unis que je me suis aperçu que cet unique détail reliait ce que nous avions entendu à Bolechow, ce jour-là, le jour dont tout allait dépendre, à quelque chose dont je m'étais souvenu dans les lettres de Shmiel : l'adieu à la fois conscient et impensable .

Je vous dis adieu et je vous embrasse de tout mon cœur.

Adieu, nous ne nous reverrons plus jamais.

C'est un fait bien établi que la plupart des actes de sauvagerie les plus violents perpétrés contres les Juifs de l'Europe de l'Est l'ont été, non par les Allemands eux-mêmes, mais par les populations locales de Polonais, d'Ukrainiens, de Lituaniens, de Latviens - par les voisins, les intimes, avec qui les Juifs avaient vécu côte à côte pendant des siècles jusqu'à ce qu'un délicat mécanisme se grippe et qu'ils se retournent contre eux.

Page 168
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Il essaie de voir les choses dans leur complexité, se méfie des généralisations, tout comme j'aime regarder les problèmes à travers la lunette de la tragédie grecque qui nous apprend, entre autres, que la véritable tragédie n'est jamais une confrontation directe entre le Bien et le Mal, mais plutôt, de façon plus exquise et plus douloureuse à la fois, un conflit entre deux conceptions du monde irréconciliables.
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C'est là, dans le ghetto surpeuplé des morts de l'immigration juive, que j'ai compris pour la première fois le plaisir de déchiffrer les récits, de dénouer les significations secrètes et saturées des écritures sinueuses dans lesquelles elles avaient été enroulées.
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Lorsque j’étais bien plus jeune et, même alors, je me demandais quel genre de présent on pouvait avoir sans connaître les histoires de son passé.
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La tragédie aime les extrêmes. Elle célèbre la beauté vertigineuse de la destruction totale.
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