Citations de Denise Desautels (72)
Rêver Québec, dites-vous
extrait 1
en marge du monde
on se demande où on est, où on va, où on rêve
dans quelle langue, de quelle main
gauche, gauche
parfois démesuré, le geste
on dirait un cœur
le continent partout alentour
et l’étrangeté la plus intime
traduire ici la gravité du désir
l’archéologie, l’histoire
le fleuve long et la mémoire vive
d’un mot, puis d’un autre
appris : avril, mai
fantôme, forêt, moineau ou linceul
-quand il neige encore
au féminin peut-être
sur un autre ton
toujours
…
Rose désarroi
ÇA DIT GRAND..
ça dit grand
la regardeuse regardée
l’océan dans la peau
assise, mortelle sans condition
mon œil droit devant mord
la moitié encore du tableau
son pan d’écume et d’histoire
juste au bas de l’autre, l’ocre
l’agitée
tachée d’objets tranchants qui volent
voyez de près le va-et-vient
je pars mais ne quitte pas
POUR DIRE NOUS VOICI
extrait 1
Avant. Mais tout est si récent. Avais-je déjà fait un voyage.
M’étais-je déjà vue avant. Avais-je même déjà pensé maison.
Autre chose que « mes murs à perpétuité ». Mon genre ma
place ma joue tendue sur le miroir. Fresque officielle. Jamais
complète ni future et nul pont probable. Qui étais-je — de
quel amour. L’une parmi tant taboues que rien ne soigne.
Dans grande famine qui broie. Maintenue à la cheville de son
sexe. Et loin l’immensité du territoire.
L’une et l’autre aimaient empiler des objets vastes, pleins d’horizon, dans lesquels elles mettraient de l’ordre plus tard, beaucoup plus tard, car elles allaient vieillir ensemble, ça allait de soir, dériver, trébucher et s’attendrir ensemble, mettre de l’ordre ensemble dans leur vie, un jour. Tout autre futur paraissait inconcevable.
Je transcris pour un livre, comme on dit pour le piano, mon invivable rêverie clôturée par ta mort.
En conséquence, l’écriture – ses fouilles, ses exigences, son utopie – n’arrête pas d’être nécessaire. Contre le désespéré. Contre l’inespoir.
Écrire. Un ring au centre de soi, où blessure, imagination, langage et sensation s’affrontent. Deviendront peut-être murmures, peut-être fiction. Rien peut-être.
Absolument rien à vider. À part mon cœur. Dont l'écriture - petit geste de survie devant le pouvoir disproportionné des monstres - s'est chargée, du moins en partie, se charge encore. Écriture que je souhaiterais tant - ça viendra peut-être - incendiaire à son tour. Dévastatrice.
devant la fenêtre
j’imagine la mer étale mais elle est la mer
voilée elle est toujours la mer
une architecture excessive
du flux et du reflux
un jour on la traverse jusqu’au fond
là où tout converge
où parler n’est plus mentir
alors nos paroles justes détonnent
la mer propose ce risque étrange
nous devenons passionnants
l’éblouissement se perd dans le paysage
du bonheur dense
l’osmose des matins et des rêves
notre enlacement infini
l’espoir repose du vertige
vivre est inoffensif dit-on
on se protège contre l’effondrement
de saison en saison
l’éternité n’a plus de conséquence
pour ralentir l’oubli nous avons tenté
jusqu’à la plainte jusqu’au cri essoufflé
il n’y a pas de vérité première
des photographies retiennent l’émoi
un dernier appel
quand la couleur s’estompe
nous nous rappelons le trajet de la forme
à la fenêtre les événements se succèdent
le signe nous aveugle
des lignes de fuite sur un décor indécent.
toujours au bout du voyage l’évidence
les petits souvenirs éclatent. je dis
que toute mémoire toute mort toujours
résistent à la lettre du désir et que
les saisons trop courtes embrouillent le paysage.
nous parlons de la mer. il n’écrira plus.