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Critiques de Didier Fassin (57)
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La force de l'ordre

Police 👮‍♂️ and thieves 🏃‍♂️ in the streets ♪♫ - oh yeah eh eh ♪♫ 🎸

Scaring 😱 the nation with their guns and ammunition ♪♫ 🎸

(un petit coucou à Pierre du 79, dit aussi 'le people du 41 & du 49' 😉)



« Quand j'entends le mot violences policières, personnellement, je m'étouffe » (Ministre de l'Intérieur, juillet 2020).

D'abord il n'y a pas 1 mot, là, mais 2, mon gars.

Ensuite, comme réagit Laurence Rossignol (PS) à ces propos : « Reprendre les mots des victimes, les détourner puis les retourner contre elles... #LesMotsTuent" ».

« J'étouffe ! » sont en effet les derniers mots de Cédric Chouviat, mort à la suite d'un contrôle policier en janvier dernier, en France.

De même, 'I can't breathe' sont les dernières paroles prononcées par George Floyd lors de son interpellation violente et meurtrière en mai 2020, aux USA.



Dans l'actu brûlante : l'article 24 de la loi de 'Sécurité globale' a été approuvé à une large majorité parlementaire (146 voix pour et 24 contre). Il pourrait avoir pour effet d'empêcher de filmer les forces de l'ordre en opération et de diffuser par la suite les images. Rappelons qu'avec de tels principes, on n'aurait jamais identifié A. Benalla comme l'auteur de violences sur les vidéos d'un certain 1e mai. On ne va pas dire qu'il resterait impuni à ce jour, c'est un peu le cas... Mais il aurait poursuivi sa fulgurante ascension, à la droite de son maître.



Revenons à l'album. Il s'agit d'une adaptation d'un essai de l'anthropologue & sociologue Didier Fassin. Observateur déclaré (et non pas infiltré), il a rejoint la BAC (brigade anti-criminalité) d'une banlieue parisienne durant quinze mois, entre 2005 et 2007.

Ce service de la police nationale française, créé en 1994, appartient à la Direction centrale de la sécurité publique. Présent à Paris et en banlieue, ainsi que dans les grandes et moyennes villes de province, il se décline en modes diurne et nocturne.



L'essai, brillamment condensé ici, confirme les indélicatesses policières (désolée), au-delà des "quelques" faits divers médiatisés que certains prétendront à la marge.

'Délit de faciès' ; provocations pour interpeller, mettre en garde à vue et faire du chiffre ; impunité des 'forces de l'ordre' ; profil particulier d'une grande partie de ses agents (sympathisants décomplexés d'extrême-droite, xénophobes, bourrins, violents) - c'est ça la BAC... Avec un petit bonus dans l'horreur pour la BAC de nuit.



Les plus sceptiques pourront aussi voir le film de Ladj Ly 'Les Misérables', qui a "bouleversé" (sic) le Président et madame, fin 2019. Ok, Manu, c'est noté pour le 'bouleversement'... et ?



Pour conclure, ces mots de 'Diogene', trouvés sur Twitter :

« Vous aviez une mauvaise image de la police ? le gouvernement a réglé le problème. Vous n'aurez plus d'image du tout. » *

Merci qui ?



--------



* https://twitter.com/cynismes/status/1329934893258842123

♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=NJK2tD4fpMo

voir aussi

https://www.youtube.com/watch?v=Gdzen0lVce4
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La force de l'ordre

Peut-être la sociologie a-t-elle pour ambition de dévoiler des pratiques dissimulées aux yeux de tout le monde. Alors, dans cette perspective, le travail de Didier Fassin est une grande réussite. Et c’est d’autant plus essentiel que ce travail d’observation au long cours, mené auprès d’une BAC (Brigade Anti-Criminalité) de la banlieue parisienne il y a maintenant presque quinze ans, ne serait plus possible aujourd’hui. L’institution policière, d’ordinaire déjà peu loquace, s’est recroquevillée sur elle-même ces dernières années en même temps que la contestation à l’encontre de ses pratiques augmentait. C’est après tout un mécanisme de défense assez instinctif. Mais c’est aussi un très mauvais signal en démocratie.

Mais alors, qu’apprend-on dans cet ouvrage ? Tout d’abord que, la plupart du temps, les policiers de la BAC s’ennuient. Non pas qu’ils ne fassent rien ou n’aient rien à faire, mais que la nature de leur activité et la manière dont ils l’exercent ne peut pas leur permettre de déceler des actes de délinquance qui sont, d’une part, peu fréquents, et d’autre part, généralement commis à leur insu.

Par là, on comprend que la fascination pour l’action, le danger et la violence ne sont pas que le fait des « voyous » dans les « zones de non-droit ». Elle est également partagée dans les grandes largeurs par les agents de la BAC, dont c’est même une des motivations premières à l’idée d’intégrer cette unité. D’où les regrets d’une routine faite de patrouilles au hasard et d’interpellations ciblées sur les « jeunes des cités » et les « gens du voyage » qui permettent, à défaut d’utilité sociale (par exemple en luttant contre les atteintes aux personnes ou aux biens, c’est-à-dire la raison d’être de la BAC), de faire du chiffre en relevant des infractions mineures (consommation de stupéfiants, étrangers en situation irrégulière).

D’où également une propension de certains policiers à la provocation à l’encontre de la population, et notamment face aux jeunes racisés (Fassin utilise le terme « racialisés ») des quartiers. En effet, l’auteur montre que la stratégie mise en œuvre vise à obtenir une réaction d’énervement ou de contestation de la part du ou des jeunes, réaction qui justifie dès lors l’usage d’une riposte musclée. A ce titre, le contrôle d’identité, sorte de rappel à l’ordre social sur la légitimité des uns et des autres à occuper l’espace public, est une arme dont usent régulièrement les agents de la BAC.

On note aussi que les « zones de non-droit » portent très mal leur nom. Tout d’abord parce que les policiers y passent une partie très importante de leur temps. Également car ils n’y sont pas nécessairement mal reçus, malgré les (trop nombreux) discours politiques en ce sens, qui s’enquièrent moins de la vérité et d’un terrain qu’ils ne connaissent pas que de flatter leur électorat.

Cela produit pourtant des effets excessivement concrets en termes de stigmatisation, voire d’humiliation de certaines populations, et aussi un cercle vicieux : plus la présence policière se fait forte sur un territoire, plus l’activité des forces de l’ordre et donc les chiffres de la délinquance augmentent. De là sont légitimés les discours visant à renforcer encore la logique répressive sur le terrain. Pourtant, et l’auteur le répète inlassablement, la délinquance n’est pas plus importante dans les cités dites difficiles qu’ailleurs.

L’ouvrage fait enfin le constat de l’impunité. Celle des forces de l’ordre, évidemment, qui apparaissent bien moins sanctionnées pour les actes répréhensibles commis dans l’exercice de leurs fonctions que les habitants des quartiers dans lesquels elles interviennent.

J’imagine qu’on dira que ce travail est à charge. Ce n’est même pas le cas, et c’est peut-être pire. Si les faits dont il est question dans l’ouvrage ont pu être consignés, c’est qu’ils ont été perpétrés par les policiers sous le regard du sociologue, à découvert. C’est donc que les policiers ont estimé que tout ce qu’ils ont fait pouvait être montré, c’est-à-dire que leur action était légitime. Peut-être est-ce cela qu’il convient avant tout de retenir de cette lecture. Et sans doute cela devrait également inciter les policiers eux-mêmes à lire cet ouvrage et à méditer le rôle que le pouvoir leur assigne :

« La loi [sert] moins à appliquer le droit qu'à rappeler chacun à l'ordre social. Probablement faut-il penser l'efficacité du travail de la police dans les quartiers défavorisés en d'autres termes que ceux habituellement retenus, c'est-à-dire la réduction de la délinquance et de la criminalité. Les patrouilles exercent une forme de pression sur les populations vues comme les plus menaçantes par leur simple présence, à savoir les jeunes de milieu populaire appartenant le plus souvent à des minorités, indépendamment de tout danger objectif. L'enjeu n'est donc pas tant l'ordre public qu'il s'agirait de protéger que l'ordre social qu'il s'agit de maintenir ».
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Punir

Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ? Ces trois interrogations sont celles de l’auteur dans un contexte historique qu’il nomme « moment punitif », nos sociétés contemporaines n’ayant jamais autant puni, sanctionné, enfermé, et jamais autant réclamé de punitions, de sanctions et d’enfermements… Pourtant les crimes les plus graves semblent être en diminution constante et régulière. Pour répondre à ce paradoxe et à ces interrogations, Fassin revisite l’histoire de la philosophie du châtiment et s’appuie sur des constats issus d’enquêtes ethnographiques sur la police, la justice et la prison qu’il a parfois lui-même réalisées.



Cette assise empirique est décisive, notamment dans la partie consacrée à la question de connaître et de distinguer ceux que l’on punit et ceux que l’on ne punit pas. L’intolérance sélective de la société (pourquoi tolère-t-on plus la fraude fiscale que le vol à l’étalage ?) et le populisme pénal des politiques qui se répondent et s’auto-renforcent engendrent en effet des pratiques discriminatoires, déléguées par la société aux institutions punitives (police, justice, prison) et à leurs agents. Par exemple :



« C'est justement en choisissant les infractions qu'il faut sanctionner et en déterminant parmi les auteurs ceux qu'il faut cibler que la pénalité est le mieux à même d'opérer des différenciations au sein de la société : la consommation de cannabis plutôt que l'abus de biens sociaux ; les patrouilles de police dans les quartiers populaires plutôt que dans les zones résidentielles. Ces différenciations ne sont bien sûr pas socialement neutres : elles relèguent les uns et protègent les autres. La répression sélective de certaines catégories d'illégalismes et de populations joue ainsi un rôle important dans la production et la reproduction des disparités sociales. » (p. 133-134)



Ce petit livre est une très bonne introduction aux études ethnographiques de Didier Fassin et d’autres auteurs sur ces thèmes, telle « La force de l’ordre », que j’ai chroniquée par ailleurs.
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La force de l'ordre

L’anthropologue Didier Fassin a partagé la vie d’un commissariat de la région parisienne entre 2005 et 2007, entre le drame de Clichy-sous-bois et celui de Villiers-le-Bel. Son enquête ethnographique éclaire l’ordinaire du travail de la police et ses relations avec son public, ainsi que les violences et le racisme présentent en son sein. Parue en 2001, elle est aujourd’hui adaptée en bande dessinée.

(...)

Excellente transcription en bande dessinée d’une recherche en sciences sociales qui brosse un portrait intelligent et intelligible d’une police nationale gangrénée par le racisme et le recours quasi systématique à la violence, et par l’impunité qui la conforte dans ses pratiques. Un juste équilibre a été trouvé entre les anecdotes rapportées par l’auteur et ses analyses, en évitant à la fois de se mettre en scène et de tomber dans l’exposé désincarné. Nous ne manquerons pas de rendre compte de l’essai originel dès que possible.



Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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La recherche à l'épreuve du politique

Si sous certains régimes autoritaires, des chercheurs et des chercheuses sont menacés, emprisonnés, assassinés, ils ne sont toutefois pas exempts de pressions de l’État dans les démocraties. Le sociologue Didier Fassin recense les risques auxquels s’exposent chercheuses et chercheurs en sciences sociales, lorsqu’ils dévoilent l’arbitraire de l’ordre établi, s’appuyant sur son expérience des pratiques d’intimidation policière alors qu’il accompagnait des volontaires portant assistance aux exilés en haute montagne, et sur la contre-enquête qu’il a réalisée à propos de la mort d’un voyageur lors d’une interpellation.

(...)

C’est parce qu’elle dérange l’ordre établi que la recherche en sciences sociales est entravée. Impeccable démonstration.



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La force de l'ordre

Didier Fassin a été autorisé à suivre des policiers d'une Brigade Anti Criminalité (BAC) pendant plus d'un an. On ne peut que rendre hommage à ceux qui autorisèrent cette observation, qui aboutit à une étude ethnologique, d'abord publiée sous la forme d'un essai de 400 pages.

Pour en rendre compte de manière plus synthétique et accessible, l'auteur a retravaillé son texte avec Frederic Debomy, et Jake Raynal l'a illustré.



Le résultat est plutôt effrayant : on y voit beaucoup de policiers frustrés, racistes, aux idées d'extrême-droite aussi courtes que leurs cheveux rasés, et quelques-uns plus sensés mais qui doivent se taire pour ne pas être tenus à l'écart ou quitter cet environnement quand ils n'en peuvent plus.

A la décharge des premiers (comme le souligne l'ouvrage), il s'agit souvent de jeunes policiers en début de carrière, placés dans un environnement qu'ils ne connaissent pas et qu'ils perçoivent comme hostile (sans comprendre que le comportement même de leurs collègues ne peut que générer une telle hostilité), de surcroît souvent obligés comme leurs collègues de faire du chiffre (entendez par là d'interpeller des personnes en nombre).

Le passage de Sarkozy au Ministère de l'Intérieur puis à la Présidence a fait beaucoup de dégâts sur la cohésion nationale, notamment par l'instrumentalisation des services de l'Etat à des fins de propagande politique. Ses derniers successeurs n'arrangent pas la situation…



En lisant les pages 24 et 25 de l'ouvrage, j'ai pensé que les auteurs exagéraient, que les policiers de la BAC ne pouvaient pas être aussi dénués du sens du ridicule !

Pour en avoir le coeur net, je suis allé voir les écussons des BAC sur internet. Résultat : en effet, les représentations d'animaux y sont fréquentes, et significatives. On y trouve beaucoup de tigres, quelques crocodiles, des loups, des aigles, et des serpents. C'est dire le niveau de frustration des gars (les femmes sont peu représentées dans les BAC), fiers de recourir à ces symboles de force.



J'ai trouvé un peu dommage que le graphisme ne soit pas à la hauteur de la richesse du texte et de l'analyse.
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Punir

Un essai extrêmement intéressant sur les châtiments infligés par les tribunaux. Trois chapitres dont les titres sont autant de questions fondamentales : qu’est-ce que punir ? pourquoi punit-on ? qui punit-on ? Si l’approche initiale est celle d’un philosophe qui cherche à bien définir les concepts et à en décrire l’évolution dans le temps, l’auteur s’attache ensuite à confronter la théorie à la réalité pratique. Et c’est cela qui me pousse à vous recommander chaudement cet ouvrage, dont l’écriture fluide vous ne vous apportera aucun ennui, bien au contraire.



Didier Fassin, anthropologue, sociologue et médecin né en 1955 est professeur à l’université. Il n’en est pas à ses premiers pas dans le domaine qui nous occupe ici: il a également publié « La force de l'ordre : Une anthropologie de la police des quartiers » et « L'ombre du monde : Une anthropologie de la condition carcérale ».



Le premier chapitre de « Punir: une passion contemporaine » expose l’évolution de la notion de punition, montrant comment on est passé, en partie sous l’influence de la religion catholique, d’une économie affective de la dette (réparer la faute) à une économie morale du châtiment (infliger de la souffrance). Ensuite, le deuxième chapitre est consacré aux raisons qui poussent à punir: utilitaristes, pour augmenter le bien-être de la société, ou rétributivistes, où l’on se focalise sur le fait de punir l’acte commis. Dans les deux cas, l’auteur démontre brillamment l’écart entre les idéaux théoriques et la réalité pratique, ce qui est encore plus frappant dans le troisième chapitre, « Qui punit-on ?», qui démontre comment la justice fustige les inégalités sociales. Je cite: « En effet, c'est justement en choisissant les infractions qu'il faut sanctionner et en déterminant parmi les auteurs ceux qu'il faut cibler que la pénalité est le mieux à même d'opérer des différenciations au sein de la société : la consommation de cannabis plutôt que l'abus de biens sociaux ; les patrouilles de police dans les quartiers populaires plutôt que dans les zones résidentielles. Ces différenciations ne sont bien sûr pas socialement neutres : elles relèguent les uns et protègent les autres. La répression sélective de certaines catégories d'illégalismes et de populations joue ainsi un rôle important dans la production et la reproduction des disparités sociales. »



Pour titiller un peu plus votre curiosité et vous donner l’envie de lire ce magnifique essai, je citerai son paragraphe final: « Punir, disent les philosophes et les juristes, c'est corriger un mal, réparer un préjudice, réformer un coupable, protéger la société. La légitimité ultime du châtiment devrait ainsi être la restauration d'un ordre social juste que le fait incriminé avait menacé. Or, si le châtiment n'est pas ce que l'on dit qu'il est, s'il n'est pas justifié par les raisons que l'on croit, s'il favorise la réitération des infractions, s'il punit en excès de l'acte commis, s'il sanctionne en fonction du statut des coupables plus que de la gravité de l'infraction, s'il vise avant tout des catégories préalablement définies comme punissables et s'il contribue à produire et reproduire des disparités, alors ne devient-il pas plutôt ce qui menace l'ordre social ? –et ne faut-il pas, dans ce cas, le repenser, non plus seulement dans le langage idéal de la philosophie et du droit, mais aussi et surtout dans la réalité inconfortable de l'inégalité sociale et de la violence politique ? »
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Sciences sociales par temps de crise

"Exprimer le passé en termes historiques ne signifie pas le reconnaître "tel qu'il a réellement été". Cela revient à s'emparer d'un souvenir tel qu'il apparaît en un éclair à l'instant d'un danger."



(Walter Benjamin, "Sur le concept d'histoire")



À l'instar de Didier Fassin, qui débute sa leçon inaugurale par l'évocation de la fin tragique que connut Walter Benjamin en 1940, c'est également par lui que j'aimerais commencer.

Enfin, presque !

Commençons par le Collège de France, puis Patrick Boucheron, puis Walter Benjamin et son oeuvre ultime...

Car ce sont quelques mots (que j'ai vite noté), prononcés par le professeur Boucheron, lors de son cours "Inventions du politique" qui m'ont fait lire, chercher d'abord puis découvrir ce joyau littéraire et philosophique (je ne sais pas trop comment le qualifier, je sais seulement que c'est précieux)



"[...] s'emparer d'un souvenir tel qu'il apparaît en un éclair à l'instant d'un danger."

Lorsque l'on prend l'habitude de se faire scribe, pour un oui, pour un non ; on n'est d'autant plus frappé par l'étrange beauté de certaines expressions, un détachement soudain, une singularité qui étonne, exigeant l'attention...

Qu'a-t-il voulu dire ?



J'ai l'impression qu'il y a comme l'esquisse d'un impossible mouvement ; comme cet Ange de l'Histoire, fasciné, le regard fixe qui s'en va pourtant où il ne peut rien voir ; comme le moment critique de définition de la crise peut-être..

Critique parce que la situation impliquant une telle définition doit être, de part son caractère événementiel, ou en tout cas inhabituel et sa charge émotionnelle, de fait, peu propice à la réflexion et à un raisonnement lucide

À propos de ce qui est en train d'arriver, de ce qui nous arrive...



Ce fascicule contient une très belle leçon ; une seule, mais cette leçon, c'est la première.. C'est donc aussi un moment et un rite de passage dans l'institution du Collège de France.

Qui, s'il n'est pas censé être "critique", sinon par abus de langage, n'en est pas moins chargé d'affect tant pour le nouveau professeur que pour son auditoire

(Bien qu'en l'occurrence, l'exercice ne soit pas inédit pour Didier Fassin, inaugurant en 2020, au même endroit, son cours intitulé "De l'inégalité des vies")



Il me reste à remercier chaleureusement l'équipe de Babelio et les éditions du Collège de France pour l'envoi de ce petit ouvrage (petit mais substantiel et incitatif)



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La force de l'ordre

Je tiens à le dire d'emblée: je suis assez admiratif dans l'ensemble du travail qu'effectuent les forces de l'ordre dans un métier parfois très difficile car confrontés aux tristes réalités de terrain. Ils ne sont pas vraiment soutenus par leur hiérarchie, par la justice et par l'opinion publique de manière générale. Pour autant, le reste qui va suivre ne va pas forcément vous plaire.



En effet, l'auteur a demandé à être un observateur durant des mois afin de réaliser une enquête ethnographique sur le travail de la police dans les quartiers populaires. Il a partagé le quotidien des policiers d'une grande circonscription de la région parisienne alors que la police se laisse difficilement observer en particulier par les chercheurs. Il en résulte cette BD après avoir été un livre qui a été assez décrié car les conclusions sont hautement sensibles.



Ainsi, on voit des jeunes de quartier qui n'ont rien fait et qui sont accusés à tort et plutôt malmenés par les forces de l'ordre. Cela crée des tensions entre cette communauté issue de l'immigration nord-africaine et les autorités. On verra que les idées d'extrême droite ainsi que le racisme sont bien ancrés dans cette police.



On se souvient tous du soulèvement populaire sur tout le territoire suite au drame de Clichy sous Bois en 2005 où des jeunes avaient été électrocutés en tentant de fuir un simple contrôle d'identité. Je n'ai jamais subi de contrôle d'identité dans ma vie mais ces jeunes n'ont même pas encore la majorité qu'ils ont été contrôlés une dizaine de fois. Je m'interroge tout de même sur une telle discrimination opérée par les forces de l'ordre.



A noter que le ministère de l'intérieur avait déclaré que ces adolescents avaient été impliqués dans un cambriolage ce qu'une enquête allait démentir. Qu'importe, le ministre de l'intérieur de l'époque voulait à tout prix se faire élire président de la république sur le message de nettoyage de ces cités au karcher ce qui rencontrait une opinion plutôt favorable du reste du pays.



Quand les policiers arrivent; les jeunes courent immédiatement ce qui n'est pas une réaction normale mais c'est un réflexe instinctif chez eux même s'ils n'ont rien fait de répréhensible. L'expérience avait appris à ces jeunes qu'il ne suffisait pas de n'avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et parfois aux interpellations.



En 2007, rebelote avec une voiture de police qui tue deux jeunes sur un scooter qu'on allait encore accuser alors que la violence du choc prouvait un excès de vitesse de la part des policiers. Là encore, relaxe des policiers. A noter que le syndicat des policiers en rajoute encore en parlant de violences perpétrées d'une incroyable sauvagerie inqualifiable à l'encontre des forces de l'ordre. Sur le terrain, la réalité semble différente.



A noter que ces unités d'élite n'hésitent pas à enfoncer des portes de logement quand on pouvait se contenter de sonner pour qu'on leur ouvre. Bref, ils ne font pas dans la dentelle. Ils font même dans la provocation tant ils haïssent ces jeunes des cités qu'ils surnomment pas très affectueusement les bâtards. Quand un jeune invoque une raison à un acte répréhensible, ils pensent que c'est un foutage de gueule et peuvent leur coller jusqu'à sept infractions pour se venger.



Les Brigades anti-criminalités seront passées au peigne fin par l'auteur qui a répertorié tous leurs inconvénients. Ils doivent faire du chiffre et pour cela, ils sont prêts à tout. Ce sont ces agents qui sont redoutés par les habitants des cités. En effet, ils prennent souvent des libertés avec la loi dans les quartiers populaires surtout vis à vis des jeunes. C'est assez arbitraire et ce sont des vexations répétées qui ne concourent pas au vivre ensemble.



J'avoue que cette enquête menée de manière objective m'a fait assez froid dans le dos même si toutes les forces de l'ordre ne pratiquent pas ainsi mais la police est d'ores et déjà noyautée par les idées d'extrême-droite (tout comme l'armée d'ailleurs). Ainsi, ils peuvent mettre leurs pratiques en conformité avec leurs opinions politiques. Et ceux qui ne partagent pas ces idées sont souvent écartés ce qui conduit à une concentration des agents les plus xénophobes et racistes au sein de ces unités.



Il y a un véritable profilage par couleur de peau qui leur permet d'interpeller des personnes en situation irrégulière quitte à les pousser à la faute pour y parvenir sans paraître enfreindre la loi. Des exemples assez iniques nous seront montrés sur leurs pratiques. Les outrages et rebellions contre personne dépositaire de l'ordre publique ont connu une croissance spectaculaire au cours de ces trois dernières décennies car ils sont encouragés à déposer des plaintes. Pour autant, ceux qui désirent porter plainte contre leur brutalité font l'objet d'épouvantables pressions. Et puis, leur parole est de peu de poids face à celle d'un agent assermenté dont les collègues viennent confirmer la version des faits à l'audience.



On est loin d'une police nationale qui concourt à la garantie des libertés, à la protection des personnes et des biens.

La police se donne parfois pour mission de protéger la jeunesse dorée (ceux qui vont dans des écoles à 10.000€ l'année) de l'éventualité d'un vol ou d'une agression par la jeunesse des quartiers.



Sans aller plus loin,l'auteur va montrer pourquoi les policiers agissent de la sorte. Et ce n'est pas triste. Il y a comme une action de légitimation de leur agressivité en retour. Punir dans la rue leur apparaît comme une manière de se substituer à la justice qu'ils pensent défaillante.



Des études sérieuses révèlent que dans les quartiers populaires, les délits sont commis par un très petit nombre d'individus et reprouvés par la majorité des habitants. Cependant, les policiers ne savent plus faire la différence entre ces voyous et les honnêtes gens pauvres. Et puis, il y a les politiques qui hâtisent les tensions en stigmatisant ces habitants de cités.



Par ailleurs, dans le recrutement des policiers, il y a des erreurs de casting. On envoie ceux issus des milieux ruraux en première ligne dans les circonscriptions urbaines difficiles malgré le manque d'expérience. Or, il est prouvé que si on envoyait des policiers issus de ces quartiers urbains, cela se passerait autrement car ils privilégient le dialogue et la négociation pour résoudre les problèmes et non l'affrontement. Bref, la diversité sociale serait une solution pour s'en sortir.



Il est vrai qu'on se situe actuellement dans un contexte où l'on a accordé à la police des prérogatives de plus en plus larges. Dans cette période de crise sanitaire, ces quartiers ont été les premiers à être contrôlés ainsi qu'en terme d'amende infligée alors que les beaux quartiers n'étaient pas en reste pour organiser des fêtes clandestines.



Je n'aime pas ce pouvoir discrétionnaire car il permet de pratiquer la discrimination en fonction de la classe sociale, de la couleur de peau, de leur lieu de résidence et parfois de leur religion.



La conclusion est sans appel à savoir le glissement de l'état social vers l'état pénal en réponse politique à l'aggravation des inégalités économiques. Le renforcement de l'action policière n'est pas la bonne solution mais bon. Au final, il convient de s'interroger sur les dérives policières de notre société car le maintien de l'ordre n'excuse pas tout. Une excellente BD qui ouvre à ce genre de réflexions.
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Punir - A l'épreuve de la pandémie

Voici un petit essai, cent soixante pages, parfaitement lisible, même pour un néophyte, qui fait réfléchir sur ces questions de base :



- qu'est-ce que punir ?



- pourquoi punit-on ?



- qui punit-on ?



En se fondant sur une idée simple, mais combien oubliée, au temps de l'époque romaine, on punissait en compensant le manque à gagner, en livrant parfois sa femme et ses enfants en échange, pour en arriver à l'idée chrétienne de péché, de faute à rédempter dans la souffrance.



Où en est-on aujourd'hui ?

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La force de l'ordre



Voilà une bande dessinée peu ordinaire dont je voulais absolument vous parler. D’abord parce que, La force de l’ordre, est née de la volonté commune de ces 3 auteurs de « transformer » un livre de sciences sociales de 400 pages en bande dessinée de 100 pages. Ensuite parce que le sujet m’a paru particulièrement d’actualité, 13 ans après.



Pour Didier Fassin, il s’agit plus qu’une traduction, une re-création qui a nécessité 3 ans d’intense collaboration avec Frédéric Debomy (scénariste) et Jake Raynal (scénariste et dessinateur). Restituer la dimension sociologique de l’enquête a demandé un gros volume de travail avec des retours sur les notes de terrain, des recherches iconographiques pour reproduire les sites de l’enquête, les personnages et leurs attributs le plus fidèlement. L’objectif ? ouvrir des travaux universitaires (lus par un petit nombre) à de nouveaux publics et explorer des modes renouvelées d’écriture.



Didier Fassin, lorsqu’il a écrit son essai, a enquêté pendant 15 mois au sein d’une BAC (brigade anti-criminalité) sur le travail quotidien des policiers et sur les interactions ordinaires avec les habitants. Il voulait dépasser l’anecdote et comprendre les moments de violence qui font la Une des journaux.

Les BAC ont été créées en 1990 et n’ont cessé d’augmenter depuis. Leur action est ciblée sur les quartiers populaires, les cités de logement social. Ces policiers ont une une grande autonomie et sont redoutés par les habitants des cités.



L’expérience avait appris à ces jeunes qu’il ne suffisait pas de n’avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et parfois aux interpellations.



Est ce l’ennui ? (le quotidien de ces BAC est loin d’être aussi palpitant que dans les séries, le flagrant délit étant très rare), est ce la politique du chiffre instaurée dès le début par le Ministère ? est ce un système de pensée transmis dès la formation à ces policiers ? (les policiers qui n’adhèrent pas aux pratiques, se taisent puis quittent les BAC) Toujours est il que le tableau est sans concession : tutoiement systématiquement lors des contrôles, fouilles corporelles et contrôles d’identité répétés sans raison (qui, on s’en doute, provoque vexations et à terme colère), humiliation, racisme (les jeunes emmenés au poste sont appelés « bâtards » « singes »).



Ce que montre La force de l’ordre c’est le profilage ethno-racial (immigrés, minorités, manouche) et des agents qui abusent de leur pouvoir mais qui , à quelques exceptions près, ne sont jamais punis.

Page après page, cette enquête essaie de comprendre le comportement des agents des BAC soulignant l’importance de leur formation, de leur environnement d’origine et le fait aussi qu’il y ait très peu de femmes parmi eux.



Au délà de cette branche de la police, La force de l’ordre s’interroge sur ce que ce choix d’une police répressive plutôt que préventive dit de l’action publique.



Aux mesures de justice sociale a donc été préféré le renforcement de l’action policière.



L’essai de Didier Fassin a fait beaucoup de bruit à l’époque de sa sortie. Didier Fassin a été reçu par des politiques, un rapport lui a été commandé mais aucune action politique n’a suivi.



Puisque les politiques n’ont pas l’air de s’alarmer de la violence d’une partie de la police, c’est aux citoyens de monter au créneau et j’espère que cette enquête ethno-graphique permettra à un large public de connaitre les travaux de Didier Fassin.
Lien : http://www.chocoladdict.fr/2..
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La force de l'ordre

La force de l’ordre est la mise en bande dessinée d’un rapport sur les violences policières dans les quartiers dit “à risques” entre 2005 et 2007. Le trait est simple, il ne cherche pas à tricher sur les sentiments, il se contente de présenter des faits, les anecdotes crues, des paroles de flics de la BAC, et leurs méthodes très discutables. C’est édifiant, il pose des questions essentielles sur la mission de sécurité : protection ou répression, proximité ou distance. Ces méthodes sont des choix politiques, c’est bien là le plus grave, il est important de lire cette bande dessinée. Elle nous donne à penser de redéfinir les missions de la police nationale, ce n’est pas en laissant les milieux d’extrême droite phagocyter ce service public que les choses s’amélioreront, bien au contraire. Cette bande dessinée pose juste un constat : les droits les plus élémentaires ne sont pas respectés et régler les problèmes de sécurité en faisant régner la terreur est indigne d’une démocratie. Lecture édifiante, constat affligeant, ce rapport est révoltant et devrait suggérer un changement de direction, mais les politiques sécuritaires sont aujourd’hui encore plus encensées dans le débat public, on revient à la mode du karcher, quelle connerie !
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Les nouvelles frontières de la société française

En 2006, Didier Fassin et ses collègues de l'Iris (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux) avaient soulevé une polémique en s'interrogeant sur la substitution au sein de la société française de la question sociale par la question raciale [Fassin D., Fassin É, De la question sociale à la question raciale ? Représenter le société française, La Découverte, 2006] Alors que le concept de race avait depuis longtemps été décrédibilisé par la science et que la lutte contre le racisme était devenue une priorité politique, on avait vu dans cette tentative de racialiser le débat social le risque de voir relégitimée une notion honnie.

L'idée pourtant a fait son chemin et, comme Pap Ndiaye l'a démontré dans son étude des Noirs de France [La condition noire. Essai sur une minorité française, Calmann-Lévy, 2008], "c'est précisément parce que les races n'existent pas qu'il faut s'intéresser à ce qui conduit nos sociétés à les faire exister (...)" (D. Fassin, p. 158). Cette approche volontiers "démoralisatrice" devrait notamment faire sortir de l'impasse dans lequel il s'est enfermé la controverse sur les statistiques raciales, parasitée qu'elle a été par celle concommittante sur la discrimination positive (E. Fassin).

Entre 2006 et 2008, Didier Fassin a animé un programme de recherches sur financement ANR dont l'intitulé risque d'induire en erreur l'internationaliste. Il s'agit en effet moins de frontières au sens géopolitique du terme, telles que celles dont Michel Foucher s'est fait une spécialité, que de lignes de fracture qui parcourent la société contemporaine. L'hypothèse de travail de D. Fassin est qu'aux frontières extérieures qui séparaient les Français des étrangers se sont substituées des frontières intérieures plus labiles mais non moins discriminantes entre catégories sociales racialisées. Le passage des premières aux secondes permet de rendre compte des discriminations que subissent les immigrés de la deuxième ou troisième génération qu'aucune différence de nationalité ne distingue plus des "Français de souche". Leur altérité n'est plus juridique - la naturalisation de ces "Français paradoxaux" comme les surnomme F Masure est lourde pour eux de désillusions - mais bien raciale. C'est ce que montre l'étude des émeutiers de l'automne 2005 qui révèlent, à rebours des préjugés chariés dans les médias, qu'ils étaient quasiment tous Français et nés en France (S. H. Belgacem, S. Beaud).

Le résultat de cette investigation est digne d'éloges. Didier Fassin, entouré de collègues déjà chevronnés (J Valluy, E Fassin, G Noiriel, R Rechtman), a en effet fait émerger une génération de jeunes sociologues dont la quantité et la qualité des travaux autour de la "question immigrée" et des discriminations forcent l'admiration. Alors qu'il est d'usage quand on recense un ouvrage collectif de déplorer la qualité hétérogène de ses contributions ou de pointer leurs redites, les travaux des participants à ce programme interdisciplinaire n'encourent pas pareille critique. Présentant les résultats de leurs enquêtes, ces jeunes thésards visitent quelques uns de ces espaces "frontaliers" : un centre de rétention administrative (N. Fischer), un lieu d'accueil de demandeurs d'asile (E. d'Halluin, C. Kobelinsky), un foyer Sonacotra (M. Bernardot), un service de psychiatrie pour adolescents (I. Coutant), un collectif de soutien à des étrangers expulsables (G. Beltran) ... Partout se joue la même tension non seulement entre Français et étrangers mais plus largement entre Eux et Nous, un Eux et un Nous qui ne sont pas le produit d'une quelconque identité nationale ou culturelle, mais bien d'une construction politique comme nous invitent à le penser, au prix d'un salubre renversement de perspective, les whiteness studies (A. Bosa).
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Vies invisibles, morts indicibles

Ouvrage reçu dans le cadre des Masse Critique Essais.



Je connaissais un peu le travail de Didier Fassin pour avoir écouté son cours de Santé Publique au collège de France et lu Mort d'un voyageur il y a quelques temps. Je suis très admirative de sa démarche scientifique qui s'attache à décrire avec rigueur les mécanismes par lesquels certaines vies sont traitées avec moins d'attention, moins d'égards, voire sont maltraitées ou considérées comme quantité négligeable. J'ai retrouvé cette démarche dans ce recueil de conférence qui, à travers trois réalités sociales (le travail, les parcours de migration, la prison), se penche sur les vies de ceux que l'on néglige car jugés moins importants, moins dignes, trop marginaux, sans valeur. Ce travail est d'autant plus précieux qu'il allie rigueur intellectuel et engagement, sans aucune forme de dogmatisme ou de raccourcis idéologiques. Bien que l'essai semble un peu "aride" à première vue, il est en fait très accessible et se lit plutôt aisément.
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Vies invisibles, morts indicibles

Un grand merci aux éditions Collège de France et à Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre de la masse critique Non Fiction de juin 2023.



Il s'agit d'un essai tiré d'un colloque au Collège de France en juin 2021.

Il regroupe les interventions de plusieurs anthropologues, historiens et sociologues (Didier Fassin, Judith Rainhorn, Pascal Marichalar, Anne-Claire Defossez, Carolina Kobelinsky, Yasmine Bouagga, et Marielle Macé).



Cet essai traite des Vies invisibles et des morts indicibles,

1) ces personnes exerçant des métiers à risque (exposition à des produits dangereux, pénibilité, risques pour la santé mentale et physique),



2) celles qui n'ont d'autre choix que de s'exiler pour fuir leur pays en guerre, et qui vont tout faire pour passer les frontières, au risque de perdre la vie, à cause des politiques migratoires



3) et enfin celles qui sont condamnées à des peines de prison et qui vivent dans une cellule, privés de toute vie sociale et de dignité.



Je dois avouer que j'ai trouvé cette étude intéressante et très documentée, mais j'ai dû faire de longues pauses pendant la lecture pour ne pas être noyée dans les statistiques omniprésentes.

Il montre, arguments et chiffres à l'appui, que l'on n'est pas tous traités de la même façon dans le domaine carcéral si l'on est emprisonné en France ou aux Etats-Unis, si l'on est issu d'une famille modeste ou plus aisée, si l'on est de nationalité européenne ou étrangère, de peau blanche ou noire, etc.

Notre catégorie sociale impacte donc sur notre détention et sur notre possibilité d'obtenir ou non un aménagement de peine.



Cette étude donne froid dans le dos avec son constat sur la souffrance au travail, ces exilés qui meurent dans l'indifférence la plus totale et sans même de sépulture, ce pays des droits de l'homme qui a le taux de suicide en prison le plus important.



Ce livre montre toute la difficulté pour un Etat de mener à la fois une politique sécuritaire et sociale.

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Mort d'un voyageur

De la relecture d'un fait divers par le sociologue émerge une possible autre vérité. Pourquoi? Cela se lit comme un thriller
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L'ombre du monde

A qui s'adresse l’anthropologue ? Il s'adresse urgemment à tout le monde. A l'ombre ou en pleine lumière, il est bien difficile de se faire une idée de l'univers carcéral. À l'intérieur, nous faisons le dos rond et regardons le plus souvent nos pieds ; à l'extérieur, nous nous disons qu'après tout ce n'est pas si mal et pour le reste nous imaginons. le remarquable travail de Didier Fassin permet d'appréhender, dans leurs menus détails et sous bien des angles, les différents aspects de la prison. Il est resté plusieurs années à enquêter dans une maison d'arrêt et il a restitué pour nous ce qu'il a vu, entendu et compris. C'est le choc carcéral de l'entrée, la vacuité du temps passé, la force des choses : oeilleton, tabac, portable …, la violence toujours recommencée, le malaise des surveillants, la pauvreté des moyens, la limitation des droits par les impératifs de l'ordre et la sécurité, la profusion des sanctions qui sont les objets des nombreux chapitres de ce livre.





Il faut lire « L'ombre du monde », le texte tout entier, les onze parties ligne à ligne et reprendre les premières sections où les chiffres et les analyses sont si déterminants. Nous apprenons que la menace d'incarcération s'est considérablement accrue ces vingt dernières années, que le nombre de personnes sous main de justice est de 250 000 et le nombre de détenus de plus de 65 000. L'accroissement récent de la population carcérale est dû à l'alourdissement par la loi des sanctions et à la sévérité accrue des tribunaux sous pression du pouvoir exécutif. le nombre des courtes peines a considérablement augmenté. La prison considérée comme une arme contre la récidive avec le double argument de la neutralisation et la dissuasion, nous dit Didier Fassin, est contredite par la plus simple réalité statistique. Dans les années 2000, 59% des personnes, cinq ans après leur sortie, sont recondamnées et 46% font de la prison ferme. Et ces taux sont plus élevés pour les jeunes, les sans emploi et les courtes peines sans aménagement à la sortie. La prison désocialise (rupture familiale et professionnelle) et resocialise dans les milieux déviants. Les pouvoirs ont légiféré pour ce qui est de la prévention de la récidive à l'inverse de ce qui est connu, les mesures prises ont au contraire encouragé les rechutes.





Alors ? Foucault dans « Surveiller et punir » affirme : la prison n'échoue pas, elle réussit ! Il faut, nous dit-il, pour s'en persuader, sortir de l'explication interne de la gestion des détenus et se préoccuper de ce qui en amont l'alimente : la production des illégalismes. Les illégalismes sont des éléments positifs du fonctionnement social. Tout espace législatif ménage des espaces profitables et protégés où la loi peut être violée, d'autres où elle peut être ignorée, d'autres enfin où les infractions sont sanctionnées. La prison est l'instrument de réaménagement du champ de ces nouveaux illégalismes, la courroie de distribution de son économie. L'enfermement aujourd'hui apparait comme le meilleur moyen d'administrer criminels et délinquants mais particulièrement certaines populations : malades mentaux et personnes socio économiquement déficientes. La prison recrute massivement dans le sous-prolétariat, chez les jeunes d'origine ouvrière, les chômeurs, les banlieusards, les personnes d'origine africaine. L'héritage colonial et le racisme s'ajoutent aujourd'hui aux plus anciens motifs que sont la précarité économique et la ségrégation spatiale. La répression se concentre presqu'exclusivement sur la petite délinquance des milieux populaires, délinquance favorisée comme nous le savons par les parcours toujours chaotiques, les scolarités souvent interrompues, le chômage omniprésent et les instabilités familiales inévitables. La prison ne punit pas les infractions les plus préjudiciables à la société, elle met à l'écart et prévient les désordres, elle dénigre et persuade les individus stigmatisés de leur inexistence sociale. C'est un travail sur les esprits et les corps qu'elle mène. La prison apporte une réponse répressive à la question de la pauvreté, elle est un mode de gouvernement des inégalités. Didier Fassin, dans ces presque six cents pages, n'affirme pas, il montre et démontre ; il ne noircit pas le tableau, au contraire il le peint de couleurs un peu trop vives – c'est notre seul reproche. Sans nul doute, la présence en maison d'arrêt, toute participante et discrète soit-elle, du professeur à l'Institute for Advanced Study de Princeton et du directeur d'études à l'EHSS aura adouci bien des situations …

(Une mise en forme par l'éditeur des nombreux chiffres aurait été la bienvenue (courbes, tableaux, histogrammes, annexe)).

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La force de l'ordre

Puissant et chapeau pour cette enquête et le livre qui en résulte et donc aussi la BD. Bon, en ayant vécu à Paris et souvent la nuit, j’ai eu à faire à cette fameuse BAC et oui quand on les voit arriver c’est inconscient et plus fort que soit on a envie de fuir. Après, c'est un eternel discours qui revient mais qui n'est jamais entendu, allez savoir pourquoi.... ;-)



Selon moi, c’est une BD à donner à lire dans tous les commissariats de France, avec bien sûr, un suivi littéraire obligatoire pour en faire comprendre la substantifique moelle. Là, y’a du boulot.



Mais bon, le plus simple serait de rebooter tout le système avec interdiction de refaire le même système.
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La société qui vient

Attention, document scientifique, ce ne sont pas des discussions de brève de comptoir sur les crises sociologiques, politiques ou économiques que traverse notre société, chaque chapitre est écrit par un intervenant de haut niveau sur la question. Et pourtant le style général reste très lisible, exigeant mais lisible.



Je n'ai pas encore tout lu, loin de là puisqu'il y a 60 chapitres, très denses, en général d'une vingtaine de pages qui traitent de sujets comme nos enjeux contemporains (terre, mondialisation, migration, pandémie, terrorisme, complotisme, écologie, discriminations, genre, race, citoyenneté, communs), économiques (croissance, financiarisation, précarité, richesse), technologiques (plateformes numériques, pandémies), politiques (démocratie, autoritarisme, populisme, etc), immédiats (famille, banlieues, travail, justice, prison), solidaires (école, santé, hôpital, communs, non humains).



Le parti pris est de prendre du recul. Prenons pour exemple le chapitre sur l'écologie, il ne s'agit pas de penser une crise écologique, car il ne s'agit pas d'une crise mais d'un changement irréversible que nous vivons (et dont l'ampleur dépendra de nos efforts actuels) et qui sera la source de nombreuses crises (alimentaire, migratoire).



"Il n'y a pas de crise écologique. ... Il s'agit bien d'attirer l'attention du lecteur sur l'inadéquation du mot crise. A l'échelle des sociétés et de leur histoire, les crises sont des moments brefs, où les difficultés ordinaires atteignent un degré tel (à proprement parler extraordinaire) qu'elles perturbent massivement leur fonctionnement. Les sociétés sortent de ces périodes critiques, et des perturbations qu'elles engendrent, métamorphosées à des degrés divers. ... Tel n'est pas le cas de ce qui nous arrive. Certes nous allons être de plus en plus affectés par les dérèglements "naturels" en cours mais la différence d'avec les crises est que les changements sociaux ne sont et ne seront en l'occurrence que des ricochets ; les perturbations en cours et à venir, en effet, affectent et affecteront de plus en plus non pas directement tel secteur d'activité, mais le réceptacle de toutes nos activités ; à savoir le climat, les sols, la biodiversité, la richesse de nos sous-sols, etc."



Ce n'est pas non plus un manuel de solution, mais une exploration en profondeur de sujets majeurs. Prenons l'exemple du chapitre sur le complotisme, on n'y trouvera pas de méthode pour contrer le complotisme, ce n'est pas le sujet (et il y a de bons livres sur la question), mais plutôt une analyse en profondeur des contextes qui favorisent ou entretiennent de telles croyances, ainsi qu'une analyse de leurs principales occurrences historiques ou dans d'autres types de société.



Un livre tout à fait indispensable pour comprendre les mutations qui vont profondément altérer notre société.
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La société qui vient

livre indigeste à souhait. j'ai calé au bout de 100 pages. et je n'irai pas plus loin. ce que je ne fais jamais. j'ai jeté l'éponge lorsqu'au chapitre sur le terrorisme, l'auteur explique que ce fléau est tout autant la faute de la société, des politiques publiques et de l'idéologie réactionnaire que celle des criminels . je veux bien lire contre ma pensée, comme il convient de le faire lorsqu'on veut exercer une pensée critique libre. mais il y a des limites. Les centaines d'innocents morts au Bataclan ou à Nice méritent le respect sans faille de leur mémoire. Je déteste ces auteurs qui se croient autorisés à tout relativiser.

Les pages qui ont précédé étant sur cette ligne, le plus simple est de s'arrêter là ! et de passer un bel été !
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